Incurie d'Ottawa quant à l'ingérence étrangère dans nos élections


Édition du 20 Avril 2019

Incurie d'Ottawa quant à l'ingérence étrangère dans nos élections


Édition du 20 Avril 2019

CHRONIQUE — Il est certain que des puissances étrangères tenteront de brouiller les cartes dans les prochaines élections fédérales.

Voici ce qu'affirmait un rapport récent du Centre de la sécurité des télécommunications du Canada : «Le processus démocratique de la moitié de toutes les démocraties qui ont tenu des élections nationales (en 2018) a été ciblé» par des cyberattaques, soit trois fois plus qu'en 2015. «Et nous nous attendons à ce que cette hausse se poursuive en 2019.» Or, un premier rapport, publié en 2017, avait révélé que le Canada n'était pas à l'abri de cybermenaces.

Qu'a fait le gouvernement canadien ? À peu près rien. En décembre dernier, il a fait voter une loi (C-76) qui interdit la publicité payée par des étrangers, limite les dépenses de publicité politiques sur les réseaux sociaux (Google, Facebook, Twitter, etc.) et demande à ceux-ci de tenir un registre de ces publicités.

Rien dans cette loi n'interdit la diffusion de messages haineux et de fausses nouvelles. Le gouvernement, qui est l'objet d'un intense lobbying des grandes multinationales de l'Internet, a fait semblant de croire aux promesses des dirigeants de ces géants au sujet d'un meilleur contrôle des messages susceptibles de nuire à l'ordre social et de perturber les processus démocratiques. De toute évidence, ceux-ci n'ont pas pris au sérieux ce gouvernement, qui s'était déjà révélé impuissant à les forcer à percevoir la TPS. Notre ministre des Institutions démocratiques, Karina Gould, vient de nous dire qu'à huit semaines de la fin de la session parlementaire, le gouvernement n'a plus assez de temps pour légiférer. Puis, elle a demandé aux Canadiens de faire preuve de prudence et de discernement dans les messages provenant du cyberespace.

Il fallait être très naïve pour se fier à Facebook en particulier, lequel a permis à Cambridge Analytica d'avoir accès à sa base de données pour permettre à des intérêts liés à la Russie d'intervenir massivement dans les élections présidentielles américaines de 2016. C'est aussi l'ineptie de Facebook, qui a permis la diffusion en direct du massacre de la mosquée de Christchurch, ce qui a fait dire au commissaire à la vie privée de la Nouvelle-Zélande que les gens de Facebook sont des «menteurs pathologiques».

Espionnage et piratage

Dieu sait que les Russes, qui sont des experts de l'espionnage, du piratage et des maîtres de l'interventionnisme dans les affaires des autres pays, vont s'en donner à coeur joie à l'occasion des prochaines élections fédérales. Leur but principal : discréditer la démocratie aux yeux de leurs propres commettants. Ils sont intervenus avec succès pour favoriser le Brexit (gagné à 52 %), ce qui a perturbé la vie politique du Royaume-Uni et ce qui aura pour conséquence d'affaiblir l'économie britannique.

Lors de l'élection présidentielle de 2016, aux États-Unis, le Kremlin aurait été à l'origine de messages visant 126 millions d'Américains, abonnés de Facebook, selon une preuve déposée au Sénat américain. Or, il n'a fallu que 80 000 votes dans trois États normalement démocrates (Michigan, Wisconsin, Pennsylvanie) pour donner la victoire de Trump, même si Clinton a obtenu 2,9 millions de votes de plus dans l'ensemble du pays. Cela montre bien l'efficacité des médias sociaux comme outils de propagande.

Ces messages visaient autant la défaite d'Hilary Clinton que l'élection de Donald Trump, un allié de la Russie depuis le milieu des années 1980. Plusieurs affirment que des oligarches et des mafieux russes ont alors commencé à blanchir l'argent volé à leur État en achetant des condos dans les tours de la Trump Organization. Contrairement aux transferts en argent entre les institutions financières, qui sont surveillés par les autorités, les transferts directs servant à acheter des propriétés immobilières n'avaient pas à être déclarés. Craig Unger, auteur de House of Trump House of Putin, The Untold Story of Donald Trump and The Russian Mafia, estime que les milliards de dollars ainsi transférés ont sauvé Trump de la ruine et lui ont permis de devenir milliardaire.

Même s'il est trop tôt pour savoir ce que les Russes feront lors des prochaines élections fédérales, on peut penser qu'ils cibleront Chrystia Freeland, notre ministre des Affaires étrangères, qu'ils considèrent une alliée de l'Ukraine. Interdite de séjour en Russie, la ministre fait l'objet de désinformation de source russe sur le Web. Elle est également détestée par l'Arabie Saoudite depuis qu'elle a accueilli une jeune Saoudienne qui s'était réfugiée en Thaïlande. Riyad a une très bonne capacité de désinformation.

On peut aussi penser que les Chinois, qui s'y connaissent aussi très bien en espionnage et en piratage, tenteront de nuire au gouvernement Trudeau qui, à la demande des États-Unis, a fait arrêter Meng Wanzhou, fille du fondateur du groupe Huawei. En représailles, la Chine a aussi cessé d'acheter du canola auprès de deux exportateurs canadiens.

Il est malheureux qu'Ottawa ne se soit pas assuré de mieux protéger notre démocratie. Il nous faudra redoubler de vigilance.

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J’aime ­
Le gouvernement canadien n’entend pas ratifier le nouvel accord de ­libre-échange négocié avec les ­États-Unis et le Mexique aussi longtemps que le président américain maintiendra les tarifs douaniers de 25 % sur l’acier canadien et de 10 % sur l’aluminium canadien. Donald Trump a imposé ces tarifs au nom de la « sécurité nationale », ce qui est une aberration totale.

Je n’aime pas 
Depuis la publication des ­Panama ­Papers, il y a trois ans, l’Agence du revenu du ­Canada n’a fait que 116 vérifications, ce qui n’a généré qu’environ 15 millions de dollars en impôts et pénalités. Selon ­La ­Presse canadienne, l’agence a examiné les dossiers de 525 personnes, sociétés et fiducies sur 894 cas recensés. Par contre, cinq enquêtes criminelles sont en cours. À l’échelle du globe, 22 pays auraient récupéré 1,2 milliard de dollars américains. Ce sont le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France qui auraient été les plus efficaces.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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