Une solution devra être trouvée au conflit d'intérêts de PKP


Édition du 13 Juin 2015

Une solution devra être trouvée au conflit d'intérêts de PKP


Édition du 13 Juin 2015

Même si le Parti québécois et Pierre Karl Péladeau font du déni à ce sujet, le conflit d'intérêts qui serait créé par l'accession de ce dernier au poste de premier ministre est trop important pour être acceptable.

Pour le moment, le chef péquiste n'a pas trop à s'inquiéter du Code d'éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée nationale. Chaque député doit déclarer ses intérêts financiers et «ne pas se placer dans une situation où son intérêt personnel peut influencer son indépendance de jugement dans l'exercice de sa charge» (art. 15).

Même s'il a déclaré ses intérêts, le chef péquiste a déjà commis quelques fautes, notamment en intervenant pour que Vision Globale puisse être acquise par le Groupe TVA, filiale de Québecor. C'est PKP qui a mis en contact les dirigeants de TVA et de Vision Globale. Il aussi informé Investissement Québec (IQ) de l'intérêt de TVA pour Vision Globale, et il a demandé au ministre de l'Économie d'intervenir. Appelé dans le dossier, Jacques Saint-Laurent, commissaire à l'éthique de l'Assemblée nationale, a ciblé deux manquements au code (les interventions auprès d'IQ et du ministre), mais il s'est dit satisfait des explications de PKP, qui dit «avoir agi de bonne foi» et par «manque d'expérience».

On suppose qu'il a appris de cette situation, mais la suite pourrait être difficile, compte tenu des ramifications de Québecor, qui possède le plus important réseau de câblodistribution du Québec, les principaux quotidiens de Montréal et de Québec, le premier réseau de télévision du Québec et des dizaines de magazines. PKP détient 28,8 % des actions et 73,9 % des droits de vote de Québecor. Cet intérêt vaut 1,1 G$.

Le véritable conflit d'intérêts se posera si M. Péladeau devient premier ministre. Selon le code, il devra alors «soit se départir de ses intérêts dans les entreprises dont les titres sont négociés en Bourse, soit les transporter dans une fiducie sans droit de regard dont le fiduciaire est indépendant, ou encore de les confier à un mandataire indépendant en vertu d'un mandat sans droit de regard».

Une fiducie illégale, selon le jurisconsulte

Le chef péquiste dit avoir déjà entrepris des démarches pour mettre ses actions de Québecor dans une telle fiducie, mais en interdisant au mandataire de vendre ses actions. Une telle fiducie serait-elle illégale ? «D'après moi, oui», a répondu le jurisconsulte de l'Assemblée nationale, Claude Bisson, qui fut juge en chef de la Cour d'appel. Celui-ci a ajouté qu'un ministre doit tout ignorer des placements effectués par son fiduciaire afin de lui éviter de prendre des décisions qui pourraient avoir un effet sur ses avoirs. «La fiducie sans droit de regard doit avoir le même effet que de se départir de ses actions», a-t-il précisé.

Une fiducie sans droit de regard convient très bien à quiconque a un portefeuille de titres financiers diversifiés, que le fiduciaire peut gérer à sa guise. Cela n'est pas possible pour un bloc d'actions comme celui que détient PKP.

La défense du PQ a été d'une faiblesse inouïe. Au lieu d'intervenir sur le fond de la question, le chef péquiste a dit qu'il ne demanderait plus d'avis au jurisconsulte, alors que certains de ses collègues ont tenté de miner la crédibilité de ce dernier en l'accusant de se venger pour le congédiement par Québecor de son fils Alain dans la foulée du lock-out au Journal de Montréal. Le PQ a aussi refusé d'appuyer une motion de confiance à son endroit et remis en question son indépendance.

Il y a une décennie, le PQ a livré une guerre sans merci à l'ex-ministre libéral David Whissell, qui possédait 20 % d'ABC Rive-Nord, une entreprise de pavage. Non seulement les actions de cette société n'étaient pas négociées en Bourse, mais c'était avant l'actuel code d'éthique des députés, qui a été adopté en 2010. Rien n'obligeait M. Whissell à vendre ses actions, mais il a choisi de démissionner pour les garder.

Indépendamment du droit, la fonction de premier ministre est incompatible avec le contrôle d'un empire médiatique pouvant influencer le fonctionnement de la démocratie. M. Péladeau peut bien dire que ses journalistes sont libres, il en va autrement dans la pratique. Ses médias sont dirigés par des cadres qui ont déjà pris des commandes de PKP et qui savent fort bien que celui-ci redeviendra leur patron s'il n'est pas élu premier ministre. Et que dire de l'immense capital de sympathie que procurera à PKP sa conjointe, Julie Snyder, qui continuera d'être omniprésente dans des émissions du réseau TVA et dans les magazines du groupe ? Aucun autre politicien ne bénéficiera d'un tel avantage.

L'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques a suggéré de faire acheter les quotidiens du groupe par TVA et de réduire sous les 50 % l'intérêt de Québecor dans la société médiatique. Il faudrait aussi que le conseil d'administration de TVA soit indépendant de Québecor. Mais il ne s'agit là que d'un début de solution, car elle ne sortira pas du débat public la question fondamentale du conflit d'intérêts créé par l'accession d'un magnat de la presse au poste de premier ministre.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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