Protection des sièges sociaux : il faut plus que des voeux pieux


Édition du 03 Septembre 2016

Protection des sièges sociaux : il faut plus que des voeux pieux


Édition du 03 Septembre 2016

[Photo : Bloomberg]

La récente commission parlementaire sur la vente de Rona à Lowe's a indiqué que le gouvernement Couillard s'est montré insouciant dans la gestion de ce dossier.

L'ancien ministre Jacques Daoust a affirmé qu'il était contre la vente du bloc d'actions de Rona détenues par Investissement Québec (IQ), mais il n'a pas levé le petit doigt pour l'empêcher. Il a dit que c'était la responsabilité des administrateurs, qui «vivront avec les conséquences de leur décision», selon le témoignage de son ex-chef de cabinet, Pierre Ouellet. Curieusement, ce dernier affirme ne pas avoir parlé de la vente de ce bloc d'actions à son patron, Jean-Louis Dufresne, chef de cabinet du premier ministre. Cette affirmation est invraisemblable. Le gouvernement Couillard veut-il à ce point se dissocier du gouvernement Charest ?

Ce bloc d'actions avait été acquis pour environ 150 M$ en août 2012 sous l'impulsion de Raymond Bachand, alors ministre de l'Économie dans le gouvernement Charest, peu après que Lowe's eut présenté une offre non sollicitée au prix de 14,50 $ l'action de Rona. Prévoyant et stratégique, M. Bachand avait fait faire une étude qui avait démontré que 90 000 emplois directs et indirects, dont 50 000 au Québec, dépendaient de Rona. Ses fournisseurs employaient 80 000 personnes, dont 33 000 dans la province. De plus, Rona faisait 85 % de ses achats au Canada pour une valeur de 3,3 milliards de dollars, dont 2 G$ au Québec, d'où l'importance de conserver au Québec ce centre de décision.

L'appel de M. Bachand avait amené la Caisse de dépôt à accroître son bloc d'actions de Rona à 17 % et à constituer une minorité de blocage, grâce aux participations détenues par le Fonds de solidarité FTQ (5 %) et les marchands (10 %).

En laissant IQ vendre son bloc d'actions de Rona, Québec a manqué de vigilance et de clairvoyance face à la stratégie de Lowe's d'accroître sensiblement sa part du marché canadien. Il n'a pas saisi l'importance de Rona dans l'écosystème de l'industrie de la quincaillerie et des matériaux de construction au Québec.

Un trio économique démantelé

Malgré les discours, l'économie ne semble pas être une priorité du gouvernement. Pourtant, aux élections générales de 2014, le Parti libéral du Québec était fier de présenter son trio de candidats économiques. Or, la grande mission qui a été confiée au ministre Carlos Leitao a été celle d'éliminer le déficit budgétaire. Deuxième membre du trio économique, Jacques Daoust s'est avéré un excellent vendeur du Québec à l'étranger, mais il a été désinvolte dans sa gestion du dossier Rona et du ministère des Transports, et n'a pas pris au sérieux les allégations de mauvaise gestion dont l'avait informé son prédécesseur, Robert Poëti. Pour sa part, Martin Coiteux accomplit des missions qui n'ont rien à voir avec le développement de l'économie : le contrôle des dépenses, les affaires municipales et la sécurité publique.

Dominique Anglade, qui a une bonne feuille de route, est venue en renfort, mais elle doit gagner en influence dans ce gouvernement de médecins, avec Philippe Couillard, Gaétan Barrette, ministre de la Santé et des Services sociaux, et Roberto Iglesias, secrétaire général.

Quand est survenue l'offre de Lowe's à 24 $ l'action, le sort de Rona était réglé. Puisque Investissement Québec avait vendu ses actions, la minorité de blocage n'existait plus. La Caisse, qui avait souffert du mauvais rendement des actions de Rona et qui n'avait pu trouver de justification pour réinvestir dans cette société, a vu l'occasion de prendre ses profits. Même chose pour le Fonds de solidarité FTQ. Quant aux administrateurs et aux hauts dirigeants de Rona, ils pouvaient se partager 69 M$. L'offre spectaculaire de Lowe's est arrivée après l'amorce d'un réel redressement de Rona. Aurait-on réalisé cette relance afin de rendre Rona plus attrayante pour Lowe's ?

Québec peut-il protéger ses sièges sociaux ?

La mésaventure de Rona montre la difficulté pour le Québec de protéger ses sièges sociaux. On en parle beaucoup. On en fait une priorité dans les programmes électoraux des partis politiques. On a créé des groupes de travail, qui ont fait des recommandations, mais on ne démontre ni intérêt réel ni courage politique pour passer à l'action. Le gouvernement Couillard a tabletté le rapport du groupe dirigé par Claude Séguin, qui avait proposé des mesures fiscales intéressantes. Était-ce parce que cette initiative avait été lancée par le gouvernement de Pauline Marois ?

Pour maquiller l'inaction de son gouvernement, M. Couillard a loué la récente acquisition, par Alimentation Couche-Tard, de l'entreprise américaine CST Brands. Pourtant, une telle acquisition n'a pas l'impact de la sauvegarde d'un siège social comme celui de Rona.

Carlos Leitao a dit que son gouvernement pourrait demander à IQ de réunir un groupe d'actionnaires qui pourraient former une minorité de blocage de la vente de Couche-Tard à des étrangers. C'est une farce. L'entreprise de Laval a une capitalisation boursière de 38 G$, alors que son gouvernement n'a pu protéger Rona, dont la valeur n'était que de 1,3 G$ au moment de l'offre de Lowe's.

Il faut plus que des voeux pieux sur le plan de l'économie. Il en va de la crédibilité de ce gouvernement.

J'aime

Selon Karin Müller, porte-parole de Swiss International Airlines, qui exploite le premier avion CSeries à avoir été mis en service, «la fiabilité de l'affectation de cet avion à son premier mois d'usage a atteint une grande valeur, et elle est même très supérieure à d'autres appareils au cours de cette phase». Elle faisait référence à des avions d'Airbus et de Boeing.

Je n'aime pas

Dominique Savoie, la sous-ministre des Transports du Québec qui a été limogée à la suite des révélations de mauvaise gestion et de falsification de documents en mai dernier (l'UPAC y enquête à la suite de plusieurs allégations), est tablettée à un salaire annuel de 210 976 $. Relevant du secrétaire général, Roberto Iglesias, elle aurait été affectée aux «emplois supérieurs» du gouvernement. Pas sûr que le souvenir qu'elle a laissé aux Transports soit particulièrement rassurant.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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