Élections: n'allez pas croire que les trolls vont rester passifs


Édition du 21 Septembre 2019

Élections: n'allez pas croire que les trolls vont rester passifs


Édition du 21 Septembre 2019

CHRONIQUE. La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a déclaré en avril dernier que les prochaines élections fédérales allaient «très probablement» être victimes d'ingérence étrangère.

Elle a raison. Rien n'a encore filtré, ce qui ne veut pas dire que les trolls ne sont pas déjà à l'oeuvre. Un troll est un internaute activiste généralement malfaisant qui s'immisce dans des débats pour désinformer, distraire, lancer de fausses nouvelles, amplifier des messages extrémistes, créer des controverses, faire avancer des idées, orienter des décisions.

Les trolls ont été très actifs pour soutenir le Brexit au Royaume-Uni, détruire la réputation de Hilary Clinton, faire élire Donald Trump à la présidence américaine, nuire à la République en marche d'Emmanel Macron, attaquer les opposants à la présence de la Russie en Ukraine et en Biélorussie. Selon le Centre de la sécurité des télécommunications du Canada, 50 % des élections nationales tenues dans des démocraties avancées en 2018 ont subi des cybermenaces.

Outre les trolls eux-mêmes, des sites informatiques ont piraté des serveurs pour voler des données et des courriels qui ont été ensuite transmis à des opposants. Tous ces exemples impliquent la Russie et ses agents qui, bien entendu, ont toujours nié ces faits. Certes, il ne faut pas penser que la Russie a le monopole de ce genre de manoeuvres, mais il appert qu'elle est de loin la plus active sur ce terrain.

Pourquoi le Canada ?

Pourquoi la Russie interviendrait-elle dans les élections canadiennes ? En gros, pour perturber l'ordre établi comme elle l'a fait dans d'autres démocraties. Les États-Unis sont un cas particulier en raison des longues relations de Trump avec des oligarques russes. Trump a longtemps voulu avoir son nom sur un hôtel que des oligarques auraient construit à Moscou (Trump n'investit pas, mais se fait payer pour y mettre son nom), et il a vendu des dizaines de condos à des oligarques qui avaient de l'argent à blanchir. Il faut savoir que les transferts d'argent servant à acquérir de l'immobilier ne font pas l'objet du même contrôle que les transferts servant à l'achat de produits financiers. Ces transferts sont depuis longtemps une très importante source de financement de la Trump Organization.

Le Canada n'a pas de très grands sujets de discorde avec la Russie, mais elle n'est pas un pays ami. En plus d'interdire son territoire à la ministre Freeland (elle a été journaliste en Ukraine pour The Economist et a écrit des livres que Moscou n'a pas aimés), la Russie revendique des territoires dans l'Arctique qui seraient dans les eaux canadiennes. La Russie en veut aussi au Canada pour sa condamnation de son annexion de la Crimée et son invasion de l'est de l'Ukraine. Cette prise de position a valu au Canada deux fausses nouvelles provenant de sites russes : la mort de 11 militaires canadiens en Ukraine en 2016 et la mort de trois autres soldats après l'explosion de leur véhicule sur une mine.

L'Internet Research Agency, un organisme russe qui crée des sites Internet et qui diffuse de l'information présentée comme du journalisme indépendant, a utilisé 419 comptes Twitter pour promouvoir le Brexit et pour aider la campagne électorale de Trump (selon l'historien Timothy Snyder de l'Université Yale, auteur de The Road to Unfreedom).

De son côté, Russia Today, qui diffuse des émissions de télévision en plusieurs langues partout dans le monde, a donné du temps d'antenne à plusieurs leaders de droite de plusieurs pays. Le diffuseur a versé 40 000 $ à Michael Flynn, premier conseiller à la sécurité de Trump, pour être conférencier. Flynn était assis à côté de Poutine.

Civilisation supérieure

La cyberactivité de la Russie dans les pays démocratiques s'explique en partie par le fait que Poutine ne croit pas en la démocratie. Inspiré par le philosophe fasciste Ivan Ilyin, il veut démontrer à la fois que la démocratie est un système voué à l'échec et que la Russie doit être définie non pas comme un pays, mais comme une civilisation supérieure, dont l'influence devrait s'étendre de Lisbonne à Vladivostok et créer l'Eurasia. Selon ce concept, l'Union européenne est une structure qui asservit ses pays membres, d'où l'appui de Poutine aux mouvements sécessionnistes du Royaume-Uni (Brexit), de la France (la Russie finance le Front national), de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Autriche, de l'Ukraine, etc. En vertu de ce concept, l'Ukraine et la Biélorussie, où l'on parle le russe, sont inséparables de la Russie.

Le Canada est aussi dans l'erreur, d'où la justification pour Poutine de profiter de l'élection pour créer de la bisbille, miner sa démocratie.

Les trois-quarts des Canadiens préfèrent la démocratie, mais le Canada n'est pas immunisé contre le populisme, un courant qu'a capté Maxime Bernier. Un récent sondage, réalisé auprès de 3 524 Canadiens par l'Université Simon Fraser, a révélé que 23 % des répondants s'accommoderaient d'un gouvernement non démocratique ou autoritaire, que 51 % accepteraient que le pays soit dirigé par des experts, que 43 % estiment que la démocratie canadienne est déficiente, que 68 % des élus ne se préoccupent pas de que pensent les gens ordinaires, que 44 % jugent ne pas avoir d'influence sur la gouverne du pays et que 61 % sont d'avis que les intérêts de l'élite passent avant ceux des gens ordinaires.

En plus d'interpeller nos dirigeants politiques, ces perceptions indiquent qu'il faut se préoccuper de la santé de notre démocratie, notamment en surveillant les dirigeants autoritaires, en s'assurant d'avoir des médias de qualité et en santé et en promouvant des valeurs d'intégrité et de transparence dans la gestion de la chose publique.

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J’aime
Le ­Canada comptait 210 000 étudiants étrangers aux cycles supérieurs en 2017, soit 13 % de tous ses étudiants de ces cycles, comparativement à 6 % pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Cette performance, qui s’explique par la bonne réputation de notre système d’éducation, donne au ­Canada un avantage indiscutable sur le plan du recrutement d’une main-d’œuvre qualifiée pour assurer sa prospérité.

Je n’aime pas
Les avoirs financiers des ­Canadiens ont baissé en 2018 pour la première fois depuis 2008 selon un rapport d’Investor ­Economics. Cela s’explique à la fois par la chute des rendements financiers et par le fait que les ménages ont remboursé plus de dette qu’ils ont réalisé des gains financiers. L’endettement des ménages représente actuellement plus de 180 % de leur revenu disponible. Il dépasse les 200 % dans les grandes villes et il est d’environ 160 % au ­Québec.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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