Le CN humilié par le CP dans le dossier du rachat de Kansas City Southern


Édition du 22 Septembre 2021

Le CN humilié par le CP dans le dossier du rachat de Kansas City Southern


Édition du 22 Septembre 2021

(Photo: 123RF)

CHRONIQUE. Après des mois de négociations et de surenchère, le Canadien National (CN) a finalement retiré son offre d’achat de Kansas City Southern (KCS), dont le réseau s’étend de Kansas City jusqu’à Mexico, avec des embranchements vers des ports situés sur le Golfe du Mexique. KCS possède un réseau de 11 400 km de voies ferrées et emploie 6 500 personnes.

Puisque l’offre du Canadien Pacifique (CP) pour l’achat de KCS tient toujours, il appert qu’elle a de bonnes chances de se réaliser. La transaction devra évidement être approuvée par le Surface Transportation Board (STB), qui réglemente le transport ferroviaire aux États-Unis, et par deux autorités réglementaires du Mexique en matière de transport et de concurrence.

Si la transaction a lieu, le CP pourra exploiter un réseau d’environ 32 000 km, soit l’équivalent de celui du CN, qui compte 31 400 km.

L’achat de KCS par le CN aurait probablement été jugé inacceptable par le STB en raison de son impact sur la concurrence. Le CN a déjà une liaison reliant Chicago et la Nouvelle-Orléans sur la côté du Golfe du Mexique, ainsi que Mobile en Alabama. Il en aurait obtenu une autre plus à l’Ouest à partir de Kansas City.

Le CP paiera 31 milliards de dollars américains (G$ US) pour KCS, incluant les 3,8 G$ US de dette de cette dernière. Chaque action de KCS sera payée en argent (90 $US) et en actions du CP (2,884).    

L’offre du CN avait déjà pris du plomb dans l’aile avec le refus unanime des cinq membres du STB, le 31 août, de permettre au CN de créer une fiducie de vote qui lui aurait permis de payer à l’avance les actionnaires de KCS, conditionnellement à l’autorisation de la transaction. Le CP a déjà obtenu une telle approbation.

Ce refus du STB avait réjoui les investisseurs, qui ont fait monter de 20 $ CA en quelques jours le prix de l’action du CN. Ceux-ci considéraient sans doute que le prix offert par le CN était trop élevé (sa dette aurait atteint 33 G$ US, soit 4,5 fois son bénéfice brut) et ils pensaient que la transaction souhaitée par le CN allait être rejetée par le STB. Peu après l’annonce du retrait de l’offre du CN, le 15 septembre, l’action du CN s’est appréciée d’un autre 5$ CA.

Il n’en fallait pas plus pour que le londonien TCI Fund Management, actionnaire à la fois du CN (5,2 % des actions) et du CP (8 %), intervienne publiquement pour dénoncer la décision « perdue d’avance » du CN de s’être lancé dans l’achat de KCS. TCI demande maintenant le congédiement du PDG du CN, Jean-Jacques Ruest, et les démissions de quatre administrateurs, dont le président du conseil, Robert Pace.

TCI s’est aussi lancé dans une bataille de procurations pour faire élire quatre nouveaux membres au CA du CN et demander de nommer Jim Vena au poste de PDG du CN. Jim Vena a travaillé 41 ans au CN avant de passer à Union Pacific, où il a contribué à réduire le ratio des dépenses d’exploitation de 63 % des revenus à 56 % de 2018 à 2021.

L’héritage de Hunter Harrison

Jim Vena, qui est entré au CN comme serre-frein, est un émule de Hunter Harrison, qui a contribué à faire du CN la société de chemin de fer nord-américaine la plus efficace lorsqu’il en a été un haut dirigeant de 1998 à 2009. Hunter Harrison a ensuite répété cet exploit au CP, où il a fait passer le ratio d’exploitation de 81 % en 2011 à 62 % en 2017, année de son départ.

Quand Hunter Harrison, un personnage plus grand que nature (il a été PDG de quatre transporteurs ferroviaires), s’est joint au CP à la suite d’une bataille de procurations menée par l’activiste new-yorkais Bill Ackman (Pershing Square Capital), le CP a dû compenser le CN pour faire annuler la clause de non-concurrence de son ex-chef de la direction. Il est intéressant de constater que la bataille de procurations dans laquelle le milliardaire Chris Horn de TCI s’engage est identique à celle que Ackman a menée pour imposer Harrison au CP, qui était alors la moins efficace des transporteurs ferroviaires nord-américains. Reste à savoir si Horn réussira lui aussi son coup.

Autre facteur de frustration pour le CN face au CP, huit mois après être devenu PDG du CP en 2012, Harrison a recruté son protégé Keith Creel, alors numéro deux du CN, pour en faire son propre numéro deux au CP, où ce dernier a ensuite succédé à son mentor en 2017. Or, c’est ce même Creel qui a concocté l’offre d’achat de KCS par le CP, ce qui a sans doute été vu comme un coup fourré par ses anciens collègues du CN, lesquels, sans tarder, se sont lancés dans la course pour l’achat de KCS.

Le CN sort amoché de cette aventure audacieuse, hautement risquée et vraisemblablement motivée par un esprit de revanche à la suite des blessures laissées par les passages au CP de Harrison et de Creel, qui était considéré comme une étoile montante au CN. 

Offensive activiste

Le CN doit maintenant se défendre contre le fonds activiste TCI, qui, après avoir combattu avec succès la tentative du CN d’acquérir KCS, pourrait réussir à installer Jim Vena dans le siège du PDG du CN.

Si ce dernier, qui est allé à l’école de Harrison et qui a réussi à faire réduire les coûts d’exploitation de Union Pacific de 62 % en 2017 à 56 % en 2021, applique la même recette au CN, TCI en sortira gagnant à nouveau, tout comme les autres actionnaires. Rappelons que lorsque Vena a été le numéro deux du CN de 2013 à 2016, le ratio d’exploitation de ce dernier a baissé de 64 % à 58 %. Ce ratio est maintenant de 62 %, soit le plus élevé de l’industrie (taux moyen de 55 %).

Également actionnaire du CP avec 8 % des actions, TCI retirera des bénéfices de la croissance de la société de Calgary et de son accès au marché mexicain, grand gagnant de l’accord de libre-échange nord-américain. Selon le CP, l’achat de KCS procurerait une synergie de 1 G$ US en trois ans.

Cet échec du CN est un coup dur à l’orgueil de certains de ses dirigeants. Par contre, la société obtiendra de KCS un important prix de consolation, soit l’encaissement de 1,4 G$ US en frais de résiliation et frais de remboursement des frais de résiliation prévu dans l’entente avec le CP. Naturellement, ces déboursés se retrouveront dans la dette que devra contracter le CP pour acquérir KCS.

Ainsi se termine un épisode peu glorieux de l’histoire du CN.

 

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J’aime

La construction d’avions commerciaux a le vent dans les voiles à Montréal. Au moment où elle vient de lancer une version améliorée de son Challenger 350, Bombardier a révélé avoir livré 55 jets d’affaires entre janvier et juin. De son côté, Airbus a annoncé qu’elle accroîtra sa cadence de production du A220 (anciennement CSeries). De 5 avions assemblés par mois à Mirabel et à Mobile, la cadence passera à 6 en 2022 et à 14 en 2025, alors que 10 appareils seront assemblés à Mirabel. Airbus a un carnet de commandes d’environ 490 A220 en incluant une commande récente de 20 A220-300 de Breeze Airways. Ces derniers appareils seront toutefois assemblés à Mobile, en Alabama.

Je n’aime pas

Le Québec se dirige tout droit vers l’impasse dans les soins de longue durée. Il ne leur consacre que 1,3% de son produit intérieur brut (PIB), comparativement à une moyenne de 1,7% pour les pays de l’OCDE. Pour contrer cet écart, il devrait hausser ses dépenses à ce titre de 31 % ou de 1,8 G$. Le gouvernement, pendant la pandémie de la COVID-19, ayant mal géré ses obligations envers ses quelque 750 000 citoyens de 75 ans et plus, comment pourra-t-il prendre en charge les 385000 autres qui s’ajouteront au cours des dix prochaines années ? Une partie de la solution réside dans un meilleur soutien aux soins à domicile. Ces données proviennent d’une étude économique sur les soins à domicile réalisée par Alain Dubuc, de l’Institut du Québec.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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