Une autre crise bancaire au profit des puissants


Édition du 12 Avril 2023

Une autre crise bancaire au profit des puissants


Édition du 12 Avril 2023

Le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell. (Photo: Alex Wong Getty Images)

CHRONIQUE. Le rôle des banques centrales est d’assurer la stabilité du système bancaire, de contrôler la quantité de monnaie dans l’économie et de gérer la croissance de l’inflation. Pour ce faire, elles déterminent les taux d’intérêt en fonction des besoins de l’économie et de la croissance des prix, et agissent sur les liquidités des banques.

Plus ces dernières en ont, plus elles prêtent aux consommateurs et aux entreprises, ce qui favorise la croissance.

Inversement, en période de surchauffe, les autorités monétaires réduisent les liquidités des banques et augmentent les taux, ce qui permet de ralentir la croissance.

Après des années d’inflation débridée et de taux d’intérêt exorbitants (le taux directeur de la Banque du Canada a frisé les 20 % en 1981), la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine ont réussi, pendant trois décennies, à contenir l’inflation à environ 2% par année. Cette politique a très bien fonctionné. Malheureusement, ce système s’est déréglé avec la pandémie. Les chaînes d’approvisionnement se sont brisées, ce qui a créé des pénuries presque partout et causé de fortes hausses des coûts et des prix, que l’on n’arrive pas à juguler.

Pour atténuer le ralentissement sur les entreprises et les effets de l’inflation sur les consommateurs, les gouvernements ont dépensé allègrement et les banques centrales ont injecté des liquidités. On constate aujourd’hui que l’on a trop dépensé et que l’on a trop tardé à freiner la croissance quand l’inflation est apparue.

Pour la contrer, la Banque du Canada a fait passer son taux directeur de 0,25% à 4,5% en un an, comme l’ont fait à des degrés divers d’autres banques centrales. Le ralentissement s’est installé. Les pertes sur prêts s’accumulent dans les banques, mais le système bancaire canadien reste solide. Sa gouvernance est rigoureuse, nos banques n’ayant pas la liberté de prendre des risques indûment. Au Québec, les caisses Desjardins, qui sont surveillées par l’Autorité des marchés financiers, affichent un taux de capitalisation supérieur à 20 %, l’un des plus élevés du monde.

 

Nouvelle vulnérabilité

Malheureusement, il n’en va pas ainsi aux États-Unis, où le passif (constitué surtout de dépôts) de certaines banques est mal apparié avec leur actif (constitué surtout de prêts et d’obligations gouvernementales), ce qui les a rendues vulnérables à une course aux retraits.

En 40 heures, la Silicon Valley Bank (SVB) a perdu 42 milliards de dollars américains (G$US) de dépôts après que son PDG eut révélé qu’elle n’a pu trouver 2G$ US de capital pour rester solvable à la suite d’une perte de valeur aux livres de 16G$ US sur des titres gouvernementaux, résultat de la hausse importante des taux d’intérêt (la valeur des obligations baisse avec la hausse des taux).

Après que la panique eut frappé rapidement d’autres banques (Signature, Silvergate et First Republic), le président Joe Biden a décrété que personne n’allait perdre ses dépôts, même au-delà du plafond de 250 000 $US de la Federal Deposit Insurance Corporation. Outre des frais qu’on imposera à l’industrie, la Réserve fédérale prêtera aux banques à risque en prenant comme sûreté supplémentaire des obligations gouvernementales et d’autres titres sur la base de leur valeur originale plutôt que sur leur valeur au marché, comme on le fait depuis 150 ans. Autrement dit, ce ne sera plus la discipline du marché qui va prévaloir pour contenir les élans des banquiers imprudents.

C’est un très mauvais message qui est envoyé aux banquiers et aux régulateurs d’autres pays.

En Europe, la banque centrale de la Suisse a injecté 50 G$ US dans Credit Suisse pour permettre son rachat par UBS, la principale banque du pays. Ce sauvetage a permis aux actionnaires de Credit Suisse de recevoir 3G$ US, au lieu de perdre leur mise.

Le stratagème de Joe Biden évitera sans doute la faillite de plusieurs banques régionales, ce qui protégera à la fois les déposants et les actionnaires. L’État aura à nouveau socialisé les pertes et protégé les profits, comme il l’a fait lors de la crise du papier commercial en 2008. On avait alors obligé les banques ayant un actif de 50 G $US et plus à subir un test de solvabilité en cas de hausse importante des taux. Mais Trump avait haussé ce seuil à 250 G $US, à la demande notamment du PDG de la SVB. On parle de le ramener à 100 M$ US.

«Trop grosses pour tomber», a-t-on dit en 2008 pour justifier le sauvetage des grandes banques. Ce dicton vaut maintenant aussi pour les autres.

 

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J’aime

Alors que les gouvernements provincial et fédéral se révèlent impuissants à stimuler la construction de logements abordables et sociaux et qu’ils s’apprêtent même à laisser tomber le programme AccèsLogis, l’arrondissement Mercier– Hochelaga-Maisonneuve a décidé d’interdire la location de logements à court terme de type Airbnb. Cette initiative, qui aura pour effet d’accroître l’accessibilité à des logements en location à long terme, devrait être considérée par les villes qui sont aux prises avec de faibles taux d’inoccupation et qui manquent de logements pour accueillir des travailleurs immigrants.

 

Je n’aime pas

Les sociétés de transport collectif doivent recevoir 400 millions de dollars du gouvernement du Québec pour l’année en cours, mais c’est trop peu compte tenu des déficits énormes qu’elles subiront en raison de la baisse de leur clientèle. Des sociétés ont entrepris de réduire leur effectif pour diminuer leurs dépenses, mais une réduction de l’offre de transport serait contreproductive. Le gouvernement Legault est très réticent à accroître les taxes, qui pourraient décourager le transport individuel et financer le transport collectif, mais il devra être inventif et courageux s’il veut vraiment favoriser ce dernier.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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