Succession chez Desjardins : bilan impressionnant, enjeux majeurs


Édition du 19 Mars 2016

Succession chez Desjardins : bilan impressionnant, enjeux majeurs


Édition du 19 Mars 2016

Monique F. Leroux peut quitter son poste avec le sentiment du devoir accompli. Elle a été élue présidente et chef de la direction du Mouvement Desjardins en mars 2008, en pleine crise des prêts hypothécaires à haut risque (subprimes). Cette crise, à laquelle elle s'est souvent référée, l'a profondément marquée. Première responsable d'une organisation comptant 5 millions de membres, 41 000 employés et un actif de 150 milliards de dollars à l'époque, elle a constaté la fragilité des empires financiers lorsque leur base de capital s'effondre. De toute évidence, cette crise a renforcé sa conviction que la capitalisation de Desjardins devait être l'une de ses grandes priorités.

Desjardins se classe aujourd'hui au premier rang nord-américain et au cinquième rang mondial des «World's Strongest Banks» de Bloomberg News. Le Mouvement a terminé son exercice 2015 avec un ratio de capital de catégorie 1-A (selon Bâle III) de 16 %, comparativement à 13,6 % à la fin de 2008, alors que Desjardins avait clos son exercice financier avec un petit excédent net de 88 M$. Autre raison de fierté, aucun membre ni client de Desjardins n'a perdu d'argent en raison de cette crise, la plus importante depuis les années 1930.

De 2007 à 2015, l'excédent net annuel de Desjardins est passé de 1,1 G$ à 2 G$ (qui provient maintenant de façon égale des activités bancaires et de celles des sociétés financières), alors que son actif a progressé de 144 G$ à 248 G$. Par ailleurs, ses capitaux propres sont passés de 10,3 G$ à la fin de 2007 à 21,7 G$ à la fin de 2015.

La présidence de Monique Leroux a aussi été marquée par le déploiement des sociétés financières dans les autres provinces. Sa principale acquisition a été celle des 500 agences canadiennes de State Farm qui a fait de Desjardins le troisième assureur de dommages au pays. Ce réseau lui permettra de distribuer d'autres produits. Cette acquisition a été réalisée avec la participation du Crédit Mutuel, de France, qui est fortement engagé dans la distribution de services financiers et connexes par des applications numériques mobiles. Ce rapprochement a aussi permis à Desjardins de devenir partenaire du système de paiement Monetico International.

Une productivité à accroître

Après ses deux mandats statutaires de quatre ans, Monique F. Leroux quitte ses fonctions en pleine possession de ses moyens. Il ne fait aucun doute qu'elle aurait pu mener Desjardins encore plus loin si le règlement sur la gouvernance de la Fédération l'avait permis.

Parmi les enjeux qui attendent son successeur, il y a l'accroissement de la productivité des services aux particuliers des caisses, qui est plus faible que celle des banques. Cette sous-productivité découle de la structure éclatée du Mouvement et de ses nombreux centres de décision.

Les caisses gèrent collectivement de plus en plus de services, mais Desjardins devra centraliser davantage l'administration de ses activités bancaires aux particuliers, comme le font d'ailleurs les banques coopératives européennes. Rabobank, banque coopérative des Pays-Bas, cinquième groupe financier du monde devant Desjardins, fonctionne depuis le début de 2016 comme une seule entité. Elle n'a qu'un seul permis et consolide ses états financiers. Cette rationalisation, qui coûtera 9 000 emplois, doit lui permettre d'accroître sa productivité de 50 % d'ici 2020. Les 106 entités locales de Rabobank se concentrent sur la relation avec les membres, la promotion et la distribution des produits.

Desjardins doit aussi revoir sa gouvernance. L'absence de limite quant au nombre et à la durée des mandats des administrateurs permet à certains de rester collés à leur poste pour des raisons personnelles, ce qui nuit au renouvellement des conseils d'administration à tous les niveaux (fédération, conseils régionaux, caisses). La Capitale mutuelle de l'administration publique limite à trois mandats de trois ans la participation des membres à son CA.

Pour ajouter de la profondeur à son CA, qui est formé exclusivement d'élus et de directeurs généraux de caisses, la fédération devrait être autorisée à y faire élire des experts en finance, en technologie, en ressources humaines, etc., comme le fait Agropur, dont le CA comprend trois administrateurs externes (sans droit de vote). Cette pratique existe déjà dans ses filiales financières.

Limitée dans sa croissance au Québec, Desjardins doit continuer son développement hors Québec en acquérant notamment des sociétés d'assurance. Pour accroître sa portée, Desjardins Société financière, qui réunit les sociétés d'assurances et Valeurs mobilières Desjardins, pourrait s'adjoindre des partenaires financiers, tels la Caisse de dépôt et placement ou des groupes coopératifs extérieurs comme le Crédit Mutuel. Bien sûr, ce holding devra avoir des experts financiers à son CA.

Avec un actif de 250 G$, Desjardins est considéré comme un risque systémique par l'Autorité des marchés financiers. Il est clair aussi que Bâle IV (prévu pour 2017-2018) accroîtra encore les exigences de capitalisation des institutions financières. Or, comme Desjardins devrait continuer de grandir, il est primordial que sa capitalisation reste un enjeu prioritaire.

J'aime

Le gouvernement du Québec fournira une aide de 20 millions de dollars pour appuyer la création de 700 coopératives d'ici 2020. Desjardins, Agropur, la Coop fédérée, SSQ, Promutuel et La Capitale fourniront 565 000 $ par année dans ce partenariat. Le Québec compte 3 300 coopératives qui emploient plus de 100 000 personnes et qui génèrent des revenus annuels de 35 milliards de dollars. Le modèle coopératif est une voie intéressante pour le transfert des entreprises à leurs employés.

Je n'aime pas

De plus en plus d'acheteurs de véhicules financent leur achat avec des prêts remboursables sur six, sept ou même huit ans. Il n'est donc pas étonnant qu'un grand nombre d'entre eux n'aient pas fini de payer leur voiture quand ils en achètent une autre. Pire, les vendeurs ont une commission sur ces prêts, ce qui augmente encore le coût réel des voitures ainsi financées.

Jean-Paul Gagné est un dirigeant élu d'une caisse Desjardins.

Suivez Jean-Paul Gagné sur Twitter @gagnejp

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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