Transformer en coops les quotidiens régionaux?


Édition du 07 Septembre 2019

Transformer en coops les quotidiens régionaux?


Édition du 07 Septembre 2019

(Photo: 123RF)

CHRONIQUE. Le grand patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, a raison : les médias sont une industrie. Mais ce n'est pas une industrie comme les autres. Celle-ci soutient la démocratie, une valeur de plus en plus bafouée et menacée.

On pense à Trump, Poutine, Bolsonaro, Erdogan, Duterte, Salvini, etc., mais n'oublions pas que des roitelets bien de chez nous méprisent eux aussi sans vergogne la démocratie dans leur patelin. Il faut veiller au grain et rien ne remplacera les journalistes pour jouer ce rôle difficile de protecteur de cette grande valeur. Democracy dies in darkness (l'obscurantisme tue la démocratie), rappelle chaque jour la première page du Washington Post.

La commission parlementaire qui vient de se tenir sur les médias, à Québec, a porté sur deux grands dossiers : 1. la crise que traverse le Groupe Capitales Médias (GCM), dont les six quotidiens régionaux seront au bord de l'abîme à la mi-novembre, quand on aura épuisé les 5 millions de dollars que vient de leur prêter le gouvernement du Québec, après les 10 M$ obtenus en 2017 ; 2. la crise durable que vit l'industrie des médias.

Six quotidiens en péril

La crise que subit le groupe GCM est extrêmement grave. Ces journaux sont les plus importants médias de Sherbrooke, Trois-Rivières, Gatineau, Saguenay et Granby. Québec fait exception avec deux quotidiens, Le Soleil et le Journal de Québec.

En dix ans, GCM a réduit ses effectifs de 53 %. Ses revenus publicitaires ont chuté de 50 % depuis 2015. Elle a entrepris son virage numérique. À l'instar du Devoir et des grands journaux américains et européens, les quotidiens de GCM ont retenu le modèle de revenus basé à la fois sur la publicité et sur la vente de leur contenu.

Or, les pertes continuent d'augmenter (9 M$ prévus en 2019), sans compter que le déficit actuariel des régimes de retraite a atteint 65 M$ et que leur taux de solvabilité serait d'environ 75 %. Très peu de solutions s'offrent devant un tel gouffre. Sans égard à ce qui arrivera, on peut penser qu'aucune survie n'est envisageable sans réduire les rentes de retraite de 25 %. Ouf !

Québecor et Metro Media ont manifesté un intérêt, mais on ne sait rien de leurs intentions quant à la réorganisation qu'ils ont en tête. On peut penser que Québecor fusionnerait le Journal de Québec et Le Soleil, ce qui l'assurerait d'un monopole. Incompatible avec le bien public.

Une autre solution serait l'acquisition de l'actif de chaque journal par une coopérative de travailleurs. Pour maximiser les économies d'échelle, ces entités géreraient en commun tous les services qui peuvent l'être (les ventes nationales, les finances, la comptabilité, les ressources humaines, le marketing, la diffusion, les technologies, l'approvisionnement, etc.). Les coopératives ne s'occuperaient que des activités locales et régionales (production journalistique, vente d'annonces, distribution).

Pour être viable, chaque coopérative devrait compter sur une forte mobilisation des forces du milieu, qui devraient, bien entendu, contribuer à son financement et s'engager à respecter la liberté journalistique. Pour être prises au sérieux, les villes devraient les utiliser pour leur publicité, de préférence à Facebook et à Google. Sans un tel engagement des acteurs régionaux et locaux, cette formule n'offrirait pas d'avantages réels sur une reprise par une entreprise privée. Bien entendu, ces coopératives bénéficieraient aussi des programmes de soutien actuels et à venir des gouvernements.

Crise durable des médias

À moins d'être aveugle, personne ne peut nier que les médias, plus particulièrement les médias écrits, vivent une crise historique. C'est généralisé dans tout l'Occident. Or, cette situation deviendra assurément intenable si les gouvernements et les collectivités locales ne les aident pas davantage.

À l'exception de CBC-Radio-Canada, que le fédéral finance à raison de 1,2 milliard de dollars par année et qui ne fera jamais faillite, les autres médias canadiens sont des entreprises privées qui dépendent des marchés pour survivre. La crise créée par la capture des revenus publicitaires par Google, Facebook et d'autres multinationales de l'Internet en a déjà fait tomber plusieurs et cette tendance reste lourde.

La Presse, qui a abandonné le papier en janvier 2018 et qui a fait le mauvais choix de miser à 100 % sur la publicité pour ses revenus, est menacée. Restructurée en OSBL, elle survit grâce aux 50 M$ reçus en mai 2018 de Power Corporation, qui a aussi épongé les déficits de ses régimes de retraite.

Dans la mesure où la société comprend que les médias sont essentiels à sa santé démocratique, l'État ne peut pas se désengager de sa responsabilité de soutenir les organisations qui la protègent. La commission parlementaire qui vient d'avoir lieu a permis d'entendre un grand nombre de suggestions de mesures d'aide à la production journalistique et aux entreprises de presse. On a parlé d'un fonds pour faciliter le passage au numérique, d'un crédit d'impôt sur les salaires des journalistes, de l'élimination de l'obligation des journaux de financer la cueillette sélective, de l'instauration d'une déduction fiscale pour les contributions des citoyens à la production journalistique, d'un crédit d'impôt aux abonnements numériques, etc. Naturellement, ces mesures devraient être universelles et viser les productions d'intérêt public, non le divertissement.

Laissons aux gouvernements le choix des moyens. Il est clair, toutefois, qu'ils doivent faire plus et mieux que présentement, car il y a urgence. Sans quoi, la tempête qui sévit va vite se transformer en un ouragan qui fera assurément beaucoup de dégâts.

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J’aime
C’est un début. Trois initiatives viennent d’être prises pour sauver le capitalisme. Aux ­États-Unis, 181 chefs de grandes entreprises ont publié une déclaration reconnaissant qu’ils «s’engagent à diriger leur société pour le bien de toutes les parties prenantes : clients, employés, fournisseurs, collectivités et actionnaires». En ­Europe, 34 grands groupes se sont engagés à «faire progresser les droits de la personne à tous les stades de leurs chaînes de valeur». En ­Allemagne, de grands groupes industriels ont déclaré travailler à développer une norme comptable reflétant la contribution des entreprises à la société.

Je n’aime pas
Après que la ­Société des alcools s’est dite en faveur de la consigne sur les bouteilles de vin, elle a immédiatement déclaré forfait : pas question de les récupérer dans son réseau.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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