Mot de notre éditeur : «Le miracle qui n’a pas duré»

Publié le 08/07/2013 à 15:57, mis à jour le 08/07/2013 à 16:10

Mot de notre éditeur : «Le miracle qui n’a pas duré»

Publié le 08/07/2013 à 15:57, mis à jour le 08/07/2013 à 16:10

[Photo : Bureau de la sécurité des transports du Canada]

« C’est terrible de laisser aller le chemin de fer comme ça, plus personne n’entretient. Les poutres sont pourries, l’herbe pousse partout. Pis les trains, c’est pas mieux. Dans le temps, le CP n’aurait jamais permis ça. C’est un miracle qu’il n’arrive pas d’accident. »

Quelques jours avant la catastrophe de Lac-Mégantic, mon père et moi sommes allés faire des courses au centre-ville. Un train arrivait en ville. Nous l’avons longé par une petite rue qui permet de passer plus rapidement du chemin de la Baie-des-Sables à la rue Frontenac. C’est exactement à cet endroit que les images les plus spectaculaires des explosions ont été prises dans la nuit de vendredi à samedi.

Aujourd’hui, les mots de mon père résonnent lourdement. Le miracle n’a pas duré. Depuis la nuit de vendredi à samedi, les gens de Lac-Mégantic et tous les Méganticois de cœur vivent le cauchemar. Après le terrible choc qui s’estompe péniblement, nous sommes tristes, infiniment tristes, et en colère.

Mon père aura 82 ans le mois prochain. Il n’est pas le plus volubile, mais c’est un fin observateur. Sa petite ville, il en connait tous les recoins. Comme d’autres, il a bien vu que les trains qui passent chez lui depuis quelques années n’ont plus le lustre d’antan. Il sait que depuis longtemps, on ne voit plus dans la région les travailleurs qui profitaient de l’été pour nettoyer le chemin de fer, solidifier ou changer des traverses instables.

Depuis longtemps, en fait, les grands transporteurs se sont départis des voies ferrées moins achalandées. Les routes ont été cédées à des entreprises comme Montreal, Maine & Atlantic Railway (MMA), qui est en cause dans la tragédie de Lac-Mégantic. Le petit exploitant précédent, qui a acheté les voies ferrées du CP en 1999, a fait faillite.

Il est trop tôt pour tirer des conclusions, mais il est grand temps de poser des questions. Un jour, on constatera qu’une série d’erreurs et de négligences empilées les unes sur les autres ont fini par donner l’apocalypse.

- Des entreprises comme MMA ont-elles les moyens – et la conscience requise – pour prendre en charge le transport de ces convois?

- Est-il normal que de grands exploitants ferroviaires comme le CP, disposant de ressources financières importantes, aient pu vendre des infrastructures moins rentables et transférer les énormes responsabilités qui viennent avec?

- La hausse spectaculaire du nombre de convois de pétrole est-elle en même temps accompagnée de mesures de surveillance et de contrôle plus serrées?

- Est-il normal que, pour limiter les coûts d’exploitation, un seul convoi puisse compter plus de 70 wagons d’une substance dangereuse hautement explosive?

- Qui entendra enfin les maires des petites villes qui demandent depuis longtemps de faire passer les trains en dehors des centres-villes, de modifier le trajet des chemins de fer dont le tracé correspond à la réalité de la fin des années 1800?

Des questions, on pourrait en ajouter plusieurs. Arrêtons là pour le moment. Mais n’oublions pas.

N’oublions jamais que des dizaines de personnes ont péri dans un drame que de nombreux Méganticois ont senti venir gros comme le train, justement.

N’oublions jamais la douleur de tous ces gens de Lac-Mégantic et de partout au Québec, qui ont perdu enfants, petits-enfants, conjoints et conjointes, parents, amis.

N’oublions jamais que le cœur historique d’une ville fière et belle est rasé, souillé de pétrole. Que même le parc et le lac ont pris feu, sous une rivière de carburant en flammes.

N’oublions jamais que l’enfer est passé par là et qu’il faudra faire l’impossible pour éviter qu’il passe ailleurs.

 

Stéphane Lavallée

Éditeur, Les Affaires

 

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