Une réforme de la gouvernance des organismes publics s'impose


Édition du 14 Décembre 2013

Une réforme de la gouvernance des organismes publics s'impose


Édition du 14 Décembre 2013

BLOGUE. La crise qui sévit dans la gestion du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) s'explique surtout par la déficience du système de gouvernance des organismes du gouvernement du Québec.

C'est pourquoi il est un peu trop facile pour le Dr Réjean Hébert de blâmer le conseil d'administration (CA) du CHUM pour les défaillances de sa gouvernance et de sa gestion.

Les déboires du CHUM prennent leur source dans les lacunes de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. C'est pour s'y conformer que le CA du CHUM compte dix membres indépendants et dix administrateurs désignés par des groupes intéressés. Contrairement aux premiers, ces derniers ne se voient généralement pas comme des mandataires de leur établissement, mais plutôt comme des représentants des groupes qu'ils représentent. Il n'est donc pas surprenant qu'il y ait des tiraillements au sein de son CA. (Les universités vivent le même enjeu.)

À cause de cette structure et du caractère public des assemblées de CA des établissements de santé, celles-ci ressemblent plus à des forums de consultation qu'à de véritables instances, ce qui rend obligatoire l'existence d'un comité exécutif au sein duquel se prennent, à huis clos, les décisions importantes sur certains enjeux et sur la gestion.

Autre faiblesse intrinsèque, les présidents de CA des établissements de santé ne reçoivent aucune rémunération pour la tâche immense qui leur est impartie. Dans le cas particulier du CHUM (900 M$ de budget, 12 000 salariés, projet immobilier de 2 G$), on peut imaginer qu'il faudrait certainement quelques jours par semaine à une personne pour exercer un rôle analogue dans une organisation normale. Il n'est donc pas étonnant que, dans un tel contexte, le directeur général du CHUM ait pris beaucoup de place dans la gestion de l'institution. Que le président du conseil d'une organisation aussi importante ne soit pas rémunéré est une aberration totale.

Carences majeures de gouvernance

Le cas du CHUM n'est qu'une illustration des ratés du système de gouvernance des sociétés et des organismes publics québécois. Ses faiblesses sont connues du gouvernement, mais ce dernier a autant d'intérêt pour cet enjeu qu'il en a pour les sans-abri.

C'est ce qui ressort clairement d'un rapport d'évaluation qualitative de la Loi sur la gouvernance des sociétés d'État, qui a été publié en juillet 2012. Il est l'oeuvre d'experts de l'École nationale d'administration publique.

Voici quelques observations de ce rapport :

- les sous-ministres considèrent les CA des sociétés et des organismes publics comme des «entités accessoires» ; ceux-ci rencontrent très rarement les présidents de CA, qui devraient être leurs interlocuteurs, préférant faire affaire avec leurs directeurs généraux ;

- lorsque des administrateurs doivent être remplacés, les demandes formulées aux ministres responsables tardent à être prises en considération, si bien qu'il s'écoule plusieurs mois avant que leurs successeurs ne soient choisis ; des réunions de comités et de conseils sont reportées lorsque le quorum n'est pas atteint ;

- la loi est muette sur l'évaluation des présidents de CA. Quand une évaluation est faite, celle-ci n'est pas transmise au gouvernement ;

- la Commission de l'administration publique néglige de rencontrer annuellement les sociétés d'État. Lorsqu'une rencontre a lieu, la plupart des présidents n'y vont pas, laissant cette tâche à leur directeur général ;

- à l'exception des administrateurs de la Caisse de dépôt et placement, d'Hydro-Québec, de la SAQ, de la SAAQ, de Loto-Québec et d'Investissement Québec, aucun membre d'un CA de société d'État et d'un organisme public n'est rémunéré. Pour l'État, les administrateurs des autres sociétés d'État et organismes (hôpitaux, universités, etc.) n'ont pas à être aussi compétents que les premiers ;

- la formation des nouveaux administrateurs sur leur rôle, leurs responsabilités et la gouvernance est négligée ; plusieurs ne connaissent pas bien leurs obligations. En plus d'encourager la formation des administrateurs en place, Québec devrait recruter des diplômés des collèges d'administrateurs.

Yvan Allaire, spécialiste en gouvernance, a déjà qualifié de «bric-à-brac» les CA des organismes publics. S'il a à coeur la bonne gestion, Québec devrait entreprendre sans tarder la réforme de la gouvernance de ses sociétés d'État et des organismes publics. Autrement, cette dernière restera elle aussi un bric-à-brac .

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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