Justin Trudeau devra faire de la politique autrement


Édition du 24 Octobre 2015

Justin Trudeau devra faire de la politique autrement


Édition du 24 Octobre 2015

Les électeurs canadiens changent leur gouvernement pour deux raisons principales :

1. La première est l'insatisfaction à l'endroit de l'équipe conservatrice. De nombreux Canadiens en avaient assez de Stephen Harper, qui n'a pas su se retirer à temps.

Celui-ci a géré correctement l'économie et les finances publiques, mais il a échoué sur bien d'autres plans ; l'incapacité de rallier les Canadiens qui ne pensent pas comme lui, une politique étrangère militariste plutôt qu'humanitaire, le recul de l'influence du Canada à l'étranger, le refus de coopérer avec les provinces, l'affirmation de valeurs associées à la loi et l'ordre, une tendance obsessive à tout contrôler, un mépris pour la science, la culture et certaines catégories de citoyens (intellectuels, journalistes, fonctionnaires). Méfiant, il avait l'impression que tout le monde était contre lui, d'où son emprise autoritaire sur l'appareil de l'État (y compris le Sénat) et la décision de plusieurs ministres d'abandonner son gouvernement (Flaherty, Baird, Moore, MacKay, Paradis). Il est allé jusqu'à remettre en cause l'impartialité de la juge en chef de la Cour suprême.

Il laisse un gouvernement en bonne santé financière, mais un parti qu'il a campé à droite et où il n'y a plus de place pour les valeurs d'ouverture et de solidarité que l'on retrouvait au sein du Parti progressiste-conservateur (PPC). Si le parti qu'a façonné M. Harper veut revenir aux racines du PPC, il devra se trouver un chef moins doctrinaire, plus inclusif et plus ouvert à des valeurs de dialogue et de collaboration.

2. La deuxième raison est le besoin de changement des électeurs. Les Canadiens avaient deux choix. Clairement, Thomas Mulcair ne les a pas inspirés. Ayant fait sien le dogme conservateur du déficit zéro, le chef du NPD a trop dissocié sa plateforme électorale des valeurs sociales-démocrates à la base de son propre parti. N'ayant récolté que 19,7 % des voix et 44 sièges, par rapport à 31 % et 103 députés en 2011 grâce à la vague orange propulsée par Jack Layton, le NPD n'a fait élire que 28 députés au Canada anglais, ce qui est semblable aux résultats obtenus lors d'élections précédentes. Rien de rassurant pour l'avenir de M. Mulcair à la tête du NPD. Par contre, il a fait élire 16 députés au Québec, assurant à son parti une base dans cette province.

Pour exprimer leur volonté de changement, les Canadiens ont confié le sort de leur gouvernement à Justin Trudeau, 43 ans, un produit de la génération X. Celui-ci a présenté une plateforme électorale audacieuse, s'est montré rassembleur, s'est révélé bon communicateur, a su éviter les pièges tendus le Parti conservateur et a bien géré les attaques virulentes des autres chefs de parti. Il a fait une campagne sans anicroche, a montré des habiletés politiques indéniables et a osé défier la fausse doctrine du déficit zéro. Il a incarné le désir des Canadiens de rompre avec les valeurs de droite ainsi que le discours terne et démotivant du chef conservateur, de regarder en avant de façon positive, bref, de voir la politique se faire autrement.

Beaucoup de promesses à livrer

Justin Trudeau a pris beaucoup d'engagements, et ce sera un immense défi de les mettre en oeuvre au cours d'un premier mandat. Le prochain premier ministre devra :

> rétablir le dialogue avec les provinces et revoir la formule de financement de la santé que Stephen Harper avait établie unilatéralement. C'est dans l'esprit de la fédération que tous les gouvernements travaillent ensemble et que le fédéral respecte les compétences des provinces ;

> définir des stratégies pour le Canada à l'égard d'enjeux internationaux majeurs, tels les changements climatiques (conférence de Paris), la crise des réfugiés du Moyen-Orient, la participation canadienne à l'effort militaire de pays alliés au Moyen-Orient et la gestion de l'économie mondiale (rencontre du G20) ;

> préparer un budget qui comprendra une baisse d'impôt pour la classe moyenne, le rétablissement du plafond du CELI à 5 500 $ par année, l'abandon du fractionnement du revenu pour les familles ayant de jeunes enfants, une hausse de l'impôt des contribuables gagnant plus de 200 000 $ et une réduction de l'impôt sur les bénéfices des PME ;

> accroître à 125 milliards de dollars en 10 ans la participation fédérale au financement d'infrastructures environnementales, de transport et de logement. Les défis seront de prioriser les projets, ce qui devra se faire avec les provinces et les municipalités, et d'éviter le favoritisme et le gaspillage ;

> instaurer une gestion plus ouverte des affaires de l'État par une responsabilisation accrue des ministres et un dialogue véritable avec l'ensemble des parties prenantes du gouvernement fédéral ;

> entreprendre une consultation sur une réforme des institutions parlementaires, en incluant le mode de scrutin et une réforme du Sénat.

Les attentes envers JustinTrudeau étaient peu élevées quand il a entrepris la campagne électorale fédérale en août. Elles le sont bien davantage aujourd'hui, mais il a bien mérité notre confiance.

J'aime

L'Autorité des marchés financiers (AMF) envisage de verser une compensation aux dénonciateurs de malversations commises dans l'industrie financière. L'AMF accepte les dénonciations, mais n'a pas de programme de compensation, contrairement aux États-Unis, où les sonneurs d'alerte peuvent recevoir un montant variant de 10 à 30 % de la somme perçue grâce à l'information transmise.

Je n'aime pas

En abolissant les élections scolaires, le ministre de l'Éducation, François Blais, remplacerait des personnes élues démocratiquement par des personnes qu'il nommerait lui-même, comme l'a fait son collègue Gaétan Barrette pour les conseils d'administration des établissements de santé et de services sociaux. Ce serait toutefois un recul majeur en matière de démocratie, même si les commissaires d'école ne sont élus que par 5 % des électeurs.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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