Rémunération des médecins : bar ouvert et gouvernance inepte


Édition du 05 Décembre 2015

Rémunération des médecins : bar ouvert et gouvernance inepte


Édition du 05 Décembre 2015

[Photo : iStock]

Le regard que la vérificatrice générale du Québec vient de porter sur la rémunération des médecins est désespérant.

On savait déjà que le système québécois de rémunération à l'acte est une aberration en soi. Face à une demande de soins de santé qui n'est pas plafonnée, les médecins dispensent des services qui sont gratuits aux yeux des patients, mais payés sans vérification a priori par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) à partir d'un code de 11 000 actes médicaux différents.

Le rapport de la vérificatrice, Guylaine Leclerc, confirme aussi l'inefficacité de notre système de santé. Alors qu'on multiplie les primes aux médecins dans le but d'améliorer les services à la population, on constate que les résultats ne sont pas au rendez-vous, même si les coûts grimpent en flèche. Pire, on apprend aussi que la RAMQ fait mal son travail et que sa gouvernance est inepte.

Dépassement de coûts ahurissant

L'un des constats les plus ahurissants du rapport est le dépassement de 417 millions de dollars de la rémunération des médecins par rapport aux enveloppes budgétaires annuelles accordées pour la période 2010-2015, alors que le ministère était dirigé par le Dr Yves Bolduc. Or, le premier ministre, le Dr Philippe Couillard, vient de nous dire que cet argent n'est pas récupérable. Il faut aussi savoir que les médecins continuent d'être payés si une enveloppe se révèle insuffisante, mais qu'ils récupèrent l'excédent d'une enveloppe non dépensée totalement. Un traitement unique !

On apprend aussi que les économies nettes de 394 M$, qui devaient résulter de l'accord sur l'étalement de la rémunération conclu en novembre 2014 sous la direction du Dr Gaétan Barrette pour la période 2014-2015 à 2021-2022, ne se réaliseront pas. Raisons : 1) les sommes à étaler sur huit ans ont été surévaluées ; 2) les augmentations de rémunération liées à l'évolution de la pratique médicale ont été revues à la hausse.

Quant aux sommes qui seront retournées aux médecins de 2018-2019 à 2021-2022 pour rattraper les revenus reportés, elles seront versées selon des paramètres établis par les syndicats de médecins. Le gouvernement ne pourra donc pas les utiliser pour influer sur les comportements et les pratiques des médecins.

Des mesures incitatives sans résultat

Autre constat décevant : les mesures incitatives négociées par les ministres de la Santé (tous des médecins) et les syndicats pour améliorer les services (inscription de nouveaux clients, ajouts d'heures travaillées, paiements de frais de cabinet, pratique polyvalente, forfait de garde, etc.) n'ont pas vraiment accru l'accessibilité aux soins. Sur 33 mesures incitatives basées sur la rémunération des médecins pour accroître les services, 30 n'avaient aucune cible de résultat, et aucun plan d'action n'était prévu si la cible était ratée.

Autre exemple de mauvaise gestion, aucune étude des frais de cabinet des médecins n'a été réalisée. Le ministère et les fédérations n'ont pas créé non plus les comités qu'ils avaient convenu de mettre sur pied pour étudier les écarts entre la rémunération des médecins du Québec et celle des médecins des autres provinces.

Gestion des risques aberrante

Selon la vérificatrice générale, «la RAMQ n'a pas déterminé clairement les risques liés à la rémunération, les contrôles nécessaires à cet égard et les responsabilités des intervenants exerçant ces contrôles». De plus, aucun coordonnateur n'assure une gestion globale et optimale de ces contrôles. C'est aberrant.

La RAMQ paie les médecins sans vérification préalable des factures des médecins. En 2014, seulement 2 % des 17 542 médecins payés par la RAMQ ont vu leur facturation faire l'objet d'une analyse. On étudie a posteriori des factures qui montrent une très forte hausse de rémunération, comme s'il ne pouvait pas y avoir de fraude par des médecins dont les factures ne s'éloignent pas trop des moyennes. Le rapport a noté trois profils de facturation à risque qui n'ont fait l'objet d'aucune démarche : des médecins ont plus de 4 000 patients inscrits, alors que la moyenne est de 1 200 ; des médecins ont accru leur rémunération de 50 à 100 % en une année ; des médecins rencontrent jusqu'à 90 patients par jour. La RAMQ utilise quatre médecins-conseils pour faire des analyses a posteriori, mais ceux-ci travaillent sans balises claires.

Alors que la RAMQ paie des milliards aux médecins (6,3 G$ en 2013-2014), ce qui constitue un enjeu énorme en matière de risques, son conseil d'administration, qui est formé de bénévoles, n'a pas de comité de gestion des risques, une tâche qui est confiée au comité d'audit.

Sur 15 personnes, le CA de la RAMQ compte 11 membres provenant du monde de la santé, dont trois médecins parmi lesquels figurent les présidents des deux syndicats de médecins, qui sont en conflit d'intérêts entre la défense de leurs membres et la protection des contribuables. Un autre exemple de mauvaise gouvernance dans un organisme public.

J'aime

Le ministre fédéral de l'Infrastructure et des Collectivités, Amarjeet Sohi, remet en cause la formule du partage du coût des infrastructures municipales, selon laquelle chacun des trois ordres de gouvernement assume le tiers de la facture. Puisque les municipalités ne reçoivent que 0,06 $ sur chaque dollar des impôts et des taxes perçus au pays, M. Sohi juge qu'on devrait revoir la part de leurs frais.

Je n'aime pas

Pour plaire aux Torontois qui habitent les tours bordant le lac Ontario, les libéraux fédéraux ont promis de ne pas autoriser l'allongement de la piste de l'aéroport Billy Bishop, situé sur une île en face de Toronto, dont Porter Airlines se sert pour ses Q400. Porter achèterait 20 avions CSeries (au coût de 2 G$) si elle pouvait les utiliser à cet aéroport. Pourtant, les moteurs du CSeries sont moins bruyants que les turbopropulseurs du Q400.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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