Assurance médicaments: la réforme doit viser les exclus


Édition du 23 Mars 2019

Assurance médicaments: la réforme doit viser les exclus


Édition du 23 Mars 2019

CHRONIQUE — Environ 20 % des Canadiens et quelque 10 % des Québécois n'ont pas d'assurance médicaments. Il s'agit surtout de femmes, d'Autochtones, de personnes à faible revenu et de jeunes gens (19-34 ans), autant de groupes marginalisés et laissés pour compte.

Pour un pays aussi riche que le Canada, qui aime afficher sa qualité de vie, cette situation est inacceptable.

Alors qu'aucune province n'ose débattre de cet enjeu, le gouvernement fédéral doit être félicité pour avoir créé un «Comité consultatif sur la mise en oeuvre d'un régime d'assurance médicaments», lequel vient de déposer un rapport provisoire sur ses travaux. Au Québec, des syndicats et des organismes communautaires s'affairent à sensibiliser la population sur les faiblesses du régime en place. Pour sa part, la FTQ a publié une étude à ce sujet et a tenu en novembre dernier un colloque. Il importe d'en parler si on veut qu'il se passe quelque chose.

Outre le fait que des millions de Canadiens sont sans protection à cet égard (10 % des Canadiens âgés de 18 ans et plus ont négligé de donner suite à une ordonnance faute d'argent), le système canadien est hétérogène, son admissibilité et sa couverture variant en fonction de l'âge, des revenus, de l'employeur, du lieu de résidence, des troubles de santé et des médicaments prescrits.

Les Canadiens ont dépensé 34 milliards de dollars en 2017 pour leurs médicaments prescrits en 2018, comparativement à 2,6 G$ en 1985, et on prévoit que leur coût atteindra 50 G$ dans dix ans. Au Québec, leur facture a atteint 10 G$, soit 18,5 % des dépenses de santé, après les établissements de santé (40 %), mais juste avant les médecins (15 %).

Principes d'une réforme

Le comité consultatif créé par le fédéral a énoncé six principes, qui devraient guider la réforme qu'il va proposer : l'universalité, une couverture transférable entre les provinces, une liste de médicaments assurés reposant sur des études probantes, un régime conçu et mis en oeuvre en collaboration avec les citoyens, un système fondé sur un partenariat solide entre les gouvernements et les peuples autochtones ainsi qu'une gestion pharmaceutique fiable favorisant l'innovation et l'optimisation des ressources et viable sur le plan des coûts.

On ne peut qu'être d'accord avec ces principes, qui placent le citoyen au coeur du système. De plus, au lieu de l'assemblage hybride et disparate actuel (100 régimes publics et 100 000 régimes privés), il tombe sous le sens que la réforme comprenne la mise en place d'une agence nationale, d'un dispositif de gestion scientifique et optimale de la liste des médicaments assurés et d'un système de gestion des données sophistiquée sur les médicaments.

Il faudra aussi non seulement viser un meilleur contrôle des coûts, mais surtout freiner leur croissance, qui ne peut que s'accélérer avec le vieillissement de la population et la découverte de médicaments de plus en plus coûteux. Selon les données de l'OCDE, le Québec aurait le deuxième coût le plus élevé (1 056 $ par personne pour les médicaments prescrits et 1 190 $ en incluant les produits en vente libre), avant le cancre de l'inefficacité, les États-Unis (près de 1 400 $), mais derrière le reste du Canada (912 $) et l'OCDE (médiane de 603 $). Selon l'étude de la FTQ, un régime public et universel pourrait faire baisser les prix des médicaments de 20 % à 40 % et de 1 G$ à 3 G$ pour l'ensemble du Québec.

Obstacles à surmonter

Sans égard à ce que le comité consultatif proposera éventuellement, il est certain que plusieurs obstacles devront être levés si on veut en arriver à un régime national universel.

Le premier sera la résistance des assureurs, qui collectent environ 12 G$ de primes des régimes des employeurs. Ils ont été les principaux opposants à la réforme du président Obama, qui a été un demi-échec. Ils ont pourtant réussi à accroître leurs revenus, alors même que le nombre d'Américains non couverts est passé de 48 millions en 2010 à 28 millions actuellement.

Il faudra aussi que les gouvernements s'entendent, ce qui ne sera pas facile, l'administration des soins de santé relevant des provinces. De plus, il faudra prévoir un droit de retrait avec compensation, une option que le Québec affectionne particulièrement.

Un régime national ferait économiser des milliards de dollars de primes aux employeurs, mais les gouvernements voudront récupérer ces sommes pour financer le futur programme. Ce serait un très gros gâteau à partager.

Enfin, il faudra une adhésion du public, ce qui demandera beaucoup d'éducation populaire.

Les régimes nationaux varient beaucoup d'un pays à l'autre. Alors que certains sont presque gratuits pour les usagers (Angleterre, Pays-Bas), d'autres exigent des quotes-parts plus ou moins élevées (35 $ CA par ordonnance en Australie, entre 7 $ et 17 $ CA en Allemagne et entre 2 $ et 8 $ CA en Nouvelle-Zélande).

Il faut se faire à l'idée qu'une réforme nous sera proposée. Sachant que le mieux est l'ennemi du bien, il faut espérer que celle-ci place le citoyen au coeur du système et qu'elle vise véritablement l'équité et l'efficacité.

***

J’aime
Le gouvernement de ­François ­Legault rétablira le poste de ­Commissaire à la santé et au ­bien-être (CSBE) que le gouvernement de ­Philippe ­Couillard avait aboli. Doté d’un budget de 3,2 M$, le ­CSBE a pour rôle de surveiller l’accessibilité et la qualité des services de santé offerts par l’État québécois.

Je n’aime pas ­
Selon un rapport récent du ­Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines, la valeur de remplacement des conduites d’eau potable, d’eaux usées et pluviales ainsi que des chaussées ­au-dessus des réseaux et des ouvrages et des usines de traitement de l’eau potable et des eaux usées, qui sont en « mauvais ou très mauvais état ou à risque de défaillance » au ­Québec est estimée à 39,5 G$. Ce rapport, qui a été réalisé pour le ministère des ­Affaires municipales du ­Québec, est une mise à jour d’une étude que le gouvernement précédent a ignorée. À quand une régie publique pour gérer le redressement qui s’impose dans ce domaine et un financement adéquat de type ­utilisateur-payeur pour en réfléter les coûts véritables auprès des usagers ?

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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