À tort ou à raison, l'immigration pourrait être l'enjeu déterminant

Offert par Les Affaires


Édition du 21 Septembre 2022

À tort ou à raison, l'immigration pourrait être l'enjeu déterminant

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Édition du 21 Septembre 2022

Au lieu de la présenter comme une menace, pourquoi ne parlons-nous pas des réussites des immigrants sur les plans culturel, scientifique, économique et entrepreneurial? se demande Jean-Paul Gagné. (Photo: 123RF)

 

À tort ou à raison, l’immigration pourrait être la question décisive des élections
Jean-Paul Gagné
Il n’y a jamais eu autant de promesses faites au cours d’une campagne électorale au Québec. Pour deux raisons : le nombre de partis en lice et leur empressement à se distinguer et à séduire les électeurs.
Tous sont à risque. La CAQ, qui file vers les 80 à 90 circonscriptions et même plus, ne veut pas perdre son avance, car un recul dans les sondages pourrait envoyer un signal de faiblesse. Pour les autres partis, il s’agit surtout de sauver les meubles, soit maintenir au moins leur position et espérer faire des gains pour montrer leur vitalité.
Malheureusement, cette flopée de promesses a pour effet de confondre les électeurs quant aux engagements des partis et de rendre très difficiles les analyses comparatives. Bien malin celui ou celle qui, par exemple, peut évaluer et comparer les diverses baisses d’impôt offertes sans examiner attentivement les plateformes des partis. Autrement dit, un grand nombre d’électeurs n’arriveront pas à s’y retrouver, avec le résultat que cette question, malgré son importance, ne sera pas le facteur déterminant dans le choix que fera l’électeur le 3 octobre. Et il se pourrait qu’il en soit ainsi pour la santé, l’environnement et le logement malgré l’importance de ces questions. 
Les chances sont donc grandes que les électeurs votent sur l’impression générale qu’ils se feront de tel ou tel leader ou encore de tel ou tel parti, mais peut-être aussi sur un enjeu particulièrement sensible qui pourrait être déterminant.
Un enjeu complexe
Cet enjeu pourrait être celui de la politique d’immigration des partis. Doit-on viser 35 000, 50 000, 70 000 ou 80 000 nouveaux immigrants permanents par année ?
François Legault insiste sur le 50 000 pour rassurer sa base électorale. Au bout du compte, ça pourrait être plus, mais il ne faut pas le dire. Certes, c’est compliqué à gérer, car les défis sont grands sur trois plans : économique, culturel et politique.
1. La pénurie de main-d’œuvre est bien réelle. Il y avait 270 000 postes vacants en juin, soit un taux de vacance de 6,7 %, en regard de 5,9 % pour le pays. On manque de bras dans plusieurs secteurs, sans oublier la santé, et rien n’indique que ça va s’améliorer. C’est ridicule de dire que « la pénurie de main-d’œuvre, c’est bon pour l’économie ». Certes, c’est bon pour les travailleurs, car elle fait croître les salaires. Or, ces hausses contribuent à l’inflation, dont on veut pourtant se débarrasser.
Priver les entreprises de main-d’œuvre, c’est les empêcher de se développer, d’exporter, d’enrichir le pays. C’est aussi affaiblir les régions et priver l’État de recettes fiscales. La région de la Chaudière-Appalaches, où le taux de chômage est de 3,6 %, perdrait 2 milliards de dollars (G$) de revenus parce que les usines manquent d’employés, selon une étude de Deloitte. 
2. L’intégration des immigrants non francophones pose un défi réel, mais non insurmontable. Il y a plusieurs exemples de réussite, notamment sur le plan de l’emploi. En avril, le taux chômage des immigrants âgés de 25 à 54 ans était de 5,3 % et leur taux d’emploi, de 81,9 %. Fait-on assez d’efforts ? Des entreprises se font couper l’aide pour leur propre programme de francisation. Québec dépense-t-il tout l’argent (650 millions de dollars en 2020-2021) qu’Ottawa lui envoie ? 
3. C’est sur le plan politique que ça se complique le plus. La CAQ est sensible au malaise d’une partie de sa base électorale à l’endroit des immigrants. Les amalgames maladroits de François Legault, qui a associé l’immigration à la violence, aux extrémistes, à la menace au français et à la cohésion nationale, n’aident pas à un examen rationnel de cette question.
S’y ajoute le poids du Québec au sein de la fédération. Ottawa veut 450 000 immigrants en 2024. À 50 000, le Québec est à 11 %. À ce rythme, il passera rapidement à 20 % de la population du pays, comparativement à 22,5 % actuellement et à 28 % en 1971. Ça veut dire moins de députés à Ottawa, moins d’influence, etc. 
La CAQ veut rapatrier tous les pouvoirs en immigration, mais on ne sait pas ce qu’elle en ferait. Pas sûr que ce soit une bonne idée. Le gouvernement Legault n’a pas brillé en éliminant 18 000 dossiers d’immigrants en attente après sa prise du pouvoir. Les dossiers traînent, comme à Ottawa d’ailleurs. On ne semble pas se soucier des victimes de ce fiasco.
L’immigration, une richesse
Pourtant, l’« immigration est une richesse », soutient M. Legault. Malheureusement, on n’en fait pas la promotion. Au lieu de la présenter comme une menace, pourquoi ne parlons-nous pas des réussites des immigrants sur les plans culturel, scientifique, économique et entrepreneurial ? 
Certes, l’usage du français diminue au Québec, comme au Canada. Mais que faisons-nous pour valoriser la culture et la langue française ? Sauf exception, les émissions de divertissement de nos télévisions parlent le joual et le franglais. Plusieurs artistes chantent davantage en anglais qu’en français et de nombreux humoristes se produisent en joual. Un virage à 180 degrés de ces influenceurs aurait peut-être plus d’effet sur la préservation du français que les réglementations tatillonnes et discriminatoires du gouvernement. 
J’aime
En laissant entendre que le troisième lien entre Québec et Lévis pourrait être « un pont ou un tunnel », François Legault a révélé que le tunnel promis en 2018 n’est plus la seule solution envisagée. Les études en cours pourraient donc montrer qu’il y a une meilleure solution que ce fameux tunnel, dont le coût serait assurément exorbitant en plus de contribuer fortement à l’étalement urbain au sud du fleuve. 
Je n’aime pas
Le Fonds des générations a été créé en 2006 pour rembourser les déficits cumulés de l’État pour ne pas les faire payer par les nouvelles générations. Or, la dette représentant ces déficits représenterait encore 19 % du PIB en mars 2026. Inspirés par le rapport préélectoral optimiste du ministère des Finances et par le désir de séduire les électeurs, des partis proposent d’utiliser le Fonds des générations pour leur offrir des bonbons et réduire les impôts. Ce n’est pas une bonne idée. Le gouvernement est lourdement endetté et il est incapable d’offrir des services adéquats (en santé, en éducation, etc.). De plus, plusieurs infrastructures souffrent d’un grave déficit d’entretien. À elle seule, l’agglomération de Longueuil a besoin de 1 G$ pour renforcer ses usines d’eau potable et de traitement des eaux usées.

 

CHRONIQUE. Il n’y a jamais eu autant de promesses faites au cours d’une campagne électorale au Québec. Pour deux raisons : le nombre de partis en lice et leur empressement à se distinguer et à séduire les électeurs.

Consultez notre dossier sur les élections provinciales

Tous sont à risque. La CAQ, qui file vers les 80 à 90 circonscriptions et même plus, ne veut pas perdre son avance, car un recul dans les sondages pourrait envoyer un signal de faiblesse. Pour les autres partis, il s’agit surtout de sauver les meubles, soit maintenir au moins leur position et espérer faire des gains pour montrer leur vitalité.

Malheureusement, cette flopée de promesses a pour effet de confondre les électeurs quant aux engagements des partis et de rendre très difficiles les analyses comparatives. Bien malin celui ou celle qui, par exemple, peut évaluer et comparer les diverses baisses d’impôt offertes sans examiner attentivement les plateformes des partis. Autrement dit, un grand nombre d’électeurs n’arriveront pas à s’y retrouver, avec le résultat que cette question, malgré son importance, ne sera pas le facteur déterminant dans le choix que fera l’électeur le 3 octobre. Et il se pourrait qu’il en soit ainsi pour la santé, l’environnement et le logement malgré l’importance de ces questions. 

Les chances sont donc grandes que les électeurs votent sur l’impression générale qu’ils se feront de tel ou tel leader ou encore de tel ou tel parti, mais peut-être aussi sur un enjeu particulièrement sensible qui pourrait être déterminant.

 

Un enjeu complexe

Cet enjeu pourrait être celui de la politique d’immigration des partis. Doit-on viser 35 000, 50 000, 70 000 ou 80 000 nouveaux immigrants permanents par année ?

François Legault insiste sur le 50 000 pour rassurer sa base électorale. Au bout du compte, ça pourrait être plus, mais il ne faut pas le dire. Certes, c’est compliqué à gérer, car les défis sont grands sur trois plans : économique, culturel et politique.

1. La pénurie de main-d’œuvre est bien réelle. Il y avait 270 000 postes vacants en juin, soit un taux de vacance de 6,7 %, en regard de 5,9 % pour le pays. On manque de bras dans plusieurs secteurs, sans oublier la santé, et rien n’indique que ça va s’améliorer. C’est ridicule de dire que « la pénurie de main-d’œuvre, c’est bon pour l’économie ». Certes, c’est bon pour les travailleurs, car elle fait croître les salaires. Or, ces hausses contribuent à l’inflation, dont on veut pourtant se débarrasser.

Priver les entreprises de main-d’œuvre, c’est les empêcher de se développer, d’exporter, d’enrichir le pays. C’est aussi affaiblir les régions et priver l’État de recettes fiscales. La région de la Chaudière-Appalaches, où le taux de chômage est de 3,6 %, perdrait 2 milliards de dollars (G$) de revenus parce que les usines manquent d’employés, selon une étude de Deloitte. 

2. L’intégration des immigrants non francophones pose un défi réel, mais non insurmontable. Il y a plusieurs exemples de réussite, notamment sur le plan de l’emploi. En avril, le taux chômage des immigrants âgés de 25 à 54 ans était de 5,3 % et leur taux d’emploi, de 81,9 %. Fait-on assez d’efforts ? Des entreprises se font couper l’aide pour leur propre programme de francisation. Québec dépense-t-il tout l’argent (650 millions de dollars en 2020-2021) qu’Ottawa lui envoie ? 

3. C’est sur le plan politique que ça se complique le plus. La CAQ est sensible au malaise d’une partie de sa base électorale à l’endroit des immigrants. Les amalgames maladroits de François Legault, qui a associé l’immigration à la violence, aux extrémistes, à la menace au français et à la cohésion nationale, n’aident pas à un examen rationnel de cette question.

S’y ajoute le poids du Québec au sein de la fédération. Ottawa veut 450 000 immigrants en 2024. À 50 000, le Québec est à 11 %. À ce rythme, il passera rapidement à 20 % de la population du pays, comparativement à 22,5 % actuellement et à 28 % en 1971. Ça veut dire moins de députés à Ottawa, moins d’influence, etc. 

La CAQ veut rapatrier tous les pouvoirs en immigration, mais on ne sait pas ce qu’elle en ferait. Pas sûr que ce soit une bonne idée. Le gouvernement Legault n’a pas brillé en éliminant 18 000 dossiers d’immigrants en attente après sa prise du pouvoir. Les dossiers traînent, comme à Ottawa d’ailleurs. On ne semble pas se soucier des victimes de ce fiasco.

 

L’immigration, une richesse

Pourtant, l’« immigration est une richesse », soutient M. Legault. Malheureusement, on n’en fait pas la promotion. Au lieu de la présenter comme une menace, pourquoi ne parlons-nous pas des réussites des immigrants sur les plans culturel, scientifique, économique et entrepreneurial ? 

Certes, l’usage du français diminue au Québec, comme au Canada. Mais que faisons-nous pour valoriser la culture et la langue française ? Sauf exception, les émissions de divertissement de nos télévisions parlent le joual et le franglais. Plusieurs artistes chantent davantage en anglais qu’en français et de nombreux humoristes se produisent en joual. Un virage à 180 degrés de ces influenceurs aurait peut-être plus d’effet sur la préservation du français que les réglementations tatillonnes et discriminatoires du gouvernement. 

 

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J’aime

En laissant entendre que le troisième lien entre Québec et Lévis pourrait être « un pont ou un tunnel », François Legault a révélé que le tunnel promis en 2018 n’est plus la seule solution envisagée. Les études en cours pourraient donc montrer qu’il y a une meilleure solution que ce fameux tunnel, dont le coût serait assurément exorbitant en plus de contribuer fortement à l’étalement urbain au sud du fleuve.

Je n’aime pas

Le Fonds des générations a été créé en 2006 pour rembourser les déficits cumulés de l’État pour ne pas les faire payer par les nouvelles générations. Or, la dette représentant ces déficits représenterait encore 19 % du PIB en mars 2026. Inspirés par le rapport préélectoral optimiste du ministère des Finances et par le désir de séduire les électeurs, des partis proposent d’utiliser le Fonds des générations pour leur offrir des bonbons et réduire les impôts. Ce n’est pas une bonne idée. Le gouvernement est lourdement endetté et il est incapable d’offrir des services adéquats (en santé, en éducation, etc.). De plus, plusieurs infrastructures souffrent d’un grave déficit d’entretien. À elle seule, l’agglomération de Longueuil a besoin de 1 G$ pour renforcer ses usines d’eau potable et de traitement des eaux usées.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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