Immigration: le maillon faible du «gouvernement économique» de Legault


Édition du 14 Avril 2021

Immigration: le maillon faible du «gouvernement économique» de Legault


Édition du 14 Avril 2021

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(Photo: Scott Graham pour Unsplash)

DROIT AU BUT. La Coalition avenir Québec (CAQ) s’est fait élire en (CAQ) s’est fait élire en promettant aux Québécois un «gouvernement économique». Le récent exposé budgétaire du ministre Eric Girard en fait foi, prévoyant 4 milliards de dollars (G$) de mesures diverses consacrées au développement de l’économie d’ici 2025-2026:branchement à l’Internet haute vitesse dans des régions mal connectées, aide à l’amélioration de la productivité et à l’innovation industrielle, baisse d’impôt pour les PME, appui aux grands projets d’investissement, assistance pour la formation et la requalification de la main-d’oeuvre dans plusieurs secteurs et soutien à certaines industries telles que l’aérospatiale, l’aluminium, les forêts, le tourisme, etc.

Toutefois, cette stratégie a un angle mort, soit le peu d’intérêt du gouvernement pour l’immigration. Ce désintérêt est apparu dans la plateforme électorale de la CAQ qui proposait une baisse de 20 % à 40 000 le nombre d’immigrants visés pour 2019. C’est seulement 10 % des 400 000 immigrants par année que le gouvernement fédéral veut faire entrer au pays éventuellement.

Inutile de dire que, dans un tel contexte, le poids économique du Québec continuera de baisser au sein de la fédération. Le Québec englobait 28 % de la population du Canada en 1971. Cinquante ans plus tard, il ne représente plus que 22,5 % de la population du pays. À terme, ce recul relatif signifiera moins de députés québécois à Ottawa, mais aussi moins de financement fédéral, moins de péréquation, etc.

Ce manque d’ambition annonce des lendemains difficiles. Le Québec compte déjà 150 000 postes vacants, selon le Conseil du patronat du Québec (CPQ). Imaginons l’effet désastreux qu’aura la pénurie de main-d’oeuvre à venir lorsque l’économie atteindra sa vitesse de croisière et que le gouvernement aura besoin de regarnir ses finances pour offrir des services décents à une population qui vieillit et qui coûtera de plus en plus cher à l’État.

Selon le CPQ, le nombre de Québécois âgés de 23 à 67 ans, soit la population réellement en âge de travailler, baissera de 140 000 personnes d’ici 2030. En revanche, celle des 68 ans et plus s’accroîtra de plus de 630 000. Ne pas se préparer pour ce déséquilibre démographique, c’est ou bien de l’insouciance, ou bien de l’aveuglement volontaire ou bien de l’irresponsabilité.

 

Discours lénifiant

Le discours de la CAQ était de «prendre moindre d’immigrants, mais de mieux les intégrer». C’était bon pour sa base électorale, mais il n’y avait aucune certitude sur le plan du résultat. Est-on surpris d’apprendre aujourd’hui que 32 cours de francisation visant plus de 600 immigrants viennent d’être reportés, faute d’enseignants ? Nommé ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette s’est lancé dans une réforme qui s’est révélée un échec. Après avoir annulé 18 000 dossiers de demande d’immigration qui étaient gérés sur la base «du premier arrivé, premier servi», le ministre a lancé la plateforme Arrima pour tenter de mieux «arrimer l’immigration aux besoins du marché du travail»et lancé deux initiatives:le Programme des travailleurs qualifiés pour les personnes désirant immigrer et le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) pour trier les candidats. Mal gérés, ces processus ont suscité un tel mécontentement que François Legault a dû retirer son ministre vedette du dossier de l’Immigration.

Le PEQ a été revu, mais ce processus reste lourd, nécessitant six mois de travail avant l’émission de la certification de sélection permettant aux chanceux de demander un permis de résidence permanente au gouvernement canadien. Alors que le Québec trie les candidats en fonction de leurs compétences, de leur expérience de travail et de leur connaissance du français, le fédéral vérifie leur santé et leur dossier judiciaire.

Le traitement de la demande de résidence permanente prend en moyenne 27 mois à un candidat choisi du triage du Québec, comparativement à 6 mois pour les candidats provenant des autres provinces. Les raisons de ce goulot d’étranglement sont aussi mystérieuses qu’inexplicables, les deux gouvernements se renvoyant la balle pour justifier leur incurie. Traités à Sydney, Nouvelle-Écosse, les dossiers venant de Québec ne seraient pas considérés comme prioritaires en raison du désintérêt du Québec pour l’immigration.

L’après-pandémie Alors que la pandémie a eu un effet dévastateur sur l’immigration avec seulement 30 500 nouveaux venus en 2020, Nadine Girault, la nouvelle ministre de l’Immigration, a annoncé que le Québec vise attirer cette année entre 44 500 et 47 500 immigrants, dont 62% auraient un profil économique. Bonne chance ! Certains assouplissements ont été apportés par la mise en place, le 31 mars dernier, de trois «programmes pilotes d’immigration permanente»:l’un pour les préposés aux bénéficiaires (on vise 550 personnes par année jusqu’à 2025 inclusivement), un autre pour les travailleurs de la transformation alimentaire et un troisième pour les personnes travaillant en intelligence artificielle, dans les technologies de l’information et les effets visuels.

Malgré ces ouvertures, le gouvernement reste frileux. Il a raison de privilégier la venue d’immigrants qualifiés capables d’occuper des emplois à forte valeur ajoutée et bien payés. Mais il refuse toujours de régulariser le statut des travailleurs étrangers temporaires, tels que le personnel non soignant des CHSLD. Il a aussi prolongé jusqu’au 1er avril 2023 la suspension des demandes d’immigrants investisseurs.

Enfin, Québec et Ottawa devraient tout mettre en oeuvre pour traiter les demandes de milliers de travailleurs déjà présents chez nous et qui sont menacés d’être retournés chez eux en raison de la lenteur de leur bureaucratie. Misère de misère !

 

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J’aime

Les États-Unis tentent de convaincre les autres pays du G20 d’imposer un taux d’imposition minimum aux grandes multinationales qui n’en paient pas ou qui déplacent leurs profits vers des paradis fiscaux ou des pays qui ont des taux d’imposition insignifiants. Quelque 55 grandes multinationales américaines n’ont payé aucun impôt sur 40 G$de profits l’an dernier, selon l’Institute on Taxation and Economic Policy. Non seulement la concurrence fiscale à laquelle se livrent les pays crée des distorsions entre leurs systèmes fiscaux, mais elle permet aussi aux multinationales de jouer ces systèmes fiscaux les uns contre les autres et ainsi de leur éviter de contribuer au financement des programmes sociaux des pays où elles ont des activités.


Je n’aime pas

Avec l’explosion des prix des loyers et des logements dans les grandes villes, il est évident qu’une crise du logement est à nos portes et qu’elle accroîtra encore la pauvreté et la misère pour des milliers de locataires. Dans ce contexte, les 500 nouveaux logements abordables que le ministre des Finances Eric Girard vient de promettre pour l’ensemble du Québec auront un effet à peu près insignifiant. Le programme AccèsLogis de la Société d’habitation du Québec (SHQ) donne en principe accès à 11 631 logements déjà annoncés, mais non encore livrés. Or, la grande majorité des projets de logements abordables ne peut pas être mis en chantier à cause des critères et des conditions financières inadaptées exigées par la SHQ pour leur réalisation par les coopératives et les organismes sans but lucratif qui les parrainent.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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