Fiscalité des sociétés : Bill Morneau aurait pu faire mieux


Édition du 08 Décembre 2018

Fiscalité des sociétés : Bill Morneau aurait pu faire mieux


Édition du 08 Décembre 2018

Comme prévu, le ministre canadien des Finances, Bill Morneau, a profité de son énoncé économique automnal pour répondre aux baisses d'impôt du président Donald Trump.

Les mesures annoncées sont un pas dans la bonne direction, mais le ministre aurait pu faire mieux. Certes, le moment n'était pas le meilleur, à un an des élections, pour lancer une réforme de la fiscalité des entreprises, mais il apparaît de plus en plus évident qu'il faudra rendre notre politique fiscale plus efficace par rapport aux réformes que d'autres pays ont entreprises ou même déjà réalisées.

Rappelons que le président Trump a fait accepter par le Congrès une réforme fiscale qui rendra beaucoup plus concurrentielle la fiscalité américaine. Cette réforme comprend une forte baisse de l'impôt des particuliers, surtout pour les riches, ce qui pourrait avoir un impact sur la localisation des emplois à haut revenu, ainsi qu'une réduction du taux fédéral d'impôt de base sur les profits de 35 % à 21 %. Selon EY, cette réforme a fait passer le taux d'impôt marginal combiné pondéré (fédéral et États) américain de 39,1 % à 26 %, ce qui est un peu en bas du taux équivalent de 26,7 % au Canada.

Le ministre Morneau a eu raison de résister à une baisse générale du taux général d'impôt sur les profits, qui aurait été très coûteuse pour l'État (au moins 15 milliards de dollars pour une baisse de points de pourcentage). L'expérience a montré que des sociétés utilisent ce levier, non pas pour accroître leur capacité de production et leur productivité, mais pour retourner cet avantage aux actionnaires en augmentant leur dividende ou en faisant croître la valeur de leur capital propre.

En permettant aux entreprises de transformation et de fabrication d'amortir en un an 100 % de leurs dépenses d'investissement en équipements et en machinerie, le ministre a voulu encourager la hausse de leur productivité, qui souffre d'un retard par rapport à celle des sociétés américaines. Le même incitatif a été accordé pour les investissements en matériel visant la production d'énergie propre.

Ottawa a aussi prolongé le crédit d'impôt de 15 % sur l'exploration minière (365 millions de dollars d'ici 2024), ajouté aux 800 M$ en cinq ans au Fonds stratégique pour l'innovation, qui appuie les investissements innovants, et débloqué 1,1 G$ en six ans pour aider les sociétés à accroître de 50 % leurs exportations vers l'Europe et l'Asie. Cette mesure est d'autant plus pertinente que le Canada a signé de nouveaux accords commerciaux avec des pays de ces régions, alors que le protectionnisme trumpien a rendu les États-Unis moins intéressants pour certains exportateurs canadiens.

Le coût pour l'État des mesures destinées à accroître les investissements en capital des entreprises totalisera 14 G$ en six ans, ce qui n'est pas excessif. Il y a toutefois un élément de la réforme fiscale américaine dont le ministre Morneau aurait pu s'inspirer, à savoir le rapatriement des profits laissés à l'étranger.

En permettant aux grandes sociétés canadiennes d'éviter de payer de l'impôt sur des revenus d'intérêt gagnés sur des emprunts faits auprès de sociétés liées basées dans des paradis fiscaux, on rétrécit l'assiette fiscale du pays. Plusieurs pays ont déjà suivi la recommandation de l'OCDE de limiter la déductibilité de tels frais d'intérêt, mais le Canada tarde à s'ajuster. L'évitement fiscal fait partie des raisons expliquant que près des trois quarts de nos sociétés ne paient pas d'impôt sur leurs profits, selon des données de l'Agence du revenu du Canada (Jack Mintz, Financial Post, 22 novembre 2018).

Déficit acceptable

La compétitivité accrue de la fiscalité américaine risque d'accélérer la baisse des investissements étrangers que subit le Canada depuis quelques années et de réduire encore la part des investissements en capital dans le PIB canadien, qui est d'environ 12 %. Ce sont des tendances qu'une réforme de la fiscalité et qu'une réduction des contraintes à l'investissement au Canada aideraient à inverser. Selon l'OCDE, qui réunit 35 pays, le Canada est l'un des pays où le temps d'approbation des projets d'investissements est le plus long. De plus, le Canada est passé du 4e rang en 2006 au 22e rang en 2019 de l'indice de la Banque mondiale sur la facilité de faire des affaires, Ease of Doing Business.

Il est contre-indiqué pour un État de réaliser des déficits dans les périodes de forte croissance économique, comme c'est le cas actuellement.

Toutefois, compte tenu de la compétitivité fiscale accrue des États-Unis, de leur protectionnisme et du faible taux d'endettement du gouvernement fédéral (31 % du PIB), il était indiqué pour Ottawa d'intervenir pour rendre nos sociétés plus concurrentielles.

Le déficit fédéral doit ainsi passer de 18 G$ cette année à 11 G$ en 2023-2024, soit de 0,8 % à 0,4 % du PIB, ce qui est très faible comparativement à d'autres pays.

Malheureusement, il y a fort à parier que le prochain budget fédéral, le dernier à être présenté avant les prochaines élections, prévues le 21 octobre, ajoute à ce déséquilibre.

 

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Le ministre des Finances du Canada, Bill Morneau, a annoncé trois mesures pour soutenir le journalisme, une activité essentielle à la protection de la démocratie : 1. un crédit d’impôt sur les coûts de main-d’œuvre des médias qui produisent de l’information de qualité (une notion qui devra être définie) ; 2. la déductibilité fiscale des dons faits à une entreprise de presse sans but lucratif ; 3. un crédit d’impôt de 15 % pour encourager l’abonnement aux médias numériques. Ces mesures contribueront à la survie des médias traditionnels, dont les revenus publicitaires sont de plus en plus capturés par Google, Facebook et les autres grands médiaux sociaux étrangers.

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Jusqu’à 10 % des patients font faux bond à un rendez-vous avec un médecin spécialiste dans certains hôpitaux québécois. Voilà un effet pervers grave de la pleine gratuité de notre système de santé, auquel aucun gouvernement ne semble vouloir s’attaquer.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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