Crise au Barreau : Me Khuong devrait offrir de reprendre l'élection

Offert par Les Affaires


Édition du 11 Juillet 2015

Crise au Barreau : Me Khuong devrait offrir de reprendre l'élection

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Édition du 11 Juillet 2015

Il n'y a pas que la bâtonnière du Québec, Me Lu Chan Khuong, qui soit dans l'eau chaude. Le Barreau se retrouve lui aussi dans l'embarras, car il doit maintenant gérer sa décision de la suspendre alors que de nombreux avocats lui reprochent d'avoir agi de façon précipitée.

Rappelons les faits qui ont mené à la crise que vit cet ordre professionnel.

1. Peu avant d'être élue vice-présidente du Barreau en 2014, Me Khuong a fait l'objet d'une plainte policière à la suite d'un présumé vol à l'étalage de deux pantalons. Elle prétend avoir oublié de les payer par distraction.

2. Le procureur de la Couronne lui a offert de se prévaloir du Programme de traitement non judiciaire de certaines infractions criminelles commises par des adultes. Ce programme, qui vise des infractions mineures, a pour but d'éviter un casier judiciaire à une personne qui serait jugée coupable à la suite d'un procès. Ainsi, son nom a été inscrit sur une liste confidentielle pour une durée de cinq ans.

3. Comme des milliers d'autres personnes, Me Khuong a accepté cette non-judiciarisation pour éviter un procès. Celui-ci aurait été très médiatisé, puisqu'elle siégeait au conseil d'administration du Barreau et que son conjoint, l'avocat et ex-ministre de la Justice Marc Bellemare, est une personnalité connue. Ce procès aurait probablement ruiné ses chances d'accéder à la présidence du Barreau au printemps 2015.

4. La liste des personnes non judiciarisées est confidentielle : elle est connue d'un nombre restreint d'avocats de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP). C'est pourquoi Me Khuong a pris le risque de ne pas en informer le Barreau. On sait maintenant qu'elle aurait dû divulguer cette information au CA du Barreau, où tout ce qui y est dit doit rester confidentiel. Elle a dû craindre que cette règle ne soit pas respectée.

5. La nature humaine étant parfois vilaine, une autre règle de confidentialité a, semble-t-il, été brisée. Des avocats pensent que la divulgation à La Presse+ de la faute reprochée à Me Khuong viendrait d'une source proche de la DPCP ou de la police, puisque les employés du magasin, où aurait été commis l'incident, ne connaissent pas les noms des personnes non judiciarisées.

6. S'agirait-il d'un «règlement de compte», comme le suggère Me Claude Provencher, ex-directeur général du Barreau ? L'élection à la présidence de l'ordre s'est faite au terme d'une campagne électorale assez vive, qui a opposé Me Khuong et un avocat montréalais, Me Luc Deshaies, qui s'est présenté à la tête d'une équipe de candidats pour tous les postes en jeu à l'élection. La plupart des membres de son équipe ont été élus, mais Me Deshaies a été battu par Me Khuong, qui a récolté 63 % des votes. Rien n'indique que l'équipe de Me Deshaies ait été impliquée dans la fuite à La Presse+.

7. Dès qu'il en a été informé, le Barreau a convoqué une réunion de son CA, qui a exigé la démission de la bâtonnière. Face à son refus, le CA, qui est en grande partie composé de membres de l'équipe de Me Deshaies, l'a suspendue. On explique que la bâtonnière doit être au-dessus de tout soupçon, car sa fonction représente le système de justice. Estimant cette décision «déraisonnable», Me Khuong entend la contester.

8. Le Barreau a-t-il réagi trop vite ? La faute reprochée à Me Khuong, qui n'a été ni admise ni prouvée, est-elle si importante, sachant que des juges ont continué de siéger après avoir fait des bêtises ? Que fait-on de la présomption d'innocence ? Quoi qu'il en soit, le CA du Barreau se retrouve dans une situation très difficile qui, de plus, risque de diviser ses membres. Peut-il suspendre indéfiniment sa bâtonnière ? Dans ce cas, il devra demander à l'un des deux vice-présidents, qui sont de l'équipe Deshaies, d'exercer la présidence. Peut-il destituer sa bâtonnière pour cet incident, alors même que Me Khuong reçoit un fort courant de sympathie ?

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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