Entrevue n°310 : Zoran Kahric, ingénieur en chef, NASA Goddard Space Flight Center


Édition du 19 Novembre 2016

Entrevue n°310 : Zoran Kahric, ingénieur en chef, NASA Goddard Space Flight Center


Édition du 19 Novembre 2016

Par Diane Bérard

«Les gens aiment apprendre, alors amenons-les à avoir cette curiosité au travail» - Zoran Kahric, ingénieur en chef, NASA Goddard Space Flight Center.

Le Croate Zoran Kahric, ingénieur en chef du NASA Goddard Space Flight Center, supervise la mission ICESat-2, qui évaluera le rythme de fonte des glaces. De passage à Montréal, où il a étudié dans les années 1990 à l'Université Concordia, il explique comment on gère des supercerveaux et pourquoi les étudiants doivent être exposés au secteur qu'ils ont choisi le plus tôt possible.

Diane Bérard - Quel est le mandat du Nasa Goddard Space Flight Center ?

Zoran Kahric - La NASA compte cinq centres de R-D. Goddard dessine et construit les satellites et les télescopes. Hubble a été produit chez nous.

D.B. - Quelle est votre contribution actuelle au centre Goddard ?

Z.K. - Je suis ingénieur en chef pour la mission ICESat-2 [Ice, Cloud, and land Elevation Satellite]. À compter de 2017, celle-ci évaluera le niveau de fonte des glaces en mesurant l'élévation à la surface de la Terre. Notre satellite calculera la hauteur des glaciers, des mers, des forêts et des lacs. Ces mesures seront obtenues à partir du temps que les rayons laser prendront pour toucher ces différents points et revenir au satellite, situé à 500 kilomètres de la Terre. Près de 5 000 personnes contribueront à la mission ICESat-2.

D.B. - En quoi les recherches de la NASA servent-elles concrètement à la société ?

Z.K. - Prenons le projet Aquarius réalisé entre 2011 et 2014. Le satellite mesurait le niveau de salinité des océans. Cette information permet, par exemple, de déterminer où se trouvent les espèces de poissons d'eau douce et ceux d'eau salée. Nos données indiquent donc aux pêcheurs de Terre-Neuve que, s'ils stationnent leur bateau 100 kilomètres à l'ouest, la pêche sera meilleure. Et qu'ils gagneront mieux leur vie et celle de leur famille. C'est aux gens comme eux que je pense lorsque j'entreprends un projet. Nous avons besoin de définir la finalité de nos travaux. Vous savez, il faut de 5 à 10 ans pour élaborer un projet à la NASA. Trois autres années sont généralement nécessaires pour la collecte de données.

D.B. - Si l'ouragan Katrina survenait aujourd'hui, ferait-il moins de dommages grâce aux données de la NASA ?

Z.K. - Je crois que oui. En 10 ans, nous avons accéléré la vitesse de collecte et de traitement des données. Mais cela pose un nouveau problème, l'interprétation. Nos données sont accessibles à tous. Côté pile, cela multiplie les regards, les compétences et les intelligences, et nous aide à donner un sens utile à ces données. Côté face, on peut s'y perdre et ne rien en tirer d'utile.

D.B. - Les données que la NASA collige peuvent aider les entreprises dans leur gestion du risque. Exécutez-vous des mandats privés ?

Z.K. - Il peut nous arriver de dévier la trajectoire de nos satellites de quelques kilomètres, mais il faut que la NASA y gagne quelque chose. Il peut s'agir, par exemple, d'explorer un risque dont les dommages auraient des répercussions sur bien plus qu'une seule organisation.

D.B. - La NASA incarne aux yeux de plusieurs l'ultime organisation créative. Est-elle la machine à innovation que l'on imagine ?

Z.K. - Nous ne pouvons pas pratiquer l'innovation extrême. Nous travaillons dans des conditions qui n'ont aucun point de référence connu. Nous ne construisons pas des automobiles, mais des satellites et des vaisseaux spatiaux. S'il y a une défaillance, nous ne pouvons pas envoyer de secours. Des vies humaines sont en jeu. C'est pourquoi près de 90 % de la technologie employée pour le lancement de fusées est la même depuis les années 1970. Elle a fait ses preuves. Nous pourrions peut-être réduire la consommation de carburant de 10 % en modifiant certains composants. Mais le risque technologique et humain se révèle trop élevé.

D.B. - Près de 12 000 personnes travaillent à la NASA. Cela fait beaucoup de chercheurs et de projets à gérer. Quels conseils donneriez-vous aux entreprises ?

Z.K. - Nos projets sont soumis à de nombreuses contraintes, entre autres celle du temps. Si vous comptez observer un astéroïde, vous ne pouvez accepter aucun délai. Je ne me vois pas dire à mon patron après des années de travail : «Il faut oublier ce projet. Il n'aura pas lieu parce que nous avons 48 heures de retard sur l'échéancier.» L'astéroïde sera passé. Je crois qu'il faut transposer cette pression et cette discipline à tous les projets. Bien sûr, tout le monde ne court pas après des astéroïdes. Mais tous les projets de R-D gagneraient à faire comme si c'était le cas.

D.B. - La NASA recrute les cerveaux parmi les plus brillants. Vous avez certainement une expertise en gestion des ego...

Z.K. - Mon patron dit toujours qu'être gestionnaire à la NASA, c'est tenter de faire travailler ensemble une bande de chats. Nos chercheurs sont indépendants et indomptables ! Ajoutez à cela qu'ils éprouvent beaucoup de difficultés à reconnaître leurs limites. Or, ils en ont forcément. C'est pour cela qu'on les engage. Chacun est le meilleur de son domaine. Mais le superphysicien est pourri dans la rédaction de rapports, par exemple. En fait, la plupart de nos chercheurs ont des compétences très pointues dans un seul domaine. Cela fait notre force et notre faiblesse. Le défi de nos gestionnaires consiste à amener les chercheurs à reconnaître leurs limites pour le bien de l'organisation et le respect des échéanciers. Un autre défi est de convaincre nos chercheurs d'accomplir aussi des tâches qui ne les passionnent pas, qui sont moins glamour, mais qui s'avèrent nécessaires à l'avancement du projet. Comment y arrive- t-on ? Avec le bon vieux mélange de la carotte et du bâton. Tantôt, on les force. Tantôt, on négocie en échange d'une autre tâche qui les intéresse beaucoup.

D.B. - Comment peut-on convaincre de la nécessité d'innover dans une entreprise dont ce n'est pas la culture ?

Z.K. - Il faut leur parler du téléphone mobile. De nouveaux modèles sont régulièrement offerts. Les consommateurs s'attendent à ces nouvelles versions. Le téléphone mobile est devenu une sorte d'étalon. Il a établi un standard dans la tête des gens. Inconsciemment, on reporte nos attentes d'innovation pour ce produit sur les autres secteurs. Ça, c'est le discours pragmatique qu'on peut tenir aux employés. Mais il ne suffit pas de faire appel à leur raison. Il faut aussi viser leurs émotions. La plupart des gens aiment apprendre. Dans leur vie privée, ils ont des loisirs. Ils s'initient à de nouvelles activités. Ils visitent d'autres régions. Ils essaient des restaurants. Comment les amener à avoir cette curiosité au travail ?

D.B. - Vous avez vécu cinq ans à Montréal. Qu'est-ce qui vous a amené ici ?

Z.K. - Ma famille a quitté la Croatie en 1991 pour fuir la guerre. J'ai fait un baccalauréat en génie électrique à l'Université Concordia. J'ai ensuite été embauché par une société d'imagerie médicale de Boston.

D.B. - Vous avez rencontré les étudiants de l'Université Concordia la semaine dernière. Quel était votre message ?

Z.K. - Les universités doivent exposer leurs étudiants le plus vite possible à l'industrie où ils comptent travailler. Les jeunes pourront ainsi vérifier, pendant qu'ils étudient, s'ils sont à la bonne place. Et trouver ce qu'ils aiment et ce qu'ils n'aiment pas. Ainsi, ils pourront se diriger plus rapidement vers ce qui leur plaît et aller au bout de leurs talents. Quant aux étudiants, ils doivent garder l'esprit ouvert et explorer. Il ignorent tant de choses par rapport au métier qu'ils souhaitent exercer.

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