La dispute États-Unis-Chine est dangereuse pour l’économie


Édition du 14 Septembre 2019

La dispute États-Unis-Chine est dangereuse pour l’économie


Édition du 14 Septembre 2019

CHRONIQUE. Les perceptions peuvent être fatales en politique. Ce sont de telles erreurs qui ont conduit à la ­Première ­Guerre mondiale, de 1914 à 1918. Idem pour la célèbre guerre du ­Péloponnèse. Lancée par ­Sparte après avoir cru erronément qu’Athènes se préparait à l’attaquer, cette guerre, qui a duré de 431 à 404 avant ­Jésus-Christ, a mis fin à l’âge d’or de la ­Grèce antique.

La guerre commerciale que le président ­Donald ­Trump a déclarée à la ­Chine pourrait bien elle aussi être motivée pas de fausses perceptions. Alors que l’instinct l’emporte sur la raison dans les décisions de ­Trump, son ­vis-à-vis chinois, ­Xi ­Jinping, a un intérêt politique à continuer ce conflit.

Trump a lancé cette guerre pour conforter sa base(40 % des électeurs). Autre avantage, elle permet aussi de détourner l’attention sur ses scandales et autres déboires. De son côté, ­Xi ­Jinping l’utilise aussi pour attiser le nationalisme chez ses citoyens, montrer la résilience de la ­Chine, profiter de la faiblesse de ­Trump pour diviser l’Occident, affirmer son propre leadership et avertir les autres pays que la ­Chine ne s’en laisse pas imposer.

Inspiré par ­Steve ­Bannon, qui fut son principal stratège pendant sa campagne et lors des six mois qu’il a passés à la ­Maison-Blanche, ­Trump a fait de la lutte aux accords commerciaux un de ses principaux engagements.

Il a rapidement sorti son pays du projet d’Accord de partenariat ­transpacifique global et progressiste, imposé des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium, dénoncé l’ALÉNA, qui fut renégocié et rebaptisé l’ACEUM et qui est bloqué au ­Congrès, et lancé la guerre commerciale contre la ­Chine. Plus récemment, il s’en est pris à l’OMC pour les traitements de faveur qu’elle ferait à 11 pays, dont la ­Chine, la ­Corée du ­Sud, le ­Mexique, la ­Turquie et ­Singapour.

Contre sa première cible, la ­Chine, ­Trump a tiré sa première salve en avril 2018 et a ajouté quatre autres séries de tarifs depuis. Alors que le tarif moyen américain sur les produits importés de ­Chine était de 3,1 % en 2017, ­celui-ci est, depuis le1er septembre 2019, de 21,2 % sur des biens représentant 68,5 % des importations américaines de produits chinois. Il sera porté à 22,1 % le ler octobre et à 24,3 % le 15 décembre sur 97 % des importations de la ­Chine, lesquelles se sont élevées à 540 milliards de dollars américains en 2018. C’est énorme.

Impact majeur

L’incertitude créée par cette guerre ferait perdre 1 % au ­PIB américain d’ici 2020 selon la ­Réserve fédérale. De plus, selon ­JP ­Morgan, si les tarifs prévus pour le15 décembre sont mis en place, il en coûtera 1 000 $ ­US de plus par année à un consommateur américain pour se procurer des produits chinois. ­Celui-ci comprendra vite que ­Trump lui a menti en lui disant que les tarifs allaient être payés par les ­Chinois.

­Trump a aussi bloqué totalement les exportations de produits et de composants américains entrant dans la production de produits électroniques et militaires.

La pression devient très forte. Après qu’elle a annoncé le dépôt d’une plainte contre les pratiques américaines auprès de l’OMC, la ­Chine a fait savoir que leurs négociateurs commerciaux allaient se rencontrer au début d’octobre.

Déjà, des entreprises américaines, telles ­Hasbro, qui distribue des jouets et des jeux, ­Abercrombie & ­Fitch et ­Express, qui importent et vendent des vêtements faits en ­Chine, ont annoncé des relocalisations de production au ­Vietnam et en ­Inde.

Dans un tweet rageur, lancé tout de suite après l’annonce par la ­Chine de mesures de représailles sur 75 milliards de produits américains, qui seraient­ taxés à la hauteur de 25,9 % à compter du 15 décembre, ­Trump a invité les sociétés américaines installées en ­Chine d’en sortir. Puis, il s’en est pris au président de la ­Réserve fédérale, à qui il a demandé de baisser les taux d’intérêt de un point et qu’il a accusé d’être un des pires ennemis des ­États-Unis.

Malgré sa gravité, il est difficile de voir comment évoluera cette guerre des nerfs. Alors que ­Xi ­Jinping est méthodique et discipliné, ­Trump est instable, imprévisible et incohérent.

Même s’il se décrit, dans son livre ­The ­Art of the ­Deal, comme le plus grand négociateur du monde, ­Trump pourrait s’écraser devant ­Xi s’il pense qu’il pourrait faire croire à ses citoyens qu’il a négocié le meilleur accord commercial du monde même si ce n’est pas vrai. On a vu comment il s’est dégonflé devant ­le dictateur de la ­Corée du ­Nord, ­Kim ­Jong-un, qu’il a traité de ­Rocketman dont il a menacé de détruire le pays.

Risque de récession

Trump reconnaîtra ­peut-être bientôt l’impact catastrophique de ses tarifs sur les citoyens et les entreprises de son pays, et sur ses chances de réélection. Outre les consommateurs, d’autres clientèles politiques de ­Trump constatent que les tarifs de leur président font mal. Pour plaire à 140 000 travailleurs de l’acier, dont les importations sont l’objet d’un tarif de 25 %, ­Trump a nui aux exportations en ­Chine de 3,2 millions de producteurs agricoles, qui sont de plus en plus nombreux à faire faillite.

L’économie américaine donne des signes de ralentissement. La création d’emploi est moins forte, l’important indice manufacturier ­ISM est passé de 51,2 en juin à 49,5 en août et la courbe des taux de rendement des obligations du gouvernement vient de s’inverser, les taux de deux ans étant maintenant plusélevés que ceux de dix ans, ce qui est un signe annonciateur d’une récession.

Les ventes de nouvelles maisons sont en baisse, de même que les investissements en capital et les livraisons de biens durables. Quant au ­PIB, il a augmenté de seulement 2,1 % au deuxième trimestre, après un gain de 3,2 % au cours des trois mois précédents. Plusieurs autres pays ont subi des baisses de leur indice manufacturier. En­Allemagne, principalpays européen, le ­PIBa reculé de 0,1 % au deuxième trimestre.

Certes, on n’est pas encore au bord du précipice. Cependant, si les tarifs annoncés par les deux belligérants devaient persister, il est certainque les consommateurs subiront une baisse sérieuse de leur pouvoir d’achat, que les ventes au détail ralentiront, que les commandes des fournisseurs chuteront, que les investissements des entreprises diminueront, bref que les principales composantes du ­PIB accuseront des reculs. On se dirigerait alors vers une récession, que la ­Réserve fédérale essaierait sans aucun doute de contenir.

Un tort immense aura été causé à l’économie mondiale, essentiellement à cause de l’incroyable incompétence du président de la plus grande puissance mondiale. Heureusement, ­celui-ci pourrait alors avoir causé sa défaite à la prochaine élection présidentielle. Un important travail de reconstruction attendra son successeur.

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J’aime
Aussi déplorable puisse-t-elle être pour la majorité des Américains, la présidence de Trump a un effet positif sur la situation financière de plusieurs médias américains, dont le New York Times, le Washington Post, The Atlantic et The New Yorker. Après avoir bénéficié de la gratuité, un plus grand nombre de lecteurs sont maintenant prêts à payer pour avoir de l’information de qualité sur les déboires de la présidence américaine.

Je n’aime pas
Au lieu de faire le ménage dans le très coûteux système de santé américain, le président Trump veut autoriser l’importation de médicaments d’ordonnance du Canada. Selon une étude d’un chercheur américain, une telle éventualité créerait d’importantes pénuries au Canada. Une fiole d’insuline coûterait au Canada le dixième de ce que les Américains paient pour le même produit. Va-t-on encore une fois s’écraser devant les manœuvres de ce personnage ?

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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