Avril : une stratégie qui porte fruit


Édition du 08 Septembre 2018

Avril : une stratégie qui porte fruit


Édition du 08 Septembre 2018

La chaîne fondée en 1995 par ­Rolland ­Tanguay et ­Sylvie ­Senay regroupe huit grands magasins au Québec. Sans avancer de chiffres précis, le couple juge possible d’en ouvrir au moins une dizaine d’autres. [Photo : Martin Flamand]

Alors qu'Amazon aux États-Unis ou Loblaw, Sobeys et Metro au Canada, commencent à porter une plus grande attention au marché des produits naturels et biologiques, la chaîne de supermarchés Avril accélère sa cadence de développement.

Au cours des derniers mois, l'entreprise de Granby, en Montérégie, a déménagé son siège social, s'est offert un nouveau centre de distribution de 120 000 pieds carrés et a ouvert une huitième succursale, ce qu'elle fait chaque année depuis cinq ans (Magog, Sherbrooke, Lévis, Québec et Laval).

Il s'agit de tout un changement de cadence pour Avril, dont l'histoire des 15 premières années s'était limitée à celle d'un couple à l'orée de la quarantaine qui, devant le succès d'une première boutique santé achetée « pour voir » lors d'un congé sabbatique, avait poussé l'audace jusqu'à ouvrir deux autres magasins, à Longueuil en 2007 et à Brossard en 2010.

Les choses ont toutefois changé considérablement au cours des cinq dernières années. Aujourd'hui, les cofondateurs Sylvie Senay et Rolland Tanguay s'amusent en constatant qu'Avril regroupe huit grands magasins de 20 000 à 44 000 pieds carrés (pour un total de 195 000 pi2) dans quatre régions différentes de la province. Et que, l'air de rien, un client parviendrait à dénicher un supermarché Avril tous les 50 km le long de l'autoroute 10 !

25 magasins en cinq ans ?

« Est-ce qu'on va se retrouver avec 25 magasins dans cinq ans ? s'interroge à haute voix M. Tanguay, un ancien entrepreneur en construction. À vrai dire, je ne sais pas vraiment. Depuis que nous nous sommes embarqués dans cette aventure, les projets n'ont jamais vraiment arrêté. »

Son plus récent magasin, inauguré au Centre Laval en juin 2018, occupe 44 000 pieds carrés, soit le double de la superficie moyenne des sept magasins qui l'ont précédé. Adossé au magasin Sportium, il fait pratiquement les deux tiers de la surface d'un terrain de soccer. Jamais Avril n'avait auparavant exploité un aussi grand magasin. Ni, d'ailleurs, connu un tel succès instantané.

Quelques jours avant la première fin de semaine d'ouverture, le couple s'inquiétait. Non pas de manquer de marchandises, mais plutôt de chariots pour accueillir les hordes de clients de Laval, apparemment impatients de découvrir cette chaîne encore peu connue dans plusieurs régions, à commencer par Montréal et la Rive-Nord. Finalement, une livraison de carrosses supplémentaires aura permis de sauver la mise.

Issue d'investissements de 10 millions de dollars, cette nouvelle succursale est à l'image des prochains magasins que le couple, toujours unique actionnaire de l'entreprise, prévoit construire dans les prochaines années.

En plus des sections de fruits et légumes, de prêts-à-manger, de suppléments et de cosmétiques, ainsi que celle des livres de santé du corps et de l'âme, le magasin comprend une aire de restauration de 130 places assises assortie d'une terrasse extérieure et de menus inspirés des produits naturels offerts en magasin. On y trouve également de nouveaux comptoirs comme ceux pour le poisson frais et le poulet, et de produits préparés sur place comme le pain, les pâtisseries et les gelatos, de même qu'un four à pizza et une serre suspendue pour la culture de fines herbes.

« Quand tu vois tout cela, tu comprends pourquoi les gens veulent venir, affirme fièrement, Mme Senay. Nous ne sommes plus un simple magasin de produits santé. Nous sommes devenus un véritable commerce de destination qui offre une expérience de magasinage de produits naturels et biologiques. »

Depuis cette ouverture dans des locaux qu'ont occupé Woolco et Walmart avant lui, le couple d'amoureux, tout juste revenu d'Espagne, prépare sa prochaine phase d'expansion. Celle-ci a toutes les chances de se faire en mode encore plus accéléré, plus précisément au rythme de deux nouveaux magasins par année, plutôt qu'un seul.

Déjà, les partenaires entrevoient au moins deux autres magasins sur la Rive-Nord de Montréal et dans les Basses-Laurentides, une région qui connaît actuellement l'une des plus importantes croissances démographiques de la province. Où, exactement ? Nous n'en saurons rien. Si les choses venaient à se compliquer, la chaîne ne s'en verrait pas mal prise pour autant, laisse-t-on entendre. Trois-Rivières, Drummondville, Rimouski ou Gatineau sont autant de villes qu'Avril a déjà ciblées pour leur potentiel commercial. Autrement dit, la conquête de la chaîne de produits naturels et biologiques ne s'arrêtera pas là.

Le bio en croissance

Il faut dire que le marché des aliments biologiques et naturels a connu une forte croissance depuis leurs premiers pas dans cette industrie, il y a un peu plus de 20 ans. Au début des années 1990, le commerce du bio était encore largement boudé par les grands distributeurs alimentaires et encore perçu de façon péjorative par une partie de la population.

C'était avant les enquêtes entourant les pesticides de Monsanto, l'utilisation à grande échelle des OGM dans l'agriculture et le dévoilement de moult fraudes ou d'affaires alimentaires comme celle de la vache folle ou du lait contaminé.

Depuis, les ventes d'aliments biologiques connaissent une hausse continuelle. Les questions de santé humaine et animale et de protection de l'environnement en général sont les deux principaux moteurs de cette croissance, selon Sylvain Charlebois, spécialiste des questions de distribution alimentaire à l'Université Dalhousie d'Halifax.

Au Canada, l'alimentation biologique est aujourd'hui une affaire de 4 milliards de dollars, soit l'équivalent de 2 % à 3 % de la consommation totale d'aliments au Canada pendant une année. Et malgré tout ce qu'on peut en penser, Walmart serait devenu aujourd'hui le plus grand distributeur de produits biologiques du Canada.

Avril a actuellement l'avantage d'occuper la position de tête des marchés indépendants spécialisés dans ce créneau au Québec, estime Hugues Nantel, directeur principal, Service aux entreprises, de la Banque Nationale. L'institution bancaire montréalaise accompagne le détaillant depuis ses débuts.

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Avril n'est pas le seul détaillant du genre. Les Marchés TAU, nés dans les années 1970 à Montréal, est une de ces enseignes fortes du bio qui continuent de lui faire concurrence malgré un nombre inférieur de succursales. L'entreprise compte aujourd'hui six boutiques, à Montréal, Brossard, Laval et Blainville. Partout au Québec s'ajoutent des dizaines d'autres chaînes, boutiques ou regroupements d'achats de plus petites tailles et aux marchés essentiellement régionaux. C'est le cas, par exemple, du supermarché La Moisson, un magasin de quelque 20 000 pieds carrés aux abords de l'autoroute 15, à Sainte-Thérèse.

Mais de tous les acteurs de l'industrie, c'est sans doute Rachelle Béry, une chaîne montréalaise d'alimentation naturelle et biologique, qui se rapproche le plus d'Avril. À la différence de cette dernière, les propriétaires de Rachelle Béry ont cependant vendu l'entreprise au géant alimentaire Sobeys en 2013.

Rachelle Béry qui, encore aujourd'hui, est surtout présente dans la grande région de Montréal (mis à part Québec et Saint-Sauveur), compte 11 épiceries, en plus d'espaces santé répartis dans plus d'une trentaine de supermarchés IGA de la province.

Une intention de vente ?

Connaissant le dénouement de l'aventure Rachelle Béry, Avril pourrait-elle également être vendue à un plus grand, soucieux de garnir sa gamme de produits naturels ?

Plutôt que de se lancer dans la création de toute pièce d'une chaîne capable de concurrencer Rachelle-Béry de Sobeys dans le créneau, Metro pourrait très bien décider de s'offrir Avril. Un peu comme elle l'a fait il y a quelques années avec Adonis, du côté de la cuisine méditerranéenne, ou avec Première Moisson, dans la boulangerie, la charcuterie, et les mets pré-préparés (quiches et pâtés), maintenant offerts en épicerie. Déjà, Metro a mis la main sur MissFresh, cette entreprise de boîtes repas d'ingrédients frais déjà rassemblés.

La suggestion reçoit une nette fin de non-recevoir de la part des propriétaires. « Il n'est pas question de vendre, répond Rolland Tanguay. Pour vous dire franchement, je trouve cela dommage quand je vois ça. [...] C'est bien beau développer une entreprise, la faire grandir et la vendre pour faire de l'argent. Mais si tu es le moindrement nationaliste, si tu penses à l'avenir de ceux qui nous suivront, on doit se préoccuper de garder l'argent au Québec. Il faut être conséquent. »

Se préparer à l'arrivée de Whole Foods ?

Les propriétaires d'Avril rejettent aussi toute suggestion d'une stratégie défensive ayant pour dessein de couvrir le maximum de territoire pour parer à l'arrivée présumée au Québec de Whole Foods, le géant américain de l'alimentation naturelle.

Passée aux mains d'Amazon il y a un peu plus d'un an, pour la somme de 13,7 G$ US, l'avenir de Whole Foods continue de créer tout un émoi dans l'industrie. Au-delà des plus de 400 supermarchés portant l'enseigne aux États-Unis, le géant du commerce électronique s'est surtout enrichi, fait remarquer le professeur Charlebois, de tout un écosystème de producteurs de produits biologiques capables de lui assurer une régularité d'approvisionnement de produits frais. C'est là, dit-il, le principal défi auquel font face les Rachelle Béry, Avril et Walmart de ce monde qui souhaitent étendre leur offre d'aliments biologiques.

Or, avec déjà 14 magasins au Canada, un de plus qu'il y a un an, tous établis en Colombie-Britannique et en Ontario, d'aucuns craignent que Whole Foods ne décide de venir rapidement s'installer au Québec, la seconde province la plus populeuse (8,2 millions) du pays, après l'Ontario (13,6 millions).

« On nous prévoit sans cesse leur venue depuis 5 à 10 ans, rétorque Mme Senay. Mais qu'ils s'en viennent ! affirme-t-elle sans rire. Vraiment, ça ne nous dérangerait pas, bien au contraire. Et je ne vous parle pas des bienfaits que ça aurait sur la santé des gens et celle de la planète. » Son conjoint en rajoute : « Je ne vois pas pourquoi nous aurions peur. Nous connaissons notre affaire. Il n'y a pas de danger. Et puis vous savez quoi ? Quand Loblaws et d'autres épiciers canadiens se sont mis à ouvrir des sections de produits biologiques il y a quelques années, ça a juste aiguisé la curiosité des consommateurs. Au final, le trafic et les ventes dans nos magasins ont augmenté. »

Trop petit pour inquiéter

À la Banque Nationale, Hugues Nantel estime que l'entreprise n'a pas vraiment à craindre la concurrence ou une croissance qui ne serait pas suffisamment rapide. À son avis, les barrières à l'entrée sont trop élevées.

D'une part, l'ouverture de nouveaux magasins pour un concurrent requiert des investissements importants. Ces investissements seraient d'autant plus onéreux que la marque d'Avril est déjà établie dans nombre de régions (à l'exception de Montréal). D'autre part, bien que le marché du bio aille en augmentant, son importance relative (de 2 % à 3 %) par rapport à tout le secteur de la distribution alimentaire demeure somme toute marginale. En raison de cette faible part, la croissance d'Avril ne peut encore être considérée comme réellement menaçante.

« Si l'alimentation biologique allait chercher une part de 20 % ou de 30 % du panier d'épicerie moyen, la situation serait sans doute différente et appellerait probablement à une réplique musclée, juge M. Nantel. Mais nous n'en sommes pas là actuellement. »

Dans ce contexte, Sylvain Charlebois, de l'Université Dalhousie, estime que les grands choisissent probablement leurs batailles. Le spécialiste affirme qu'à défaut de croissance du bio et de parts encore suffisantes, les grands optent plutôt de se concentrer sur des défis plus urgents que constituent entre autres le déploiement de plateformes d'achats en ligne à grande échelle et la livraison à domicile.

Un potentiel difficile à évaluer

Lorsqu'il est interrogé sur le volume de ventes moyen d'un supermarché Avril, les couple de propriétaires garde le silence. Même chose lorsqu'il est questionné sur les ventes générales du détaillant, à capital tenu jalousement privé. Tout au plus, M. Tanguay confiera que tous ses établissements « sont rentables » et que chacun d'entre eux connaît des hausses de ventes comparables d'« au moins 15 % par année ». De quoi faire des jaloux.

Les suppléments alimentaires et les produits de cosmétiques bio sont les deux catégories d'articles qui offrent les marges bénéficiaires les plus élevées. Elles représentent à elles seules 20 % des ventes du détaillant et occupent 10 % de l'espace en magasin. L'épicerie (les produits secs) compte pour la moitié des ventes, tandis que les fruits et légumes, l'espace restauration et les prêts-à-manger comptent ensemble pour 30 % des ventes. En cette ère de course contre la montre, la catégorie des prêts-à-manger tend à doubler d'année en année, constate M. Tanguay.

Modeste, il admet qu'il serait réaliste de penser que la moitié de cette enviable performance tient à un éveil de plus en plus affirmé des Québécois pour la protection de l'environnement et une consommation biologique et naturelle.

« J'ai l'impression que l'industrie des produits naturels a progressé en même temps que nous, admet le cofondateur de l'entreprise. C'est peut-être pour cela, au fond, que nous avons grandi et que nous continuons de le faire aujourd'hui. C'est un secteur qui est en feu ! », souligne le copropriétaire.

Dans un tel contexte, combien de magasins Avril pourrait encore ouvrir dans la province avant que le marché se trouve saturé ? « C'est vraiment difficile à dire, répond M. Tanguay. Je pourrais vous donner un chiffre et me retrouver facilement dans cinq ans avec le double. Tout dépend de la vitesse de la progression du marché du bio. »

Sur ce, Mme Senay se risque : « Moi, je dirais une bonne dizaine de magasins encore. Facilement, une dizaine. » Ce qui porterait le nombre d'établissements exploités par Avril à près de 20 au Québec. « Et je dirais même plus, de renchérir spontanément son partenaire. Aujourd'hui, j'en installe 10 n'importe où, sans problème. »

 

Les trois marques maison d’Avril

1. Naturellement ­Bio
68 produits céréaliers, de grains, de noix

2. Naturellement ­Gourmet
13 produits haut de gamme, d’huile d’olive, de sirop d’érable, etc.

3. Rolland ­Naturellement
5 marques de vins

 

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Ce qu’ils disent sur...

 Le travail :
« ­Une entreprise, c’est comme un bébé. Tu ne la mets pas dans le placard la fin de semaine pour la ressortir le lundi. Il faut t’en occuper sept jours sur sept. C’est toujours dans ta tête. Celui qui veut se lancer en affaires et qui n’a pas compris ça dès le départ risque d’avoir des problèmes. » 

Le siège social :
« ­Chez nous, le siège social est au service de nos magasins. Pas le contraire. Les ordres ne viennent pas d’en haut, mais d’en bas, explique le couple ­Senay-Tanguay. Pourquoi ? ­Parce que le vrai patron, c’est le client. C’est lui qu’on retrouve dans nos allées. S’il n’est pas content, c’est lui qui ne reviendra pas. Ensuite, c’est toute l’organisation qui en souffrira. » 

La vitesse de croissance :
« ­Pourquoi aller plus vite ? ­Si on avait 40 ans, ­peut-être qu’on voudrait aller plus vite. Mais là, non. C’est notre rythme de croisière. Et pour nous, ça va vite. […] ­Excusez, mais si on bâtissait des surfaces de 5 000 pi2 , peut-être qu’on irait plus vite. Mais 44 000 pi2, c’est du temps et des investissements. Il faut aussi prendre le temps de refaire un peu la caisse avant de bâtir de nouveau. On ne peut pas être au batte tout le temps avec des emprunts », raconte ­Sylvie ­Senay.

Aller en ­Bourse :
« On veut être libres ! ­Pourquoi choisir de devoir rendre des comptes à tout le monde ? ­En allant en ­Bourse, tu perds cette liberté. Non, non. Le financement par la ­Bourse ne nous intéresse pas. On est heureux comme ça », dit ­Rolland ­Tanguay.

 

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