Les femmes autochtones défient les préjugés


Édition du 16 Janvier 2016

Les femmes autochtones défient les préjugés


Édition du 16 Janvier 2016

Par Julie Roy

Kateri Champagne Jourdain, directrice des communica- tions et des affaires publiques de la Mine Arnaud.

Violence, chômage et pauvreté. Ces termes sont utilisés si fréquemment pour décrire la réalité des femmes autochtones canadiennes qu'on confère à celles-ci presque automatiquement le statut de victimes. Comme si la misère était pour elles un destin inéluctable. Une étude récente de Brian DePratto, économiste à la Banque TD, vient toutefois bousculer nos idées préconçues en considérant ces femmes plutôt comme une force en pleine émergence sur le marché du travail.

En épluchant les données de Statistique Canada, l'économiste a fait une surprenante découverte. Les femmes autochtones vivant à l'extérieur des réserves constitueraient le seul groupe démographique en croissance sur le marché canadien de l'emploi depuis la crise économique. Elles sont également de plus en plus nombreuses à accéder aux postes les mieux rémunérés.

Kateri Champagne Jourdain, une Innue de 34 ans d'Uashat Mak Mani-Utenam, près de Sept-Îles, n'est pas étonnée de ces résultats. «D'un point de vue culturel, les femmes autochtones sont habituées à prendre les choses en main. Beaucoup d'entre elles retournent à l'école pour améliorer leurs perspectives d'avenir et celles de leur famille. C'est devenu un but d'avoir une formation générale», dit la directrice des communications et des affaires publiques de la Mine Arnaud, située aux abords de sa réserve.

Le parcours de Kateri Champagne Jourdain n'est pas conventionnel. Après avoir abandonné ses études secondaires, elle a enchaîné les petits boulots dans des casse-croûtes de Montréal, où elle s'était établie. Pour se donner une vie meilleure, elle a choisi de retourner aux études. Avec un baccalauréat en communication en poche, elle est rentrée dans sa communauté où elle a créé, en 2007, son propre emploi de responsable des communications et des relations publiques au sein du conseil de bande. Quatre ans plus tard, la Mine Arnaud l'approchait pour lui offrir un poste semblable.

Kateri Champagne Jourdain a toutefois dû composer avec certains préjugés. «En raison de la discrimination positive, tu veux constamment prouver que tu mérites ton emploi, que tu ne l'as pas eu juste en raison de ton statut. Tu veux faire tes preuves non seulement en tant que femme, mais aussi en tant qu'Autochtone», explique-t-elle.

Réaliser son rêve


Marie-Christine Gagnon, avocate au sein du cabinet Borden Ladner Gervais.

Portée par une détermination et une passion indéfectibles, Marie-Christine Gagnon n'a donné aucune prise aux préjugés en dirigeant toute son attention et ses énergies vers sa pratique. Le droit est une véritable vocation pour cette trentenaire issue de la communauté innue de Pessamit, à proximité de Baie-Comeau.

«Depuis mon enfance, je rêvais de poursuivre des études et d'avoir une carrière d'avocate. J'ai été très influencée par mon grand-père qui était un leader dans notre communauté. C'était un grand défenseur de la reconnaissance des droits autochtones», explique l'avocate, qui s'est jointe au bureau montréalais du cabinet Borden Ladner Gervais en 2013.

Mme Gagnon, spécialiste en droit autochtone, épaule sa clientèle dans les négociations socioéconomiques pour la mise en valeur du Grand Nord. Grâce à son travail, elle est aux premières loges pour assister aux transformations qui s'opèrent dans les rangs autochtones. Elle parle même d'une révolution tranquille chez les Premières Nations, à laquelle les femmes participent énergiquement.

«Elles sont de plus en plus nombreuses à poursuivre des études et à accéder au marché du travail. Elles veulent se prendre en main pour assurer leur propre autonomie. Certaines d'entre elles suivent même des programmes de formation en machinerie lourde qui mènent à des emplois bien rémunérés.»

Monter en grade, augmenter son influence

Sonia Lefebvre, directrice générale de la Caisse populaire Desjardins de Wendake.

Plusieurs choisissent un secteur d'activité dominé par les hommes. C'est le cas de Sonia Lefebvre, directrice générale de la Caisse populaire Desjardins de Wendake, en banlieue de Québec. «Il y a beaucoup de femmes dans le milieu financier, mais elles sont souvent plus bas dans la hiérarchie. Plus on avance, plus on intègre un milieu d'hommes. Mais ça s'améliore avec les années.»

D'origine wendate, Sonia Lefebvre est très attachée à sa communauté. Elle y a puisé la motivation de persévérer dans le monde de la finance et de gravir un à un les échelons de la Caisse populaire Desjardins de sa réserve, où elle est entrée en 1989.

«Mon cheval de bataille, c'est le développement économique des Autochtones. Je veux les accompagner là-dedans. Je me suis rendu compte que, plus je gravissais des échelons dans l'organisation, plus j'avais un impact significatif», dit-elle.

«Je crois que, chacune à notre manière, selon nos forces, nos aptitudes et nos intérêts, nous essayons d'améliorer les perspectives de nos communautés, poursuit Kateri Champagne Jourdain. Par le fait même, nous inspirons d'autres femmes, comme nous avons été inspirées par celles qui ont ouvert le chemin avant nous. Elles étaient moins nombreuses, mais il y a certainement eu un effet d'entraînement.»

Des résultats surprenants

L'étude de Brian DePratto, de la Banque TD, démontre que les femmes autochtones vivant à l'extérieur des réserves affichent les meilleurs indicateurs de croissance sur le marché du travail canadien depuis 2007. Comment expliquer ce phénomène ?

«Les femmes autochtones ont réalisé de grands progrès sur le plan de la scolarité au cours des dernières années. Elles sont plus nombreuses à obtenir des diplômes collégial et universitaire. C'est logique que cette progression se transpose dans le marché du travail et qu'elles accèdent à de meilleurs emplois», note l'économiste.

En 2011 (dernier recensement de Statistique Canada), 35 % des femmes autochtones avaient terminé des études postsecondaires, comparativement à 28 % des hommes autochtones. Ce taux augmente à 46,6 % chez celles qui vivent à l'extérieur des réserves.

Les plus fortes croissances d'embauche ont été enregistrées dans le secteur des services, notamment en finance, en immobilier et en éducation.

Si l'écart persiste entre les taux de participation au marché du travail des femmes autochtones et non autochtones, il devrait continuer de s'amenuiser au cours des prochaines années. «Comme la population autochtone canadienne est assez jeune, la tendance observée devrait se perpétuer avec la nouvelle génération qui sera plus sensibilisée à l'importance de l'éducation», conclut Brian DePratto.

› De 2007 à 2014, le revenu moyen des femmes autochtones a augmenté de 3,2 %, une croissance plus rapide que celui des femmes non autochtones (+ 2,9 %).

› La moyenne d'âge de la population autochtone était de 28 ans en 2011, comparativement à 41 ans pour la population non autochtone.

Sources : Statistique Canada, Services économiques TD

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