«Je ne donne pas de leçons aux entreprises. Je crois en l'exemplarité.» - Jean-Paul Agon, PDG, Groupe l'Oréal


Édition du 26 Août 2017

«Je ne donne pas de leçons aux entreprises. Je crois en l'exemplarité.» - Jean-Paul Agon, PDG, Groupe l'Oréal


Édition du 26 Août 2017

Par Diane Bérard

L'Oréal est reconnue comme une entreprise modèle à plusieurs égards. Nous avons rencontré le PDG, Jean-Paul Agon, pour connaître sa vision de son rôle à l'intérieur de cette méga-organisation, et à l'extérieur, dans la société. Nous avons parlé d'activisme, d'exemplarité, de gyroscope et du président des États-Unis.

L'entrevue no 329

Diane Bérard - Selon un sondage Weber Shandwick, 38 % des Américains attribuent aux PDG la responsabilité de s'exprimer sur les enjeux sociétaux. Êtes-vous d'accord ?

Jean-Paul Agon - Dans le monde d'aujourd'hui, la société doit être influencée, conduite et orientée non seulement par les responsables politiques, mais aussi par d'autres parties prenantes. Cela inclut les responsables d'ONG et, en particulier, les responsables d'entreprises. La société est composée de l'ensemble de ces parties prenantes. Chacune a une part de responsabilité dans la vie collective.

D.B. - S'agit-il d'un nouveau concept ? L'entreprise a longtemps vécu repliée sur la pratique de son métier...

J.P.A. - En effet, nous sommes face à une nouvelle donne. Le monde évolue, les choses changent. Le monde est de plus en plus complexe. On s'est aperçu qu'il ne fallait pas laisser les choses de la société uniquement au politique.

D.B. - Cela exige de faire un numéro d'équilibriste, car le tiers des Américains estiment que les PDG ne devraient pas se prononcer sur les enjeux sociétaux non liés à leur entreprise. Comment agir pour le mieux ?

J.P.A. - Je peux vous donner ma vision, mais je ne prétends pas que la formule s'applique à toutes les organisations. D'abord, la partie prenante qui a un rôle à jouer dans la société civile, c'est l'Oréal, pas son PDG. L'entreprise emploie des gens. Elle accorde des contrats. Elle produit des richesses. Elle peut être un modèle, un exemple. Depuis 10 ans, j'ai transformé l'Oréal pour que nous ayons ce rôle dans les domaines de l'éthique, de la diversité, de l'action citoyenne et du développement durable [à la fin de l'année, l'Oréal Canada veut devenir carboneutre].

D.B. - Quelle différence y a-t-il entre gérer la responsabilité sociétale des entreprises [RSE] et contribuer à l'avancement d'un enjeu sociétal ?

J.P.A. - Nous pourrions passer la journée à discuter des définitions de la RSE et de l'engagement citoyen. À mon avis, les deux sont liés. Prenons un exemple : la parfaite égalité salariale entre les hommes et les femmes dans les entreprises du monde entier est-il un enjeu de RSE ou un enjeu sociétal ? La firme Equileap a étudié 3 000 grandes sociétés de partout sur le globe pour déterminer où l'égalité entre les hommes et les femmes était la plus marquée. L'Oréal s'est classée première. Je veux que l'Oréal soit exemplaire. Exemplaire pour les collaborateurs internes, afin qu'ils soient heureux de travailler dans cette entreprise. Mais exemplaire aussi pour l'externe, afin qu'on dise : «Regardez ce que fait l'Oréal. L'Oréal fait de bonnes choses. On peut faire de bonnes choses nous aussi.»

D.B. - Vous refusez l'étiquette d'activiste, mais vous aspirez à ce que l'Oréal fasse bouger la société. Expliquez-nous.

J.P.A. - Que l'Oréal soit l'organisation la plus avancée dans le dossier de l'égalité homme-femme fait avancer la société. Et je veux faire de même en matière d'éthique. Depuis son origine, l'humanité fonctionne par exemplarité. Elle a toujours progressé par des exemple de gens, d'organisations ou de territoires qui sont des modèles, qui vont plus loin. Prenons le cas du Canada. M. Trudeau a une politique de diversité remarquable. Je pense qu'il le fait à la fois parce qu'il croit en la diversité, parce qu'il croit que la diversité est bonne pour le Canada et parce qu'il croit que si le Canada est exemplaire en matière de diversité d'autres pays auront tendance à suivre son exemple.

D.B. - Donnez-nous un exemple de ce que signifie «faire bouger la société».

J.P.A - L'Oréal a voulu ajouter un volet social à ses actions de développement durable. Ça fait partie de l'ensemble. Si vous voulez être exemplaire du point de vue de la RSE, vous devez aussi l'être du point de vue social. Il faut être honnête. En France, l'Oréal est l'une des entreprises les plus avancées sur le plan social. Elle est prospère, elle peut partager sa prospérité avec ses collaborateurs. Nous avons eu une idée : pourquoi ne pas offrir à tous nos employés, partout dans le monde, le meilleur de la protection sociale (santé, formation, assurances, protection contre les accidents, etc.) ? Et ce, même dans les pays où l'on n'a jamais entendu parler de protection sociale, comme le Pakistan ou la Colombie ? Nous avons expliqué, par exemple, qu'il faut protéger la famille d'un employé en cas de décès de celui-ci. Nous étions très heureux du programme Share & Care. Un jour, nous avons reçu un coup de fil de l'Organisation internationale du travail (OIT). Il semble qu'aucune société dans le monde n'avait implanté un tel programme à une telle échelle. En 2014, je suis donc allé à Genève, invité par le secrétaire général de l'OIT. J'ai présenté Share & Care à un premier groupe d'entreprises. Puis, nous avons formé un groupe de travail pour diffuser notre démarche partout dans le monde.

D.B. - Vous souhaitez que l'Oréal soit exemplaire, qu'elle inspire. Estimez-vous que le rôle d'un PDG est aussi de dénoncer ce qui dérape dans la société ?

J.P.A. - Il faut exercer la pudeur requise par l'exemplarité. La ligne est mince entre faire savoir et se vanter. De la même manière, lorsqu'on intervient sur des enjeux délicats, il faut utiliser son intelligence et sa raison. Ainsi, l'Oréal a une charte éthique très claire relativement à la diversité. Lorsque nos dirigeants américains sont interrogés à ce sujet, ils évoquent le contenu de cette charte pour affirmer nos valeurs. Toutefois, nous n'irons pas manifester et nous ne participerons pas à des tribunes publiques pour affirmer, par exemple, que nous pensons que le gouvernement américain va dans la mauvaise direction. Nous portons nos valeurs. Nous les incarnons, nous les partageons, mais nous ne pouvons pas faire la leçon aux autres. Même si le gouvernement américain a décidé de se retirer de l'Accord de Paris, de facto, pratiquement toutes les entreprises et les villes américaines vont continuer leurs efforts. Commençons par faire ce que nous devons faire.

D.B. - Selon le baromètre de la confiance Edelman, les citoyens accordent plus de crédibilité aux propos des employés qu'à ceux des PDG. Comment combattre ce cynisme ?

J.P.A. - Cette étude confirme la façon dont je vois les choses. Ce n'est pas à moi, PDG, de dire «il faut l'égalité, il faut la diversité». C'est à moi de convaincre les collaborateurs de l'Oréal de le faire.

D.B. - Comment arrivez-vous à satisfaire les demandes de toutes vos parties prenantes ?

J.P.A. - Pour être franc, je ne suis pas très intéressé à savoir ce que les autres voudraient qu'on fasse. Je suis plus intéressé à avoir mes propres convictions sur ce que l'entreprise doit faire et sur comment je dois le faire. Ça plaira à certains. Ça ne plaira pas à d'autres. C'est comme ça. Vous ne pouvez pas passer votre temps à être une girouette. Il faut avoir son propre gyroscope dans la tête.

D.B. - Un PDG peut-il s'exprimer comme individu ?

J.P.A. - Un PDG ne devrait s'exprimer que s'il connaît le sujet et si les gens savent qu'il le connaît. S'il a un point de vue, c'est alors intéressant de l'entendre.

Consultez le blogue de Diane Bérard : www.lesaffaires.com/blogues/diane-berard

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