Dans la Silicon Valley, seuls les hommes peuvent être innovants

Offert par Les Affaires


Édition du 17 Juin 2017

Dans la Silicon Valley, seuls les hommes peuvent être innovants

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Édition du 17 Juin 2017

Par Diane Bérard

Avant de lancer Zuckerberg Media, Randi Zuckerberg a dirigé le marketing chez Facebook. Son entreprise est une réaction à ses années dans la Silicon Valley. Elle s'attaque au déficit de femmes en technologie par l'intermédiaire de contenu destiné aux fillettes et par l'investissement dans des start-up lancées par des femmes.

L'entrevue n° 325

Diane Bérard - Avant de lancer votre entreprise, vous avez travaillé 10 ans dans la Silicon Valley, entre autres comme directrice du marketing chez Facebook avec votre frère Mark. Parlez-nous des femmes en technologie.

Randi Zuckerberg - J'adore la Silicon Valley et la technologie, mais ma relation avec l'une et l'autre est compliquée. Pendant 10 ans, j'ai souvent été la seule femme à la table. J'étais déchirée. Je me disais : «Je travaille dans l'une des régions les plus innovantes du monde. Pourquoi seuls les hommes semblent-ils avoir le droit d'être innovants ici ?»

D.B. - Quand vous avez quitté la Silicon Valley, vous vous êtes établie à New York et avez fondé Zuckerberg Media. En quoi la mission de votre entreprise répond-elle aux frustrations de vos années californiennes ?

R.Z. - Il y a trois façons de s'attaquer au déficit de femmes en technologie. On peut utiliser la culture populaire pour influencer les perceptions et les comportements des femmes et des hommes. On peut s'appuyer sur le système d'éducation pour s'assurer que les filles et les garçons ont accès au même savoir. Et on peut encourager l'entrepreneuriat technologique féminin. Zuckerberg Media exploite la première voie. Je produis des émissions de télé et des livres donnant aux fillettes des modèles qui leur ressemblent. Plusieurs émissions de vulgarisation scientifique sont très cool, mais on y voit surtout des garçons. Mes émissions mettent en vedette des filles. Et j'ai choisi une cible très jeune.

D.B. - La plupart des initiatives de sensibilisation à la science s'adressent aux préadolescentes et aux adolescentes. Votre contenu vise les fillettes d'âge préscolaire. Pourquoi ?

R.Z. - D'abord, le marché des jeunes filles est déjà bien servi. Ensuite, mon fils a six ans. Je constate que, déjà à cet âge, le sort en est jeté. Les programmes parascolaires de robotique, par exemple, sont majoritairement pris d'assaut par les petits gars.

D.B. - On ne peut pas forcer les filles à aimer la technologie...

R.Z. - Vous avez raison. C'est pourquoi j'ai choisi la voie ludique. J'ai imaginé le personnage de Dot, une fillette de huit ans qui fait voler des drones et bâtit des robots. J'ai introduit Dot dans un livre, puis j'en ai fait un dessin animé, avec la complicité de la compagnie Jim Henson [le créateur des Muppets]. On peut suivre ses aventures sur la chaîne pour enfants Sprout de NBC. Dot s'adresse autant aux parents qu'aux enfants. Je souhaite que les parents associent davantage la technologie à la créativité qu'à l'abrutissement et à la surconsommation. Quant aux fillettes, j'aimerais bien qu'elles fassent de Dot leur héroïne. Qu'elles aient envie d'apprendre à coder ou à construire un robot à l'école ou avec leurs parents.

D.B. - Pensiez-vous un jour devenir auteure de livres et d'émissions pour enfants ?

R.Z. - Pas du tout. En fait, je ne me considère pas vraiment comme une auteure. Je suis une entrepreneure qui cherche la meilleure façon de résoudre le problème auquel elle s'attaque, soit le déficit de femmes en technologie. J'ai fait de la recherche. J'ai recueilli de l'information. Toutes mes données me mènent aux fillettes. Si vous n'arrivez pas à les enthousiasmer par rapport à la technologie avant l'âge de huit ans, c'est pas mal foutu. C'est le rôle de la culture populaire. Les jeunes sont très perméables au contenu diffusé par les médias et les médias sociaux. On a négligé cette voie dans le dossier des filles et de la science. En ce moment, mon équipe travaille au développement d'une douzaine de séries télévisées et de livres destinés aux 2 à 10 ans. Ensuite, l'éducation doit prendre le relais pour maintenir cet intérêt. L'école doit s'assurer que les filles ont les mêmes occasions que les garçons de participer aux activités scientifiques, par exemple.

D.B. - Parlons maintenant d'un autre de vos champs d'expertise, l'utilisation des médias sociaux en entreprise. Que pensez-vous de l'attitude des organisations ?

R.Z. - Je comprends leurs craintes et leur nervosité. Tout ce qui rend les médias sociaux avantageux pour une entreprise est aussi ce qui les rend handicapants. D'un seul clic, vous pouvez atteindre des milliers de gens. C'est inouï pour les services de marketing et de communication. Toutefois, selon la personne qui se trouve derrière l'écran et ses intentions, ce clic peut aussi détruire votre réputation.

D.B. - L'utilisation optimale des médias sociaux va à l'encontre de ce que l'on enseigne dans les écoles de gestion, dites-vous...

R.Z. - Les gestionnaires en poste aujourd'hui ont été formés il y a 10 ans ou plus. Il est évident qu'on ne leur a pas enseigné à renoncer, jusqu'à un certain point, au contrôle de leur message. Ni à essayer 10 stratégies de communication en sachant que 9 d'entre elles échoueront. Rares sont les gestionnaires qui sont à l'aise quand vient le moment de dire au comité de direction : «Nous allons essayer des choses et éviter de répéter celles qui vont échouer.» Pourtant, quand il s'agit de médias sociaux, c'est ce qu'il faut faire : essayer et se retourner de bord rapidement si ça ne fonctionne pas.

D.B. - Réussir sa stratégie de médias sociaux suppose de céder une partie du contrôle de l'histoire de sa marque à ses parties prenantes. C'est très angoissant...

R.Z. - Vous avez raison, surtout lorsqu'une crise frappe. Cependant, les entreprises peuvent maîtriser le risque en amorçant la conversation avec leurs parties prenantes quand tout va bien. Vous ne pouvez pas vous mettre à communiquer quand ça va mal. Les gens seront très sceptiques. Ils mettront en doute le contenu de tous vos messages. Ils se sentiront manipulés. Montrez-vous ouvert lorsque les choses vont bien, et on se montrera ouvert envers votre organisation lorsque le ciel s'assombrira.

D.B. - Vous menez plusieurs projets de front. Parlez-nous de la série Quit Your Day Job. De quoi s'agit-il ?

R.Z. - Je suis une entrepreneure et je cherche toujours la meilleure stratégie pour atteindre mes objectifs. Il faut faire preuve de créativité. Un entrepreneur a souvent plus de voies qu'il pense pour atteindre son but. J'ai participé à cette série parce qu'elle répond à la troisième stratégie pour combler le déficit des femmes en technologie : investir dans des entrepreneures. J'y mentorais de jeunes femmes désireuses de lancer une entreprise en technologie. Au fil des épisodes, si j'aimais un concept, si j'y voyais du potentiel, j'investissais dans le projet. La somme correspondait à un an de salaire. De quoi permettre à la jeune femme de quitter son emploi pour se concentrer à temps plein sur son projet. Nous n'avons pas tourné de deuxième saison pour l'instant. Ça me plairait bien. Et tout ça ne m'empêche pas de continuer à soutenir l'entrepreneuriat technologique féminin avec mon temps et mon argent. Je le faisais avant le tournage de la série. C'est pour cela qu'on m'a sollicitée pour y participer.

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