TPS évitée: incurie injustifiable du gouvernement Trudeau


Édition du 18 Mai 2019

TPS évitée: incurie injustifiable du gouvernement Trudeau


Édition du 18 Mai 2019

CHRONIQUE. En refusant de faire percevoir la TPS sur les produits et services numériques vendus au Canada par des firmes étrangères, le gouvernement fédéral s'est privé de 169 millions de dollars en 2017.

En réalité, c'est nous, les contribuables, qui avons été privés de cet argent puisque Ottawa décide des impôts et des taxes que nous devons lui payer. Ces 169 M$ auraient pu être utilisés pour réduire notre déficit et notre dette publique.

Cette somme, calculée par le ministère des Finances, est probablement sous-estimée. Puisque le commerce en ligne croît très rapidement, la perte du fédéral a été encore plus grande en 2018 et elle sera à nouveau supérieure en 2019.

La non-perception de cette taxe est dénoncée par le vérificateur général du Canada, mais cette incohérence n'ébranle pas le premier ministre, Justin Trudeau, qui répond bêtement qu'il ne veut pas accroître les taxes des Canadiens. Sait-il au moins que, ce faisant, il nuit à l'économie canadienne de deux façons ?

Primo, il favorise une concurrence déloyale contre les entreprises canadiennes, dont les prix deviennent ainsi moins concurrentiels que ceux des grandes multinationales étrangères, telles que Google, Facebook, Netflix, Amazon, Apple, Spotify, etc. qui, non seulement ne paient à peu près pas d'impôt au Canada, mais envoient une grande partie de leurs profits à l'étranger et, souvent, dans des paradis fiscaux.

Secundo, en permettant aux sociétés établies à l'étranger de ne pas percevoir de TPS sur les produits et services étrangers vendus au Canada par voie électronique, Ottawa encourage des sociétés canadiennes à se doter d'une filiale étrangère pour faire du commerce électronique au Canada et il décourage les entreprises étrangères à s'établir à cette fin au Canada.

Bref, le refus du gouvernement canadien de s'attaquer à cet enjeu est une aberration totale. Celui-ci démontre une incompréhension aussi stupide de la gestion de l'économie que celle du président Donald Trump qui, en multipliant les tarifs douaniers, ne se rend pas compte qu'il fait monter les prix des biens et services qu'achètent ses propres citoyens.

La démarche du gouvernement Trudeau est tellement singulière que, sur 60 pays sondés par l'OCDE sur cette question, le Canada fait partie des deux exceptions à ne pas faire percevoir de taxe de vente sur le commerce électronique provenant de l'étranger. Il suffirait d'un petit amendement à la Loi de l'impôt sur le revenu pour obliger les fournisseurs étrangers de produits et de services numériques à s'inscrire au registre de la TPS.

Au lieu de cela, Ottawa compte sur les déclarations volontaires des acheteurs canadiens de ces produits et services numériques étrangers, ce qui est tout à fait ridicule. Selon Statistique Canada, seulement 524 formulaires ont été remplis à cette fin par des Canadiens en 2017-2018 sur les 46 millions de paquets de faible valeur livrés de l'étranger. Quant aux dépenses annuelles totales de téléchargement de produits culturels, elles se sont élevées cette même année à 2 milliards de dollars. Pour sa part, le partage d'hébergement a généré des revenus de 2,8 G$.

60 M$ de revenus au Québec

Société distincte au sein du Canada, le Québec fait percevoir, depuis le 1er janvier, sa TVQ sur les téléchargements étrangers de produits culturels. Cette mesure, qui a rapporté 15,5 M$ en trois mois, devrait générer 60 M$ à sa première année, soit le double de ce qui avait été anticipé. Alors que Québec visait surtout les géants du Web, plus de 100 sociétés figurent déjà au registre de la TVQ sur un potentiel d'environ 150. Québec ne fait toutefois pas percevoir sa TVQ sur les produits physiques achetés de l'étranger en raison des difficultés liés à sa perception, qui requiert la collaboration des services douaniers.

Malheureusement, le dernier rapport du vérificateur du Canada nous apprend que ceux-ci sont mal gérés. Alors que ses systèmes de gestion de données sont peu automatisés, l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) se fie à la «bonne foi des sociétés de messagerie» pour que celles-ci déclarent et versent les taxes perçues auprès des consommateurs. Or, une vérification de 13 515 paquets à risque élevé déclarés à l'ASFC en 2013-2014 a révélé que leur valeur réelle de 13,5 M$ représentait 17 fois leur valeur déclarée de 800 000 $. Comment ne pas y voir à nouveau un laisser-aller exaspérant, au grand mépris des contribuables?

La ministre du Revenu, Diane Lebouthillier, explique le désintérêt de son gouvernement envers la perception de la TPS par le fait qu'il préfère chasser les gros poissons.

On voudrait bien la croire, mais la performance du fisc canadien paraît bien pâle en regard des succès d'autres pays dans cette pêche. Alors que 22 pays dénoncés pour évasion fiscale dans les Panama Papers ont récupéré 1,2 G$ d'impôts en trois ans, le Canada n'a fait que 116 vérifications, qui n'ont généré que 15 M$ en impôts et pénalités.

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J’aime
Alors que la construction et le prix des condos de luxe explosent à ­Montréal, le gouvernement ­Legault devrait s’intéresser à une initiative récente du gouvernement de la ­Colombie-Britannique : l’obligation prochaine faite à tous les acheteurs d’une propriété de dévoiler leur identité. La raison de cette mesure : l’explosion des prix des maisons et des condos due aux achats faits avec de l’argent sale. Le blanchiment d’argent s’élèverait à plus de 7 G$ ­CA par année dans cette province.

Je n’aime pas
Selon un rapport récent du ­CD ­Howe ­Institute, le ­Canada est un des pires cancres de l’Occident dans la lutte au blanchiment d’argent, qui est estimé entre 110 G$ et 130 G$ par année pour l’ensemble du pays. Or, 99,9 % de ces transactions passent sous le radar. Le dernier budget fédéral prévoit consacrer 141 M$ sur cinq ans pour lutter contre ce fléau.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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