Briser les monopoles des géants de l'Internet et mieux les taxer


Édition du 24 Août 2019

Briser les monopoles des géants de l'Internet et mieux les taxer


Édition du 24 Août 2019

CHRONIQUE. Le lancement par le ministère de la Justice des États-Unis d'une vaste enquête sur les géants de l'Internet est une bonne nouvelle. La raison ? «Les grandes inquiétudes des consommateurs, des sociétés et des entrepreneurs sur la recherche dans Internet, les médias sociaux et le commerce en ligne».

Le communiqué du ministère ajoute que ce mandat pourrait être «redressé» à la lumière de faits qui pourraient être considérés en contravention de la loi fédérale sur la concurrence. Il s'agit du Sherman Anti-Trust Act de 1890, qui vise à combattre les manoeuvres et les conspirations limitant la concurrence et favorisant les monopoles. Le communiqué ne désigne pas d'entreprise, mais il est clair que Google, Facebook et Amazon figurent au premier plan des sociétés visées. Celles-ci bénéficient de positions dominantes dans les trois domaines mentionnés. Apple pourrait aussi être visée, d'autant plus qu'elle est accusée de monopole par des développeurs d'applications utilisant son système d'exploitation iOS.

De façon générale, les outils de recherche dans Internet, de connectivité et de commerce électronique de ces géants sont très appréciés des consommateurs et des entreprises. Alors que Google est une bibliothèque universelle et que Facebook a élargi le perron d'église au monde entier, Amazon offre à bon prix des milliards de produits livrables en très peu de temps au lieu désiré. Quant aux services, ils sont accessibles sans coût apparent ou à des prix très compétitifs.

Ces multinationales américaines sont de très grands succès commerciaux, mais leur poids dans les marchés et leur manque d'éthique menacent la concurrence et la démocratie. Face à Google et à Facebook, qui encaissent plus de la moitié des revenus de publicité aux États-Unis et au Canada, les grands médias se meurent.

Facebook, qui vient de payer une amende de 5 milliards de dollars américains pour avoir violé une entente de 2012 sur la protection des données de ses abonnés, a permis à Cambridge Analytica en 2016 d'avoir accès à de l'information sur 87 millions de personnes à qui des individus malhonnêtes ont envoyé de la propagande pour soutenir l'appui au Brexit et favoriser l'élection de Trump, ce qui était anti-démocratique. Alors que la richissime Amazon a exigé, sans gêne, des milliards de subventions pour établir un deuxième siège social, Google a payé des amendes de plus de 8 milliards d'euros pour abus de position dominante en Europe.

Ces sociétés, et plusieurs autres de la même génération (YouTube, Twitter, Netflix, Uber, Airbnb, etc.) n'ont aucune gêne à exploiter des travailleurs de pays émergents. Elles sont aussi des championnes de l'évitement fiscal. Alors que le gouvernement canadien refuse d'obliger Netflix à collecter la TPS sur la vente de ses séries télévisées, Washington fait preuve d'aveuglement volontaire. Heureusement, l'Europe est plus active. La France imposera aux grandes sociétés technos une taxe de 3 % sur le revenu gagné chez elle et le Royaume-Uni en prévoit une de 2 %. D'autres pays envisagent de les imiter. Naturellement, la taxe française a subi l'ire de Trump, qui a promis des représailles.

Maîtriser les monopoles

Un consensus s'établit actuellement sur la nécessité de freiner l'élan de ces multinationales, mais sans les affaiblir face aux géants asiatiques, tels Huawei, champion du 5G et deuxième fabricant de cellulaires, Alibaba, rival chinois d'Amazon, et Samsung, numéro un mondial du cellulaire.

Chris Hughes, cofondateur de Facebook, estime que celle-ci a acquis une taille et une influence telles qu'elle doit être amputée d'Instagram et de WhatsApp, des acquisitions faites en 2012, ce que demande aussi la sénatrice Elizabeth Warren. Comme certains membres du Congrès, M. Hughes estime qu'à l'instar de l'Europe, les États-Unis devraient se donner une loi pour garantir aux usagers le contrôle de leurs propres données et créer une agence de surveillance des géants de l'Internet.

Le gouvernement américain est déjà intervenu avec force pour contraindre les monopoles. En 1911, Washington a obligé la Standard Oil, l'empire de John D. Rockefeller, à se départir de plus de 30 filiales actives dans toutes les sphères de l'industrie. L'économie en a profité.

Pour sa part, AT&T a été contrainte en 1956 de donner un accès gratuit à 7 820 brevets de sa filiale Bell Labs sur plusieurs technologies, dont le transistor. Ce déblocage a donné naissance à l'imposante industrie américaine des microprocesseurs (Intel, etc.), permis l'explosion de la fabrication d'ordinateurs (IBM, HP, etc.) et contribué à créer des dizaines de milliers d'entreprises dans d'autres secteurs des technologies.

Les géants du Web ne sont probablement pas pas aussi riches en brevets que l'était AT&T, mais ils possèdent des milliards de données qui pourraient être partageables et qui pourraient servir de base pour quantité d'autres applications, notamment en intelligence artificielle. Les données ne sont-elles pas aujourd'hui la matière première la plus précieuse de nombreuses innovations technologiques actuelles et à venir ?

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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