La faible croissance de sa population affaiblira le Québec au sein du Canada


Édition du 25 Mai 2022

La faible croissance de sa population affaiblira le Québec au sein du Canada


Édition du 25 Mai 2022

François Legault (Photo: Getty Images)

La faible croissance de sa population 
affaiblira le Québec au sein du Canada
Jean-Paul Gagné
François Legault avait promis un « gouvernement économique ». On l’a eu, mais il lui manque une vision à long terme, soit la reconnaissance qu’une forte croissance de la population renforcerait l’économie du Québec, accroîtrait sa capacité financière, le rendrait plus compétitif et préserverait son poids politique au sein du Canada.
C’est une dynamique que François Legault connaît, mais qu’il se refuse à exécuter pour des raisons électoralistes. Son parti a remporté un immense succès dans les circonscriptions très majoritairement francophones aux élections de 2018 et sa popularité s’y maintient. À moins d’un séisme, la Coalition avenir Québec (CAQ) sera réélue.
Après avoir réalisé sa promesse de réduire de 50 000 à 40 000 le nombre d’immigrants en 2019, il a fait voter la loi 21 pour sortir les femmes voilées des écoles primaires et secondaires et il a présenté la loi 96 sur le français, « une espèce de bric-à-brac de demi-mesures et de dispositions inutilement vexatoires », selon le chroniqueur Michel David (« Le Devoir », 17 mai 2022). La base nationaliste du parti est contente.
À cause de la pénurie de main-d’œuvre, des patrons crient au secours, mais rien n’ébranle le gouvernement. Pourtant, selon un sondage auprès de 500 PME fait pour STIQ, 15 % des PME délocalisent des activités hors Québec, 70 % livrent les commandes en retard, 60 % refusent des contrats et 20 % reconnaissent qu’elles rognent sur la qualité. Même si 95 % d’entre elles ont augmenté leurs prix, 60 % subissent une baisse de leur rentabilité. Selon le Conseil du patronat (CPQ), le secteur manufacturier a perdu 18 G$ de contrats et d’occasions d’affaires en deux ans. Qu’importe !
Devant la demande du CPQ d’accroître à 80 000 par année le nombre d’immigrants pendant quatre ans, le ministre Pierre Fitzgibbon est allé au bâton : « Ce n’est pas souhaitable et cela n’arrivera pas, a-t-il dit en substance. Il y a 240 000 emplois non pourvus, dont 210 000 ne demandent pas de diplôme universitaire. Il y a 200 000 jeunes qui ne sont ni aux études ni en emploi. Il y a 180 000 chômeurs et il y a 80 000 personnes de 60 ans et plus qui pourraient travailler si on ramenait leur taux d’emploi au niveau de celui de l’Ontario. On peut aussi augmenter l’immigration temporaire. En plus, il y a les dossiers de 50 000 travailleurs qualifiés qui traînent toujours au fédéral. »
En clair, le gouvernement Legault ne veut pas bouger sur la question de l’immigration. Surtout pas à quelques mois des élections. Il pourrait toutefois examiner les excellentes propositions que le CPQ vient de publier.
Québec veut revenir à 50 000 immigrants par année, sans compter les travailleurs étrangers temporaires, qui sont en forte hausse. Souvent exploités par les employeurs, la plupart ne peuvent obtenir de certificat de sélection du Québec. Ils doivent soit retourner dans leur pays, soit tenter de migrer dans une autre province. Ils sont les parents pauvres du système.
La peau de chagrin
Au-delà de la pénurie de main-d’œuvre, qu’un relèvement notable des seuils d’immigration atténuerait, la frilosité du gouvernement a des effets préjudiciables pour l’avenir du Québec. Une situation qui ne fera qu’empirer si la tendance démographique se concrétise et si le gouvernement ne change pas d’idée.
Ottawa veut accueillir 432 000 immigrants en 2022 (1,33 million jusqu’en 2024), comparativement à 70 000 cette année au Québec, en incluant un rattrapage de 18 000 travailleurs temporaires. C’est 16,2 % du total canadien, alors que la population québécoise compte pour 22,5 % de celle du pays. Le Québec devrait en accueillir 300 000 en trois ans pour garder sa proportion de la population canadienne, mais cela n’arrivera pas. L’Ontario continuera d’absorber près de 50 % des immigrants du pays, alors que sa population représente 39 % de celle du Canada.
Selon des projections de Statistique Canada pour 2018-2043, la population du Québec passerait de 8,4 millions en 2018 à une fourchette de 8,7 à 10,4 millions, selon des scénarios de faible croissance à très forte croissance, en 2043, soit de 20,1 % à 20,6 % de la population canadienne. Sachant que le Québec représentait 28 % de la population canadienne en 1971 (26 % en 1981, 25 % en 1991, 24 % en 2001), c’est toute une dégringolade qui l’attend. En 30 ans, le Québec sera passé du quart au cinquième de la population canadienne. Ce n’est pas marginal !
Bien sûr, il se sera élevé bien des voix pour demander à Ottawa de conserver la proportion actuelle des députés québécois dans le Parlement canadien, mais cela deviendra aussi intenable qu’injustifiable. La faute en incombera aux mêmes voix qui votent aujourd’hui pour restreindre l’immigration.
Voulons-nous rester une province qui rapetisse sur le plan démographique, qui sacrifie son influence politique et qui accepte que sa capacité financière s’étiole par rapport à celle de l’Ontario ? Sommes-nous satisfaits d’une vision rétrécie ou voulons-nous voir grand pour les prochaines générations ?
Nous faisons face à un enjeu sociétal dont il faut discuter sereinement et qui devrait notamment mobiliser tous les partis politiques et l’ensemble des leaders socioéconomiques.
J’aime
Le choix de Montréal pour la construction d’une usine de fabrication de vaccins de 180 millions de dollars par Moderna résulte sans doute des avantages financiers que les gouvernements lui accorderont et de l’excellence de l’écosystème montréalais de recherche dans les sciences de la santé. Le Québec bénéficiera aussi d’investissements dans la filière des batteries pour voitures (fabrication d’anodes et de cathodes, recyclage). Toutefois, ces projets sont bien modestes en comparaison des quelque 12 milliards de dollars investis par GM, Ford, Stellantis, Honda, ArcelorMittal et des sous-traitants de l’industrie automobile.
Je n’aime pas
François Legault a déjà dénoncé les effets pervers de l’étalement urbain et proposé plusieurs mesures pour l’atténuer (dans son livre « Cap sur un Québec gagnant »), mais son gouvernement ignore ce défi à en juger par les propos « fallacieux », « populistes » et « dangereux » de certains ministres, selon l’interprétation qu’en font certains maires. Piqué au vif, le premier ministre a annoncé une politique d’architecture et d’aménagement qui s’intéresserait à la densification des villes et à la qualité des milieux de vie. Toutefois, celle-ci ne s’attaquerait pas directement à l’étalement urbain. 

CHRONIQUE. François Legault avait promis un « gouvernement économique ». On l’a eu, mais il lui manque une vision à long terme, soit la reconnaissance qu’une forte croissance de la population renforcerait l’économie du Québec, accroîtrait sa capacité financière, le rendrait plus compétitif et préserverait son poids politique au sein du Canada.

C’est une dynamique que François Legault connaît, mais qu’il se refuse à exécuter pour des raisons électoralistes. Son parti a remporté un immense succès dans les circonscriptions très majoritairement francophones aux élections de 2018 et sa popularité s’y maintient. À moins d’un séisme, la Coalition avenir Québec (CAQ) sera réélue.

Après avoir réalisé sa promesse de réduire de 50 000 à 40 000 le nombre d’immigrants en 2019, il a fait voter la loi 21 pour sortir les femmes voilées des écoles primaires et secondaires et il a présenté la loi 96 sur le français, « une espèce de bric-à-brac de demi-mesures et de dispositions inutilement vexatoires », selon le chroniqueur Michel David (« Le Devoir », 17 mai 2022). La base nationaliste du parti est contente.

À cause de la pénurie de main-d’œuvre, des patrons crient au secours, mais rien n’ébranle le gouvernement. Pourtant, selon un sondage auprès de 500 PME fait pour STIQ, 15 % des PME délocalisent des activités hors Québec, 70 % livrent les commandes en retard, 60 % refusent des contrats et 20 % reconnaissent qu’elles rognent sur la qualité. Même si 95 % d’entre elles ont augmenté leurs prix, 60 % subissent une baisse de leur rentabilité. Selon le Conseil du patronat (CPQ), le secteur manufacturier a perdu 18 G$ de contrats et d’occasions d’affaires en deux ans. Qu’importe !

Devant la demande du CPQ d’accroître à 80 000 par année le nombre d’immigrants pendant quatre ans, le ministre Pierre Fitzgibbon est allé au bâton : « Ce n’est pas souhaitable et cela n’arrivera pas, a-t-il dit en substance. Il y a 240 000 emplois non pourvus, dont 210 000 ne demandent pas de diplôme universitaire. Il y a 200 000 jeunes qui ne sont ni aux études ni en emploi. Il y a 180 000 chômeurs et il y a 80 000 personnes de 60 ans et plus qui pourraient travailler si on ramenait leur taux d’emploi au niveau de celui de l’Ontario. On peut aussi augmenter l’immigration temporaire. En plus, il y a les dossiers de 50 000 travailleurs qualifiés qui traînent toujours au fédéral. »

En clair, le gouvernement Legault ne veut pas bouger sur la question de l’immigration. Surtout pas à quelques mois des élections. Il pourrait toutefois examiner les excellentes propositions que le CPQ vient de publier.

Québec veut revenir à 50 000 immigrants par année, sans compter les travailleurs étrangers temporaires, qui sont en forte hausse. Souvent exploités par les employeurs, la plupart ne peuvent obtenir de certificat de sélection du Québec. Ils doivent soit retourner dans leur pays, soit tenter de migrer dans une autre province. Ils sont les parents pauvres du système.

 

La peau de chagrin

Au-delà de la pénurie de main-d’œuvre, qu’un relèvement notable des seuils d’immigration atténuerait, la frilosité du gouvernement a des effets préjudiciables pour l’avenir du Québec. Une situation qui ne fera qu’empirer si la tendance démographique se concrétise et si le gouvernement ne change pas d’idée.

Ottawa veut accueillir 432 000 immigrants en 2022 (1,33 million jusqu’en 2024), comparativement à 70 000 cette année au Québec, en incluant un rattrapage de 18 000 travailleurs temporaires. C’est 16,2 % du total canadien, alors que la population québécoise compte pour 22,5 % de celle du pays. Le Québec devrait en accueillir 300 000 en trois ans pour garder sa proportion de la population canadienne, mais cela n’arrivera pas. L’Ontario continuera d’absorber près de 50 % des immigrants du pays, alors que sa population représente 39 % de celle du Canada.

Selon des projections de Statistique Canada pour 2018-2043, la population du Québec passerait de 8,4 millions en 2018 à une fourchette de 8,7 à 10,4 millions, selon des scénarios de faible croissance à très forte croissance, en 2043, soit de 20,1 % à 20,6 % de la population canadienne. Sachant que le Québec représentait 28 % de la population canadienne en 1971 (26 % en 1981, 25 % en 1991, 24 % en 2001), c’est toute une dégringolade qui l’attend. En 30 ans, le Québec sera passé du quart au cinquième de la population canadienne. Ce n’est pas marginal !

Bien sûr, il se sera élevé bien des voix pour demander à Ottawa de conserver la proportion actuelle des députés québécois dans le Parlement canadien, mais cela deviendra aussi intenable qu’injustifiable. La faute en incombera aux mêmes voix qui votent aujourd’hui pour restreindre l’immigration.

Voulons-nous rester une province qui rapetisse sur le plan démographique, qui sacrifie son influence politique et qui accepte que sa capacité financière s’étiole par rapport à celle de l’Ontario ? Sommes-nous satisfaits d’une vision rétrécie ou voulons-nous voir grand pour les prochaines générations ?

Nous faisons face à un enjeu sociétal dont il faut discuter sereinement et qui devrait notamment mobiliser tous les partis politiques et l’ensemble des leaders socioéconomiques.

 

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J’aime

Le choix de Montréal pour la construction d’une usine de fabrication de vaccins de 180 millions de dollars par Moderna résulte sans doute des avantages financiers que les gouvernements lui accorderont et de l’excellence de l’écosystème montréalais de recherche dans les sciences de la santé. Le Québec bénéficiera aussi d’investissements dans la filière des batteries pour voitures (fabrication d’anodes et de cathodes, recyclage). Toutefois, ces projets sont bien modestes en comparaison des quelque 12 milliards de dollars investis par GM, Ford, Stellantis, Honda, ArcelorMittal et des sous-traitants de l’industrie automobile.

 

Je n’aime pas

François Legault a déjà dénoncé les effets pervers de l’étalement urbain et proposé plusieurs mesures pour l’atténuer (dans son livre « Cap sur un Québec gagnant »), mais son gouvernement ignore ce défi à en juger par les propos « fallacieux », « populistes » et « dangereux » de certains ministres, selon l’interprétation qu’en font certains maires. Piqué au vif, le premier ministre a annoncé une politique d’architecture et d’aménagement qui s’intéresserait à la densification des villes et à la qualité des milieux de vie. Toutefois, celle-ci ne s’attaquerait pas directement à l’étalement urbain.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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