Rémunération des médecins : un dérapage à corriger


Édition du 21 Mai 2016

Rémunération des médecins : un dérapage à corriger


Édition du 21 Mai 2016

[Photo : 123RF]

Les médecins sont sûrement fatigués d'entendre parler de leur rémunération, mais ce n'est pas sans raison.

Ce sont les professionnels les mieux payés du Québec. Leur rémunération a rattrapé celle des médecins de l'Ontario, où le coût de la vie est plus élevé. On leur a aussi permis de s'incorporer pour réduire leur impôt, alors qu'ils n'ont qu'une seule source de revenus, l'État, ce qui va à l'encontre de l'esprit de la Loi sur l'impôt.

Autre attribut de leur statut, ils n'ont de compte à rendre à personne, même quand ils travaillent dans un hôpital, où ils sont autonomes.

Ils n'ont pas besoin de chercher des clients. Ils en refusent. Qui plus est, leurs clients ne vérifient pas le coût du service rendu, la facture étant envoyée directement à la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ), qui doit composer avec 11 000 codes de facturation différents. Des médecins recourent d'ailleurs à des agences de facturation expertes dans ces codes, qui ont tout intérêt à en tirer le maximum pour leurs clients.

Pire, la RAMQ, qui doit traiter leurs 55 000 demandes de paiement (en 2013-2014), estime ne pas avoir le personnel suffisant pour faire son travail correctement. Seulement 2 % des médecins font l'objet d'une analyse de leur facturation. La RAMQ n'a que quatre médecins-conseils pour analyser les dossiers cliniques.

Le revenu annuel moyen net d'un médecin spécialiste du Québec est d'environ 420 000 $. C'est à peu près le salaire de Guy Breton, recteur de l'Université de Montréal, qui gère un budget de 750 millions de dollars. Cherchez l'erreur.

Pas étonnant que les attentes du public soient élevées à l'égard des médecins. Et si on en parle autant, c'est parce que notre système de santé est inefficace, que ses infirmières et ses gestionnaires sont épuisés et que les temps d'attente ne diminuent pas.

On a pensé à tort qu'en augmentant la rémunération des médecins et en multipliant les primes incitatives, on allait soigner plus de patients. Cela ne s'est pas avéré. Selon la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, on les aurait même surpayés, pour plus de 400 M$ en 2015-2016. Le système de paiement à l'acte, qui représente 62 % de leur revenu et incite à la surconsommation, est une vache sacrée pour le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, et pour les fédérations. Pourtant, de plus en plus de pays rejettent ce mode de rémunération.

Frais accessoires abusifs

Autre incohérence : les «frais accessoires», qui sont exigés des patients et qui sont parfois très abusifs, selon la protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain, sont devenus une normalité. Le ministre Gaétan Barrette évalue qu'ils atteignent 50 M$, mais, comme c'est très souvent le cas en santé, il n'existe pas d'étude pour l'attester. Ces frais seraient illégaux, puisqu'ils contreviennent à la gratuité et à l'universalité des soins, deux principes de la Loi canadienne sur la santé.

Heureusement, il existe certains empêcheurs de tourner en rond. L'avocat Jean-Pierre Ménard vient de déposer une requête en mandamus pour obliger le gouvernement canadien à réduire ses transferts en santé aux provinces lorsque des soins assurés font l'objet d'une surfacturation.

La loi 20 sur l'accès aux services de santé, qui a été adoptée par l'Assemblée nationale en novembre 2015, avait prévu baliser les frais accessoires pouvant être facturés. Or, le comité tripartite (ministère, fédérations médicales, experts indépendants) qui devait être créé pour rédiger le règlement à cette fin, ne s'est jamais réuni. On ne doit pas s'en surprendre. C'est en effet une habitude des gestionnaires de notre système de santé d'empêcher les réformes en boycottant des rencontres et des études. En 2010, les médecins ont réussi à bloquer une étude sur les coûts des cliniques que le ministère finance (32 M$ en 2014-2015). De même, on n'a jamais constitué les comités annoncés dans les ententes de rémunération 2010-2015 pour comparer les émoluments des médecins du Québec à ceux de leurs confrères des autres provinces. En évitant les études et en refusant de se comparer, on peut gérer en catimini et à l'aveugle.

Face à la dénonciation de la protectrice du citoyen et à la requête de Me Ménard, le ministre Barrette vient de changer son fusil d'épaule. Ainsi, il a déclaré que les frais accessoires seront intégrés à la rémunération des médecins et des spécialistes lors des négociations à venir. Celles-ci se feront entre docteurs, ceux des fédérations et ceux qui dirigent le gouvernement, Philippe Couillard, Gaétan Barrette et Roberto Iglesias, secrétaire général du gouvernement, qui seront en conflit d'intérêts dans la gestion de ce dossier.

Les nouveaux pouvoirs d'inspection et de sanction promis par le projet de loi 92 permettront peut-être à la RAMQ de mieux contrôler la rémunération des médecins. Par contre, ils ne contribueront en rien à un meilleur partage de l'information qu'elle possède ni à une meilleure gouvernance de la RAMQ, au conseil d'administration de laquelle on retrouve trois médecins et un pharmacien, mais une seule experte-comptable. Il s'agit d'une aberration pour une organisation qui gère des programmes de paiements de 11 milliards de dollars.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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