Il faut se méfier des dirigeants qui bafouent les valeurs éthiques


Édition du 31 Mai 2014

Il faut se méfier des dirigeants qui bafouent les valeurs éthiques


Édition du 31 Mai 2014

Des témoignages entendus récemment à la commission Charbonneau sur la corruption dans la construction ont permis d'en apprendre un peu plus sur la magouille qui a permis à SNC-Lavalin d'obtenir le contrat de construction et de gestion du nouveau Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

SNC-Lavalin aurait versé 22,5 millions de dollars à Sierra Asset Management, une société créée aux Bahamas par le Dr Arthur Porter, alors directeur général du CUSM. La moitié de cette somme aurait été transmise à une société enregistrée au nom de Pamela Porter, la femme du docteur, et l'autre moitié, aux frères Yanaï Elbaz, directeur général adjoint du CUSM, et Yohann Elbaz, un avocat. Pour brouiller les cartes, l'argent aurait auparavant transité par Tunis.

Cet argent pourrait faire partie des 120 millions d'euros (175 M$) de paiements suspects retracés par des policiers suisses et qui auraient été liés à Riadh Ben Aissa, ex-vice-président et directeur de la division construction de SNC-Lavalin, qui est maintenant emprisonné dans la confédération helvétique. Cet argent a surtout été utilisé pour obtenir des contrats en Lybie, en Tunisie et en Algérie, mais elle aurait aussi servi à appuyer des «projets d'infrastructures au Québec».

Le personnage clé de la fraude associée au CUSM semble être le controversé Arthur Porter, qui croupit dans une prison du Panama. Connu comme un oncologue et un gestionnaire hospitalier, le Dr Porter avait été recruté en 2004 par le gouvernement du Québec et le conseil d'administration du CUSM pour mener à bien le projet du futur hôpital, même si sa performance au Detroit Medical Center avait été insatisfaisante et que le doyen de la faculté de médecine de la Wayne State University du Michigan avait recommandé d'être «très prudent» à l'égard de sa candidature.

Arborant un sourire engageant et son éternel noeud papillon, le Dr Porter a séduit tout les gens qu'il a rencontrés au Québec, à commencer par l'ex-sénateur et collecteur de fonds du Parti conservateur, David Angus, président du conseil du CUSM au moment où il a été recruté. Nommé au conseil d'Air Canada, auquel Me Angus siégeait aussi, Arthur Porter a même été nommé par Stephen Harper président du très important Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui scrute les activités du Service canadien du renseignement de sécurité. Il a quitté ce poste en novembre 2011 après que le National Post eut révélé que le docteur avait été mêlé à un financement douteux de 120 M$ de la Russie pour un projet à la Sierra Leone, son pays d'origine, auquel était associé l'homme d'affaires controversé Ari Ben-Menashe.

Les talents de séducteur du Dr Porter lui ont permis d'obtenir une rémunération supérieure à son contrat, dont tous les détails ne sont pas encore connus. En 2011, David Angus a autorisé le CUSM à lui fournir une Bentley, une voiture de grand luxe, pour remplacer sa Mercedes.

En même temps qu'il travaillait pour le CUSM, Arthur Porter gérait des entreprises et menait des activités dans différentes régions du monde (Europe, Afrique ainsi que les Bahamas où il exploitait une clinique de soins contre le cancer et une boîte de nuit). Il a déclaré avoir prévenu le conseil d'administration du CUSM qu'il aurait à s'occuper d'affaires privées en parallèle, mais cela n'a pas empêché son embauche. Il a démissionné de son poste en décembre 2011.

L'éthique bafouée

Alors que personne ne semblait douter de l'intégrité du Dr Porter, il appert que lui et ses sbires ont effectué bien des manoeuvres pour permettre à SNC-Lavalin d'obtenir le contrat tant convoité. Après qu'il fut connu que la proposition du géant espagnol OHL était supérieure à celle de SNC-Lavalin, on s'est emparé d'éléments d'information provenant de la proposition du concurrent pour que la firme québécoise puisse l'emporter au final. On est allé jusqu'à modifier la composition du comité de sélection du constructeur et intimider certaines personnes pour obtenir la faveur désirée.

Comment Arthur Porter a-t-il pu rouler autant de monde ? À cause de sa grande intelligence, de ses talents de séducteur, de son impressionnant curriculum vitæ, de ses immenses habiletés politiques, de son grand réseau de relations et, évidemment, de sa capacité de manipulation des gens avec qui il entre en relation.

La morale de cette histoire, c'est qu'il faut se méfier des personnages plus grands que nature, flamboyants et souvent narcissiques. Ambitieux, s'estimant plus intelligents que les autres, dotés d'une très grande confiance en eux et ne craignant pas les obstacles et les objecteurs qui bloquent leur route, ces leaders affichent souvent un charisme irrésistible.

C'est pourquoi il importe, avant de leur confier des responsabilités, de s'assurer de leur engagement indéfectible sur le plan de la saine gouvernance et de l'éthique. Sans ces bases, leur conduite peut mener à bien des déceptions.

J'aime
Selon une étude de l'Institut national de la recherche scientifique, les activités de Pétrolia sur sa propriété Haldimand près de Gaspé n'ont pas eu d'impact sur la qualité des prises d'eau dans la région. L'étude a aussi confirmé que le risque de contamination de l'eau potable était faible et que celui-ci pouvait être circonscrit. Une autre étude avait déjà révélé qu'aucun produit utilisé dans les fluides de forage ne présentait de signe de toxicité. Espérons que la population sera rassurée et que la Ville abandonnera son interdiction de forages pétroliers.

Je n'aime pas
À en juger par les 624 000 $ que les employés de Roche ont distribué aux partis politiques de 2001 à 2012, il est très étonnant de constater que le directeur général des élections n'a pas soupçonné l'illégalité d'une grande partie de ces dons.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

Blogues similaires

Apprendre à tourner la page

Édition du 20 Janvier 2021 | Olivier Schmouker

CHRONIQUE. J’ ai une grande nouvelle que j’ai annoncée déjà il y a quelques jours sur notre site web.