La réputation d'Air Canada ternie par l'aveuglement des administrateurs


Édition du 16 Juin 2021

La réputation d'Air Canada ternie par l'aveuglement des administrateurs


Édition du 16 Juin 2021

avion

(Photo: John McArthur pour Unsplash)

CHRONIQUE. Les cinq hauts dirigeants d’Air Canada, qui avaient reçu des « primes de motivation » pour leur bonne gestion de l’impact de la pandémie de la COVID-19, viennent de retourner ces cadeaux empoisonnés. Ce rare recul de la part d’une société sur une question de rémunération s’explique par la réprobation populaire devant les primes accordées et le désaveu du gouvernement canadien.

L’ancien PDG, Calin Rovinescu, qui a pris sa retraite en février dernier, et l’actuel PDG, Michael Rousseau, ont renoncé aux bonis respectifs de 723 000 $ et de 420 000 $ que le conseil d’administration leur avait octroyés. Trois autres hauts dirigeants, qui avaient reçu ensemble 696 150 $, ont fait de même. Pour sa part, Calin Rovinescu remettra la somme reçue à la Fondation Air Canada et il ne demandera pas de déduction fiscale pour son don. Une somme d’environ 8,15 M$ a aussi été distribuée à environ 800 cadres intermédiaires pour récompenser leur résilience pendant la pandémie.

L’octroi de ces primes à de hauts dirigeants très bien rémunérés d’une société qui a mis à pied 20 000 salariés a annulé complètement le geste de solidarité qu’ils avaient posé au début de la pandémie. Messieurs Rovinescu et Rousseau avaient renoncé à leur salaire pendant les mois d’avril, mai et juin et avaient réduit celui-ci de 50 % pour le reste de 2020. Les trois autres hauts dirigeants avaient accepté une baisse de leur salaire de 50 % au cours du deuxième trimestre et l’avaient réduit de 20 % pour le reste de l’année. Ces initiatives avaient fait épargner à Air Canada 766 723 $, dont 490 000 $ de la part de Calin Rovinescu.

 

Aveuglement des administrateurs

Ce cafouillage s’explique par l’incapacité des administrateurs d’Air Canada de prévoir la réaction de la population et du gouvernement fédéral quant aux récompenses accordées grâce à l’argent des actionnaires à de hauts dirigeants déjà très bien payés. Ils n’ont pas vu les risques de leur décision sur la réputation de leur société, même s’ils en sont pourtant les gardiens ultimes.

Accordée pour 2020, cette bonification était certes légale puisque le gouvernement canadien ne l’avait pas interdite dans le plan de sauvetage de 5,9 milliards de dollars qui a été consenti au transporteur. Ottawa avait interdit la hausse des salaires des hauts dirigeants, les paiements de dividendes et les rachats d’actions pour ne pas enrichir les actionnaires à même l’argent des contribuables.

Cet aveuglement n’est pas propre à Air Canada. Les hauts dirigeants et les administrateurs de grandes sociétés se voient souvent comme faisant partie d’une sorte de club sélect et ils se croient justifiés de bénéficier d’une rémunération exceptionnelle et d’avantages particuliers qui les distinguent du monde ordinaire.

Ils bénéficient de politiques de rémunération qui sont à la fois généreuses et souvent très complexes et il arrive que des administrateurs n’en saisissent même pas toutes les dimensions. Celles-ci sont structurées par de grandes firmes de consultation spécialisées qui appliquent leur modèle à toute société désireuse de profiter de leur expertise.

Celle d’Air Canada ne fait pas exception. Elle comprend des options, des unités d’actions liées au rendement, des unités d’actions différées, des unités d’actions à négociation restreinte et des droits à la plus-value des actions, un savant montage d’outils imaginé par les experts de Willis Towers Watson, qui ont reçu l’an dernier 88 000 $ pour leurs services.

 

Système indécent

Ce système de rémunération a pris naissance dans les années 1950, lorsqu’un certain Arch Patton, consultant de McKinsey, a entrepris de mettre son ingéniosité au service de PDG qui voulaient accroître leur rémunération. Sa popularité est devenue si grande qu’on le surnomma le « parrain des mégapayes des PDG ». Interrogé plus tard sur sa contribution professionnelle, il a répondu « coupable », sachant qu’il avait créé et fait la promotion d’un système qui allait faire exploser la rémunération des PDG et accroître les inégalités au sein des entreprises. Ce phénomène a graduellement gagné plusieurs pays et ne s’est plus jamais arrêté. Patton se roulerait dans sa tombe s’il constatait les abus d’aujourd’hui.

Les systèmes de rémunération des grandes entreprises varient en générosité, en créativité et en complexité selon leur taille. La palme revient aux banques de Wall Street, où les rémunérations sont, année après année, toujours plus excessives par rapport à celle de la plèbe, qui se bat en vain pour un salaire minimum de 15 $/h (30 000 $ par année). Cet écosystème se répercute ensuite dans les autres secteurs de l’économie et crée un effet inflationniste, chaque société étant fière de montrer que son PDG est mieux traité que celui des autres entreprises de taille semblable.

« Les pratiques de rémunération des PDG sont criminellement stupides », a déjà déclaré Roger Martin, ancien doyen de la Rotman School of Management de l’Université de Toronto, qui a déjà été administrateur de BlackBerry et de Thomson Reuters. « Je ne siégerai plus à aucun autre conseil, à l’exception des OSBL. Je n’ai jamais pu y avoir un impact sur la question des rémunérations. J’ai détesté cela. » À l’instar d’autres experts en gouvernance, Roger Martin estime que les options d’achat, qui encouragent les dirigeants à faire monter les prix des actions en Bourse, amènent ceux-ci à gérer en fonction du court terme, plutôt qu’à long terme.

Certains pays européens ont commencé à s’attaquer à la question des rémunérations excessives, mais ils ne pourront pas aller très loin aussi longtemps que les États-Unis n’agiront pas sur ce plan, ce qui ne semble pas être une priorité de leurs dirigeants.

Le président Biden voudrait hausser les impôts des riches pour contrecarrer l’effet des rémunérations excessives, mais la fiscalité ne corrigera pas la pratique actuelle, qui fait maintenant partie de la culture des grandes sociétés.

Pour sa part, le Canada cherche à réduire l’avantage fiscal des options d’achat. Cette mesure est pertinente sur le plan de l’équité fiscale et sur la gestion des entreprises, mais elle n’aura probablement pas d’effet sur les inégalités au sein des entreprises.

 

*** 

J’aime 

Le gouvernement du Québec a adopté une loi qui obligera les entreprises inscrites au Registraire des entreprises à dévoiler les véritables propriétaires qui se cachent derrière elles avec des sociétés-écrans et des sociétés à numéro. Cette loi, qui place le Québec à l’avant-garde au Canada, facilitera la lutte contre l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et le financement d’activités terroristes. Toutefois, cette lutte aurait été être plus efficiente si la loi n’avait pas plafonné à 25 % le pourcentage de propriété des entreprises au-delà duquel elle s’applique.

 

Je n’aime pas 

Deux entreprises viennent d’abîmer leur réputation par leur manque de respect flagrant envers des travailleurs qui leur font faire des profits et qui assurent leur pérennité. À Drummondville, les serres Demers hébergent des travailleurs temporaires guatémaltèques dans des bâtiments insalubres. L’établissement est sous surveillance gouvernementale, mais aucune amende n’a encore été imposée. À Rivière-du-Loup, les Viandes duBreton ont retardé la fermeture de leur usine malgré une éclosion de plus de 120 cas de COVID-19, ont négligé de faire passer à leurs salariés des tests qui leur étaient disponibles et ont abandonné à leur sort des employés temporaires guatémaltèques mis à pied sans salaire pendant la fermeture de l’établissement.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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