Ciment McInnis : la Caisse prend le contrôle pour sauver sa mise


Édition du 20 Août 2016

Ciment McInnis : la Caisse prend le contrôle pour sauver sa mise


Édition du 20 Août 2016

Le projet de cimenterie dans lequel Laurent Beaudoin et Pauline Marois nous ont embarqués - le premier, pour réaliser un vieux rêve, la seconde, pour faire élire des députés péquistes en Gaspésie - continue d'étonner.

Annoncé prématurément, ce projet était mal ficelé. À preuve, les dépassements de coûts dus aux erreurs de conception, de design et de planification des travaux, ainsi qu'aux améliorations apportées pour optimiser l'usine et ses installations portuaires et de transbordement.

Le coût du projet est maintenant estimé à 1,5 milliard de dollars, en incluant les installations portuaires prévues à Providence, au Rhode Island, au lieu de 1,1 G$ tel qu'annoncé lors de son lancement.

La Caisse de dépôt et placement du Québec, qui avait investi au départ 80 millions de dollars en actions ordinaires, auxquelles elle a déjà ajouté 60 M$, vient d'annoncer qu'elle réinvestit 125 M$ en actions privilégiées.

Si la Caisse pose ce geste, c'est pour sauver sa mise de fonds et parce qu'on n'a pas trouvé d'autres investisseurs prêts à investir dans le capital de risque de la future cimenterie. La Caisse obtient 55 % de Beaudier Ciment et nommera 7 de ses 11 administrateurs. Les familles Bombardier et Beaudoin posséderont 45 % du capital-actions et auront quatre administrateurs. Beaudier Ciment détient environ les deux tiers du capital-actions de Ciment McInnis, dans laquelle le partenaire minoritaire, Investissement Québec, a investi 100 M$ d'actions ordinaires et 250 M$ sous forme de débenture. La Caisse devient ainsi la seule responsable de ce grand projet industriel. Elle sera couverte de gloire si la cimenterie s'avère une réussite, mais c'est elle qui recevra les tomates en cas d'échec. Il a été impossible de savoir si les 125 M$ d'actions privilégiées achetées par la Caisse seront émises par Beaudier Ciment ou si elles le seront plutôt par Ciment McInnis, ce qui semblerait plus logique.

Recruté par la Caisse, BlackRock Alternative Investors, un très important gestionnaire de fonds de placement, injectera 125 M$ sous forme de débentures émises par CimentMcInnis. Certaines conditions liées à ce financement ne seraient pas encore arrêtées. Compte tenu du risque élevé du projet, on peut s'attendre à ce que BlackRock obtienne un taux de rendement élevé pour son investissement et probablement des garanties. Il reste aussi à savoir si celles-ci auront un rang supérieur au prêt «garanti» de 250 M$ d'Investissement Québec. Selon ce qui nous a été dit, les débentures d'une valeur de 360 M$, placées par un syndicat bancaire dirigé par la Banque Nationale, auraient été émises sans lien sur des actifs, ce qui semble étonnant.

Le projet de cimenterie s'est matérialisé grâce à la détermination impressionnante d'un entrepreneur visionnaire, Laurent Beaudoin, qui en a fait voir de toutes les couleurs aux actionnaires de Bombardier depuis quelques années (en témoignent le lancement et l'optimisation très laborieuse du CSeries), et à l'ambition mal contrôlée d'une première ministre, Pauline Marois, désireuse de profiter d'une conjoncture préélectorale et prête à prendre des risques avec l'argent des contribuables. On l'a vu aussi avec le projet très risqué d'hydroliennes de RER Hydro, qui a échoué lamentablement.

La Caisse justifie son réinvestissement dans la cimenterie gaspésienne en disant que le marché pour le ciment s'est grandement amélioré, que l'usine sera l'une des plus productives du monde et qu'elle sera dirigée par une équipe de calibre international. Il le faut. Un mandat de recrutement international de son futur président et chef de la direction est en cours d'exécution. Puisque la Caisse gère les fonds de dizaines de caisses de retraite et de sociétés d'assurance du secteur public au profit de l'ensemble des Québécois, nous espérons tous qu'elle aura raison et que cette usine produira le rendement espéré.

Des projets risqués

Alors qu'elle détient normalement des participations minoritaires (outre son secteur immobilier), la Caisse se retrouve maintenant avec des responsabilités de planification et de gestion de deux grands projets : la cimenterie McInnis, dont la construction est achevée à 60 %, et le Réseau électrique métropolitain, qui en est à la phase de conception et qui doit coûter 5,5 G$. Ce réseau de transport en commun sur rail desservira une grande partie de la région de Montréal. Ces projets industriels présentent des défis majeurs, mais leur niveau de risque n'apparaît pas excessif pour la Caisse, étant donné son actif qui atteint maintenant 255 G$. Il serait sage que les administrateurs de la Caisse, qui sont les fiduciaires des fonds de prévoyance qui lui sont confiés, s'assurent du succès de ces investissements avant d'en autoriser de semblables.

Le président de la Caisse, Michael Sabia, estime que le rendement de ces investissements, que celle-ci devrait obtenir à moyen et à long terme, devrait être comparable à ceux d'autres participations acquises ailleurs dans le monde. C'est ce que tous les Québécois espèrent aussi.

J'aime

Il faut de la vision et beaucoup de détermination pour investir dans l'industrie du taxi et la moderniser de façon substantielle face à la menace d'Uber. Bravo, Alexandre Taillefer.

Je n'aime pas

Les pays occidentaux observent avec un silence inquiétant la mise en place d'une dictature en Turquie. L'autoritaire et narcissique président islamiste Recep Tayyip Erdogan profite du coup d'État raté du 15 juillet pour restreindre les libertés civiles. Selon CNN, plus de 35 000 personnes de tous les milieux ont été détenues. Il a pris le contrôle du pouvoir judiciaire. Erdogan a fermé 131 médias, y compris le plus important quotidien du pays, et 89 journalistes font l'objet d'un mandat d'arrêt. Des passeports ont été saisis à des journalistes étrangers. La Turquie compte 79 millions d'habitants, et son armée, la deuxième en importance au sein de l'OTAN, comprend plus de 500 000 membres.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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