On ne peut abolir le Sénat canadien, réformons-le !


Édition du 20 Juin 2015

On ne peut abolir le Sénat canadien, réformons-le !


Édition du 20 Juin 2015

Le rapport du vérificateur général sur les dépenses des sénateurs vient de donner un autre coup à l'image et à la légitimité de la Chambre haute du Parlement canadien.

Le rapport recommande que neuf sénateurs fassent l'objet d'une enquête criminelle de la Gendarmerie royale du Canada et que 21 autres remboursent des sommes reçues pour des dépenses injustifiées. Le total atteint 976 627 $. Quatre autres sénateurs sont déjà visés : Mike Duffy est en cours de procès ; Mac Harb et Patrick Brazeau font l'objet d'accusations et Pamela Wallin, d'une enquête. Ces 34 délinquants représentent 40 % des sièges actuellement occupés. Ouf !

Des sénateurs ont déclaré des dépenses très raisonnables, et tous ceux qu'a cités le vérificateur général ne sont pas des voleurs. Toutefois, les abus indiquent un laxisme inacceptable dans le contrôle des dépenses et un manque de respect inacceptable des contribuables par certains sénateurs. Puisque le budget annuel du Sénat frôle les 89 millions de dollars, chacun coûte une moyenne annuelle de 845 000 $ quand tous les sièges sont occupés.

Le fait que 20 sièges soient vacants témoigne du désintérêt du premier ministre Stephen Harper, qui a pourtant longtemps défendu une réforme du Sénat. En effet, le Parti réformiste, dont M. Harper a déjà été membre, a longtemps promu l'idée de faire élire les sénateurs. Il y a quelques années, M. Harper a demandé un avis à la Cour suprême à propos d'une réforme du Sénat. Celle-ci a statué que l'abolition du Sénat requerrait l'appui unanime des provinces, mais qu'une réforme était possible si sept d'entre elles représentant 50 % de la population étaient d'accord.

Incidemment, le Sénat a déjà compté deux sénateurs qui avaient été élus lors d'élections en Alberta. Le premier a été nommé par Brian Mulroney en 1990 (il est décédé en 1991), tandis que le second l'a été par Stephen Harper en 2007 (il a pris sa retraite en 2013).

Créé en 1867, lors de la fondation du Canada, le Sénat devait servir de contrepoids aux Communes, il devait être constitué de sages, nommés par le premier ministre et représentant les différentes régions du pays, mais sans relation avec la population respective des provinces. Ainsi, le Québec compte 24 sénateurs, l'Ontario, 24, les quatre provinces de l'Ouest, 6 chacune, et les trois premières provinces de l'Atlantique à faire partie du pays, 24. Terre-Neuve en a six ; le Yukon, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest en ont un chacun.

Une institution méprisée

Au fil des ans, les premiers ministres canadiens ont utilisé le Sénat pour récompenser des amis de leur parti et des collecteurs de fonds, de même que pour nommer des personnalités connues du grand public (Jean Lapointe, Jacques Demers, Mike Duffy, Pamela Wallin), des gens d'affaires émérites, des candidats défaits, etc. Le Sénat a toujours compté aussi des gens de grande qualité, mais le caractère hétéroclite de cet aréopage a grugé sa légitimité, d'où le souhait de son abolition par de nombreux Canadiens.

Mais puisque le Sénat ne peut pas être aboli selon la Constitution, pourquoi ne pas le réformer afin d'en faire une institution utile à la société canadienne ? Voici quelques pistes de réflexion dans cette direction :

1. En faisant preuve de bonne volonté, Ottawa, les provinces et les territoires pourraient s'entendre pour nommer un groupe de sages et d'experts non partisans et crédibles à qui on demanderait de proposer une meilleure gouvernance de cette institution. Ce groupe pourrait aussi suggérer un mode de fonctionnement permettant au Sénat d'enrichir le travail des députés sur le plan législatif et de déterminer des champs d'action où la Chambre haute apporterait un éclairage supplémentaire sur la protection de nos valeurs fondamentales, telles la démocratie, la justice sociale, la sécurité nationale, etc. Le Sénat s'est déjà illustré sur ce plan. Il comptait alors dans ses rangs d'éminents Canadiens, capables d'apporter des faits nouveaux, de produire des analyses et de faire valoir des points de vue intelligents sur des enjeux importants, ce qui a permis de bonifier nos politiques publiques.

2. La gouvernance du Sénat devrait inclure un code d'éthique et de déontologie renforcé afin d'améliorer sa productivité, de limiter les conflits d'intérêts et d'éliminer les dépenses injustifiées. Bénéficiant d'un salaire annuel de 142 400 $, les sénateurs peuvent s'absenter indûment, continuer de vaquer à leurs affaires, siéger à des conseils d'administration, qui peuvent représenter des sources de conflit d'intérêts.

3. Éliminer la partisanerie. Nommer des personnes compétentes, expérimentées, provenant de domaines différents, reconnues pour leur contribution à la société et connaissant bien le pays. Respecter la parité hommes-femmes.

Le Sénat est une institution fédérale, mais le succès de sa réforme dépend surtout des provinces, dont les attentes sont démesurées. Est-ce trop demander que d'espérer un geste de bonne foi de tous nos premiers ministres ?

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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