L'économie du Québec a besoin d'un «deuxième poumon»

Publié le 24/03/2021 à 07:05

L'économie du Québec a besoin d'un «deuxième poumon»

Publié le 24/03/2021 à 07:05

Par François Normand

Environ 80% des produits consommés au Québec (de la nourriture aux équipements électroniques) sont importés par des conteneurs via le port de Montréal. (Photo: courtoisie)

Même s’il ne se réjouit pas du climat de travail tendu au port de Montréal, le PDG de l'Administration portuaire de Québec (APQ), Mario Girard, affirme que le risque que n’y éclate une autre grève en moins d’un an démontre plus que jamais la nécessité que le Québec se dote rapidement d’un second port de conteneurs sur le fleuve Saint-Laurent.

«Cela démontre que le Québec a besoin d’un deuxième poumon économique afin de réduire le risque de rupture dans sa chaîne d’approvisionnement», insiste en entretien à Les Affaires le patron de l’APQ, qui veut construire un port de conteneurs dans la Baie de Beauport (le projet Laurentia) au coût de 775 à 800 millions de dollars.

Mario Girard rappelle qu'environ 80% des produits consommés au Québec (de la nourriture aux équipements électroniques) sont importés par des conteneurs via le port de Montréal. Actuellement, les activités du port de Québec sont limitées au vrac liquide et solide.

C’est la raison pour laquelle il affirme que le Québec doit réduire ce risque de concentration de ses approvisionnements stratégiques à l'aide d'un second port de conteneurs.

Et même si les débardeurs de Montréal et de Québec sont actuellement affiliés au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), ils ne font pas partie de la même unité d’accréditation. Cela limiterait donc le risque du déclenchement d'une grève simultanée dans un éventuel écosystème maritime qui compterait deux ports de conteneurs sur le Saint-Laurent, souligne Mario Girard.

Aussi, en cas d'une interruption du service à Montréal, Québec pourrait prendre en partie le relais, et vice-versa.

En août 2020, les activités du port de Montréal — qui approvisionne le Québec, l’Ontario et une partie du Midwest — ont été paralysées durant une dizaine de jours en raison d’une grève des débardeurs.

Plusieurs entreprises ont pâti de cette crise, sans parler de celles qui ont vu bondir leurs coûts de transport en passant par le port d’Halifax pour exporter ou importer des produits.

Depuis la fin de ce conflit en août, la section locale du SCFP, affilié à la FTQ, qui représente les 1 125 débardeurs à Montréal, et l’Association des employeurs maritimes (AEM), qui représente la partie patronale, ont continué à négocier afin d’en arriver à une entente pour normaliser les relations de travail.

Le 12 mars, l'AEM a d'ailleurs présenté une offre finale aux travailleurs. Le 21 mars, ces derniers l’ont toutefois rejetée massivement dans une proportion de 99,7%, mais sans déclencher la grève, même si le syndicat détient un mandat à cet effet.

Les deux parties négocient donc toujours, alors que les principaux points de friction concernent les horaires de travail, la conciliation travail-famille-vie personnelle, le droit à la déconnexion ainsi que les mesures disciplinaires.

 

Le syndicat en «mode négociation»

Michel Murray, conseiller syndical au SCFQ a déclaré que le syndicat «n’est pas en mode grève», mais plutôt «en mode de retour à la table de négociations».

Pour autant, les entreprises demeurent inquiètes, car elles craignent à nouveau une rupture de leurs chaînes logistiques advenant une autre grève au port de Montréal.

Le cas échéant, ce conflit de travail surviendrait dans un contexte déjà très difficile pour plusieurs entreprises.

Comme la pandémie de COVID-19 a déstabilisé les chaînes logistiques mondiales de conteneurs, plusieurs entreprises québécoises manufacturières et agroalimentaires ont de la difficulté à mettre la main sur des boîtes métalliques vides.

Cette crise est unique depuis la conteneurisation du commerce international dans les années 1950, disent les spécialistes.

 

Le projet Laurentia de port de conteneurs en eau profonde pourrait accueillir les mastodontes des mers de type Panamax et Post-Panamax. (Photomontage: Administration portuaire de Québec)

 

Le projet Laurentia consiste à construire un nouveau terminal de conteneurs dans le secteur de la Baie de Beauport.

Le port de Québec veut devenir une nouvelle destination pour les grands navires de conteneurs qui relient l’Asie à la côte Est de l’Amérique du Nord via le canal de Suez (dont des travaux de dragage en 2014 et 2015 ont accru ses capacités) et la Méditerranée.

L’administration portuaire de Québec a deux partenaires privés dans ce projet, le Canadien National (CN) et Hutchison Ports, un important opérateur d’installations portuaires de conteneurs dans le monde.

L’APQ et ses partenaires comptent investir 595 M$ dans ce projet. La participation souhaitée de la part des gouvernements s’élèverait donc de 180 M$ à 205 M$.

Mario Girard souligne que l’appui des gouvernements est conditionnel à ce que le projet reçoive le feu vert de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale. En principe, l’agence fédérale devrait se prononcer dans les prochains mois.

 

Mise en service en 2025-2026

Si l’APQ est autorisée à aller de l’avant avec son projet, les travaux de construction commenceraient en 2022, pour une mise en service graduelle des activités de ce nouveau port de conteneurs à compter de la fin 2025-début 2026, estime Mario Girard.

Même si des citoyens et des groupes sont opposés à Laurentia (notamment dans l’arrondissement Limoilou, qui donne sur la Baie de Beauport), une majorité de citoyens de la région de Québec (65%) sont favorables au projet, selon un sondage Léger.

À son rythme de croisière (vers 2035), ce port de conteneurs en eau profonde (pouvant accueillir les mastodontes des mers, de type Panamax et Post-Panamax) aura une capacité annuelle de 700 000 EVP (conteneurs équivalent vingt pieds).

Cela représente 40% de la capacité de conteneurs du port de Montréal en 2019, selon une analyse des enjeux économiques du projet Laurentia, publiée en mai 2020 par Alain Dubuc, ancien éditeur du quotidien Le Soleil, aujourd'hui professeur invité à HEC Montréal et conseiller stratégique à l’Institut du Québec.

Le projet Laurentia aurait bien entendu un impact sur le port de Montréal.

Ce nouveau terminal de conteneurs desservira le Québec et une bonne partie du nord-est de l’Amérique du Nord, à commencer par le cœur industriel autour des Grands Lacs.

Mario Girard fait toutefois valoir que les deux ports seraient complémentaires.

«Le port de Montréal continuerait de croître, et de jouer son rôle de plaque tournante pour le commerce national et international», dit-il.

Le projet Laurentia vise surtout le Midwest américain, tandis que port de Montréal cible davantage la région métropolitaine, le sud de l'Ontario et une partie du Midwest, explique le PDG de l’Administration portuaire de Québec.

Cela dit, le projet Laurentia pourrait néanmoins faire perdre un peu de trafic à Montréal (moins de 10 %).

Pourquoi? Parce que des entreprises dans certaines régions — en Gaspésie ou au Saguenay-Lac-Saint-Jean — passeront sans doute par le port de Québec plutôt que par celui Montréal pour réduire leurs coûts de camionnage pour exporter ou importer.

 

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