Bombardier: la leçon à retenir de la crise de rémunération

Offert par Les Affaires


Édition du 08 Avril 2017

Bombardier: la leçon à retenir de la crise de rémunération

Offert par Les Affaires


Édition du 08 Avril 2017

La hausse substantielle de la rémunération des six principaux dirigeants de Bombardier en 2016 a choqué les Québécois.

Devant cette colère, la société a décidé de reporter de 2019 à 2020 le droit à la partie variable à moyen et à long terme («plus de 50 %», indique-t-on) de la rémunération totale de ses hauts dirigeants. Cette partie incitative de leur rémunération est également conditionnelle à l’atteinte d’objectifs de performance. Les actionnaires, les contribuables et les employés de Bombardier s'attendaient à plus de modération de la part des administrateurs. On parle d'une augmentation de 48 % (à 43 millions de dollars) de la rémunération totale des six principaux dirigeants, mais il faut pondérer cette hausse par le fait que certains d'entre eux n'ont pas été payés pour une pleine année en 2015.

La rémunération des hauts dirigeants de Bombardier n'est pas exceptionnelle dans l'univers nord-américain, mais on comprend mal que le conseil d'administration (CA) n'ait pas montré plus de modération à cet égard compte tenu du soutien financier que la société a reçu des gouvernements. Il est probable en effet que Bombardier aurait été obligée de se vendre à une autre société n'eût été cet appui qui, il faut le préciser, ne comprend pas de subventions. Québec a investi 1,3 G$ pour obtenir une participation de 49,5 % dans le programme de la C Series, qui a coûté 5 G$. Pour sa part, la Caisse de dépôt a déboursé 2 G$ pour acquérir 30 % de Bombardier Transport. De son côté, Ottawa a prêté 372,5 M$ sans intérêt à l'entreprise.

Ces investissements, qui ont reçu l'appui de l'ensemble des Québécois, étaient justifiés puisque le chef de file de l'industrie canadienne aéronautique est aussi la plus importante société industrielle du pays, en plus d'être sous contrôle canadien. Bombardier, qui emploie 66 000 personnes et qui a obtenu un revenu de 21 G$ en 2016, est trop importante pour qu'on la laisser tomber, à l'instar des sauvetages des grandes banques américaines, de General Motors et de Chrysler lors de la crise financière de 2008 et de la grande récession qui a suivi.

Le cafouillage survenu dans la gouvernance de la rémunération des hauts dirigeants de Bombardier résulte de trois facteurs. Le premier est l'erreur de jugement du comité de rémunération du CA, des administrateurs qui ont entériné la rémunération proposée et des hauts dirigeants eux-mêmes. Ce processus se gère en vase clos, sans égard aux autres parties prenantes de la société. Le CA aurait dû comprendre le risque d'exposer la dichotomie entre, d'une part, la rémunération généreuse de certains hauts dirigeants et, d'autre part, les pertes en capital des actionnaires, les 15 000 mises à pied (dont le tiers au Québec) et les investissements de l'État.

Système de rémunération toxique

Cela dit, les administrateurs de Bombardier ne sont pas les seuls à affronter la cupidité des pdg qui, chaque année, creusent l'écart entre leur rémunération et celle des autres salariés.

La deuxième erreur est le fait que les gouvernements n’aient pas associé leur appui financier à une certaine modération à la rémunération des dirigeants de Bombardier. C’est ce qui avait été fait aux États-Unis lors de la récession de 2008-2009 pour des compagnies qui avaient bénéficié d’un financement du gouvernement américain.

Le troisième facteur de cette bêtise est le système de rémunération perverti des dirigeants de sociétés en Amérique du Nord. Certes, le même système existe en Europe, mais il est moins excessif. Ainsi, selon une étude faite en 2014 à l'Université Harvard, la rémunération moyenne des chefs de la direction des 500 sociétés du Fortune 500 était de 12,6 M$ US, comparativement à 7,4 M$ en Suisse (deuxième plus élevée), 5,9 M$ en Allemagne, 4 M$ en France, 3,8 M$ au Royaume-Uni, 3,6 M$ en Suède et 2,4 M$ au Japon. Autre indicateur révélateur, la rémunération des pdg américains représentait alors 354 fois la rémunération moyenne des travailleurs, en regard de 148 fois en Suisse, 147 fois en Allemagne, 104 fois en France, 89 fois en Suède, 84 fois au Royaume-Uni et 67 fois au Japon.

L'étude ne fournit pas de chiffres pour le Canada, mais on sait que le système de rémunération des États-Unis exerce une grande influence au Canada et que les CA utilisent les mêmes conseillers pour établir la rémunération des hauts dirigeants. Tous suivent la même méthode. Ils constituent un ou des groupes de référence, desquels on extraira des données comparatives qui permettront aux administrateurs de fixer la rémunération à accorder aux hauts dirigeants.

Le CA de Bombardier s'est appuyé sur deux groupes : l'un, de 37 sociétés européennes, pour établir la rémunération de Laurent Troger, pdg de Bombardier Transport, dont le siège social est à Berlin ; l'autre, de 25 sociétés américaines (Boeing, GE, UTC, Textron, Raytheon, Rockwell, Caterpillar, Ford, etc.), pour fixer la rémunération des hauts dirigeants canadiens. Toutes ces sociétés sont en bonne santé financière, alors que Bombardier a subi des pertes de 1,3 G$ en 2016 et de près de 7 G$ en 2015, en plus d'afficher un avoir propre négatif de 4,5 G$ à la fin de 2016.

La crise vécue par Bombardier semble une première pour une société inscrite en Bourse en Amérique du Nord. Aux États-Unis, des dirigeants de banque subissent des baisses de leur rémunération. Il serait heureux que nos CA tirent une leçon de ce que vient de vivre la direction de Bombardier.

 

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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