La vente de Rona à Lowe's : mythes, réalités et leçons à tirer

Offert par Les Affaires


Édition du 20 Février 2016

La vente de Rona à Lowe's : mythes, réalités et leçons à tirer

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Édition du 20 Février 2016

[Photo : Bloomberg]

La vente probable de Rona au géant américain Lowe's est porteuse de leçons.

Pour bien comprendre cette transaction, effectuons d'abord un survol historique. Rona est créée en 1939 par des quincailliers qui veulent regrouper leurs achats pour obtenir de meilleurs prix des fournisseurs. Pendant plusieurs décennies, son développement se limite au Québec. Sa croissance est ralentie du fait que les marchands conservent les profits dans leur entreprise plutôt que d'en faire bénéficier le regroupement d'achats.

La popularité du régime d'épargne- actions (RÉA) au début des années 1980 fournit une occasion de croissance accélérée. Rona recourt au financement public par actions et développe une stratégie d'expansion dans les autres provinces.

Rona adopte le concept de magasins à grande surface en raison du succès qu'ils remportent aux États-Unis et de l'arrivée de Home Depot au Canada. Puis, à l'extérieur du Québec, le groupe bâtit des magasins à grande surface et multiplie les acquisitions. Au début des années 2010, Rona se retrouve avec un réseau d'une dizaine d'enseignes, des magasins de taille différente, certains étant détenus par des franchisés et d'autres, par le groupe lui-même, avec, en prime, des systèmes informatiques différents. L'intégration des opérations est très difficile et la rentabilité en souffre.

Des investisseurs institutionnels, dont la Caisse de dépôt et placement, sont mécontents. Lowe's s'installe au Canada, et le pdg de Rona à l'époque, Robert Dutton, tente sans succès d'acheter ses magasins en échange d'une participation dans la société québécoise. En 2011, des investisseurs institutionnels recrutent une banque d'affaires pour sonder les véritables intentions de Lowe's.

À l'été 2012, Lowe's fait une offre d'achat sur les actions de Rona, offre qui est rejetée par le conseil d'administration (CA) de Rona. Des investisseurs institutionnels continuent d'exercer de la pression. En novembre, Robert Dutton est invité à quitter son poste. On renouvelle le CA. En janvier 2013, Robert Chevrier quitte la présidence du CA d'Uni-Sélect pour prendre celle du CA de Rona. En mars, Robert Sawyer, qui a solidifié les activités de Metro en Ontario, est nommé pdg.

Leur mission : optimiser l'exploitation de Rona. Le secteur de la distribution des articles de plomberie est vendu ; 11 magasins sont fermés au Canada anglais ; 20 magasins à grande surface appartenant à des franchisés sont rachetés ; Rona procède à des mises à pied et rachète des actions.

Les stratégies sont claires : plus question pour Rona de vouloir sortir Lowe's du marché. Pour Lowe's, l'achat de Rona éliminerait un concurrent et lui procurerait la taille nécessaire pour mieux affronter Home Depot. Pour montrer sa bonne foi, Lowe's recrute un Québécois, Sylvain Prud'homme, pour diriger sa filiale canadienne.

Constats et leçons

1. Une société (telle que Rona) ne peut pas compter sur l'appui à long terme des investisseurs institutionnels si elle ne présente pas de bonnes perspectives de rendement. Toutefois, il est très curieux qu'Investissement Québec ait vendu rapidement son bloc d'actions. Un signal pour Lowe's ?

2. L'argent est le facteur déterminant dans la décision d'un CA lorsqu'on lui soumet une offre d'achat. Celle de Lowe's permet aux hauts dirigeants, qui ont beaucoup d'options d'achat et d'actions de Rona, et aux administrateurs de passer à la caisse. Ces derniers ont eu à arbitrer un conflit entre les intérêts des actionnaires et ceux de la société.

3. Rona est un joyau de l'entrepreneuriat québécois, mais elle n'est pas une entreprise stratégique. Le Québec perd un siège social. La transaction crée de l'incertitude pour les employés, les fournisseurs et les franchisés, qui seront invités à rejoindre d'autres groupes. Contrairement à Rona, BMR, qui appartient à la Coop fédérée, dispose d'une protection contre sa vente. Les promesses de Lowe's sont sans valeur légale.

4. Contrairement aux prétentions de certains, le Québec ne peut pas bloquer une telle transaction. Nous sommes ouverts sur le monde et plusieurs sociétés québécoises (CGI, Couche-Tard, Saputo, WASP, SNC-Lavalin, etc.) investissent massivement à l'étranger. Nous avons besoin de capitaux pour nous développer et nous ne devons pas être perçus comme fermés à l'investissement étranger. Il serait très mal vu de partir en guerre contre le CA de Rona, alors que la Caisse de dépôt de placement veut vendre ses actions.

5. Le Québec inc. n'a pas encore assez d'outils, de capital et de force financière pour se protéger contre un assaut comme celui dont Rona est l'objet. Nous manquons de grands groupes industriels et financiers privés capables d'affronter les prédateurs. Il faut avoir collectivement plus d'appétit pour les affaires et la richesse.

6. La faiblesse du dollar n'est pas un élément clé. Si l'on tient compte de l'évolution du taux de change et du fait que l'offre inclut maintenant le rachat des actions privilégiées, Lowe's ne paie pas beaucoup plus cher en dollars américains que lors de sa première offre d'achat.

7. La perte du contrôle de Rona résulte de sa stratégie de croissance trop ambitieuse et de son incapacité à maintenir une rentabilité élevée. Une forte rentabilité aurait encouragé les investisseurs à payer un prix élevé pour ses actions, et Rona aurait pu alors mieux se protéger des prédateurs à la recherche d'aubaines.

J'aime

La Ville de Montréal a créé un groupe de travail sur la fiscalité non résidentielle. Son objectif : déterminer des solutions à la taxation excessive qui frappe les entreprises établies à Montréal. Cette surcharge nuit à l'entrepreneuriat, à l'investissement et au développement de l'activité économique et commerciale.

Je n'aime pas

Il semble y avoir un problème de gouvernance à l'Université Concordia. L'indemnité de 235 000 $ accordée à Sonia Trudel, ex-directrice des finances, à la suite d'un départ volontaire après trois mois de travail, est scandaleuse. En 2010, l'ex-présidente Judith Woodsworth avait reçu une indemnité de 703 500 $ après deux ans et demi en poste. En 2007, son prédécesseur, Claude Lajeunesse, en avait obtenu une de 1,3 M$ après avoir été un peu plus de deux ans en poste. Or, Concordia afficherait un déficit de 8 M$ cette année.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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