Les paquets de cigarettes neutres au centre d'une guerre souterraine


Édition du 27 Août 2016

Les paquets de cigarettes neutres au centre d'une guerre souterraine


Édition du 27 Août 2016

Par Matthieu Charest

L’Australie a adopté la paquet standard en décembre 2012. À gauche, on aperçoit les paquets neutres, tandis que les anciens paquets, qui permettaient notamment de mettre en évidence la marque de commerce, sont présentés à droite. [Photo : Bloomberg]

Les emballages standardisés de cigarettes s'apprêtent à arriver au Canada. Exit les logos et les couleurs, tous les paquets auront la même apparence ; seul le nom de la marque restera. D'un côté, les gouvernements et les groupes antitabac sont convaincus des bienfaits de la mesure et bien décidés à l'implanter. De l'autre, l'industrie du tabac crie à l'hypocrisie et à la transgression du droit des marques. Qui dit vrai dans ce débat ?

Il s'avère que, lors de la dernière campagne électorale fédérale, le Parti libéral du Canada a promis de mettre l'accent sur la banalisation de l'emballage des produits du tabac. Un engagement qui figure également dans la lettre de mandat remise par Justin Trudeau à sa ministre de la Santé, Jane Philpott. Depuis le 31 mai et jusqu'au 31 août, une consultation publique en ligne sur le paquet neutre est même en cours. Bien que la ministre ait maintes fois répété son intention de mettre cette mesure en oeuvre, le gouvernement mène cet exercice au coût de 10 000 $, selon le ministère.

Et c'est l'un des nombreux points qui irritent l'industrie du tabac. «Le public n'est même pas au courant qu'il y a une consultation publique, s'indigne Éric Gagnon, directeur des affaires corporatives pour Imperial Tobacco Canada. Et de toute façon, le gouvernement a déjà annoncé qu'il allait de l'avant.»

Attractivité et effets modestes

Les partisans de cette mesure, comme les gouvernements du Québec et d'Ottawa ou l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), fondent leur argumentaire sur l'attractivité des paquets de cigarettes afin de vendre l'idée des emballages standardisés. Question de vérifier si ce raisonnement tient la route, nous avons interrogé trois experts en image de marque.

«Je suis un antitabac "solide" et, oui, l'emballage est un outil puissant, admet un publicitaire montréalais sous le couvert de l'anonymat. Mais au Québec, les paquets sont déjà cachés, et la majorité de la surface des paquets est occupée par des avertissements-chocs.»

Ce dirigeant d'une grande agence à Montréal précise : «J'ai plusieurs proches qui sont morts à cause du tabagisme». Toutefois, il comprend que les cigarettiers ne veulent pas perdre leur dernier point de contact avec leurs consommateurs, et il a de la difficulté à croire que l'emballage standard aura une incidence marquée. «Mais bon, si ça sauve trois vies, ce sera déjà ça.»

Selon Frank Pons, professeur de marketing à l'Université Laval, si les couleurs ou le type d'emballage peuvent attirer notamment les jeunes, la mesure proposée «n'est pas aussi efficace qu'on le dit. L'effet n'est pas énorme, mais il y a un impact, même s'il est marginal. En fait, ce n'est pas la recette magique dans la lutte antitabac, ça fait partie de l'attirail».

Jacques Nantel, professeur de marketing à HEC Montréal, va encore plus loin. «Le paquet générique, c'est beaucoup plus une mesure politique pour le gouvernement, qui pourra dire "nous agissons". Mais les données sur l'efficacité de la mesure sont peu probantes. Les emballages sont déjà horribles.»

La bataille des chiffres

Le Canada ne serait pas le premier pays à appliquer une telle mesure. En Australie, le paquet standard a été adopté il y a presque quatre ans, soit en décembre 2012. Depuis, la France, l'Irlande, l'Uruguay, la Norvège et le Royaume-Uni ont suivi ou se sont montrés disposés à emboîter le pas.

À Canberra, le gouvernement australien se félicite des résultats obtenus depuis l'implantation de cette loi. Selon l'OMS, cette mesure a permis d'y réduire le taux de prévalence moyenne du tabagisme chez les 14 ans et plus d'environ 0,55 %. Une baisse qui semble mineure, mais qui représente tout de même environ 100 000 personnes. Et les effets de la mesure «devraient continuer de s'accroître au fil du temps», souligne dans un rapport l'organisation liée à l'ONU.

Mais le diable est dans les détails, et les cigarettiers, comme plusieurs éditorialistes et groupes divers, dont l'Institut économique de Montréal ou le Conseil du patronat du Québec, remettent en doute ces conclusions positives.

«Le tabagisme est en déclin année après année, soutient Éric Gagnon, d'Imperial Tobacco. Ce n'est pas le paquet neutre qui a changé cette tendance. En plus, au Canada, 75 % de la surface des paquets est occupée par des messages de santé publique, et les cigarettes sont cachées derrière des portes ou des tiroirs. Pire, s'il n'y a plus moyen de différencier les marques, la contrebande va exploser, on l'a vu en Australie.»

Selon un rapport produit par KPMG Royaume-Uni pour le compte des cigarettiers en 2014, les parts des cigarettes illégales en Australie sont passées de 11,5 %, en 2012, à 14,5 %, en 2014.

Pire, selon le directeur des affaires corporatives : le gouvernement est hypocrite. «Ottawa veut légaliser la marijuana et enlever ça des mains des criminels, et mettre encore d'autres barrières aux produits de tabac légal.»

Mais Flory Doucas, codirectrice et porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, réfute chaque argument invoqué par M. Gagnon pour s'opposer au paquet neutre.

«Ce n'est pas vrai qu'il y a une corrélation entre les mesures antitabac et les parts attribuées au marché noir.» Selon le dernier budget québécois, les parts de marché du tabac de contrebande sont restées stables, de 30 % en 2009 à environ 15 % de 2011 à 2014, malgré de nouvelles mesures adoptées pour lutter contre le tabagisme.

Mme Doucas ne s'oppose pas non plus à la légalité des cigarettes, comme de la marijuana, «afin d'en contrôler l'usage». Enfin, pour la codirectrice et porte-parole, rares sont les mesures qui ne coûtent rien, comme celle du paquet neutre, et qui permettent de réduire le tabagisme.

Prochain ennemi : le sucre ?

Le professeur Jacques Nantel estime même que, malgré les hauts cris des cigarettiers, les mesures restrictives sont peut-être une bénédiction pour l'industrie. «Ils [les cigarettiers] n'ont plus à dépenser en R-D ou en publicité. Ces millions-là, ils les gardent pour eux. C'est devenu une vache à lait. Ils dénoncent ce "scandale", mais je pense qu'ils savent très bien que ce n'est pas si grave que ça. Après, ce qui est intéressant à surveiller, c'est ce qui va se produire dans les autres industries. Les Pepsi et Coke de ce monde doivent suivre ce débat de très près.»

Pour Flory Doucas, il est clair que «l'industrie du tabac essaie d'intéresser les autres industries au débat en soulevant la notion de la protection des marques. Le lobby fait un effort concerté en ce sens».

«C'est certain que, si je travaillais pour une autre industrie [agroalimentaire, par exemple], je surveillerais ce débat, répond Éric Gagnon. Après nous, c'est qui le prochain ?» Quant à la possibilité d'aller devant les tribunaux pour contester la mesure, M. Gagnon dit qu'il s'agit d'une piste «envisagée, mais qui n'est pas privilégiée en ce moment». En Uruguay et au Royaume-Uni, les cigarettiers ont perdu leur cause devant les tribunaux.

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