«Le fédéral pourrait sûrement exiger davantage» - Paul Tellier, ex-pdg de Bombardier


Édition du 07 Novembre 2015

«Le fédéral pourrait sûrement exiger davantage» - Paul Tellier, ex-pdg de Bombardier


Édition du 07 Novembre 2015

Par Matthieu Charest

Paul Tellier, ex-pdg de Bombardier.

Paul Tellier a été pdg de Bombardier de 2003 à 2004, juste avant que le géant de l'aérospatiale québécois ne lance le développement du CSeries. Les Affaires s'est entretenu avec lui au sujet du programme et du financement que lui a accordé Québec la semaine dernière.

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Les Affaires - M. Tellier, Bombardier a-t-elle bien fait d'aller de l'avant avec le CSeries ? Aujourd'hui, en 2015, qu'en pensez-vous ?

Paul Tellier - Je n'ai jamais douté que Bombardier pouvait bâtir un appareil de cette grosseur et que cet appareil-là performerait. The record speaks for itself. Bombardier a beaucoup de compétences techniques, et ses avions ont été des réussites. Par exemple, le jet régional Q400, un réel succès, ou le Global Express qui est encore aujourd'hui, je pense bien, ce qu'il y a de mieux au monde. J'ai toujours craint, que [Boeing et Airbus] n'acceptent pas que Bombardier joue dans leurs platebandes. Ces craintes se sont réalisées. Boeing, avec son 737, a un avion très performant, mais ce constructeur a joué avec la taille : il rétrécit l'appareil ou l'augmente... Airbus a fait de même avec le 320, qu'il a augmenté à 321 ou descendu à 319. Si on observe la réussite d'Embraer ou celle de Bombardier, on se rend compte que ces sociétés se sont tenues en dessous de ça. Je suis persuadé que le CSeries sera une réussite sur le plan technique. Maintenant, c'est un défi en ce qui concerne la mise en marché. Ce sera donc un avion intéressant, mais qui risque d'être difficile à mettre en marché. Parce que les gros opérateurs, les grosses flottes, ont déjà beaucoup d'investissements avec les deux gros constructeurs [Airbus et Boeing]. Vous pourriez me dire qu'il existe déjà des opérateurs comme Lufthansa [qui exploite des produits Bombardier], mais ça ne fait rien. Cela dit, je leur souhaite de tout coeur un franc succès sur le plan technique et sur celui des ventes.

L.A. - Êtes-vous optimiste quant aux ventes ?

P.T. - C'est un défi.

L.A. - Pour ce qui est de l'intervention de Québec qui a pris une participation de 1,3 milliard de dollars dans le CSeries, est-ce une bonne nouvelle ? Et est-ce suffisant ?

P.T. - C'est une excellente nouvelle. C'est évident que cet avion-là coûte cher et qu'il exerce une pression sur la santé financière de Bombardier. Ce 1,3 G$ leur sera extrêmement utile.

L.A. - Vous connaissez très bien l'appareil gouvernemental fédéral. Pensez-vous que le nouveau gouvernement libéral n'aura pas le choix d'investir dans Bombardier, à l'instar de Québec ?

P.T. - Je ne sais pas. La situation est différente, parce que Québec protège des dizaines de milliers d'emplois très bien rémunérés dans la région métropolitaine. La dimension est plus «Québec» qu'«Ottawa». Est-ce que le gouvernement canadien, qui a déjà prêté à Bombardier au fil des ans, voudra le refaire ? Je ne sais pas. Et s'il décide de prêter, le fera-t-il de la même façon ? Ça, c'est une question très importante.

L.A. - Justement, que pensez-vous de la méthode employée par le gouvernement du Québec pour aider Bombardier ?

P.T. - La transaction semble bien structurée. Je ne commenterai pas plus là-dessus. [Quant au] gouvernement canadien, il pourrait sûrement exiger davantage. Vous savez, pour être très direct, je siège à des conseils d'administration depuis 30 ans, et habituellement, quand une société est en difficulté et que les choses ne s'améliorent pas : 1) on fait sauter le pdg ; 2) si ça ne change pas, on fait sauter le président du conseil ; et 3) très souvent, si ça ne s'améliore pas, les investisseurs institutionnels exigent des changements au sein même du conseil d'administration.

Est-ce que Québec pouvait négocier différemment ? Je ne sais pas. Je pense que le risque du fédéral est moins grand, car c'est moins dans sa cour, il a une responsabilité à l'échelle nationale. Est-ce qu'il négocierait différemment ? Cela reste à voir.

L.A. - Le contrôle de la famille Beaudoin sur Bombardier, c'est un enjeu qui a été soulevé à maintes reprises. Est-ce qu'il faut changer la gouvernance de l'entreprise ?

P.T. - Mettez-vous à la place d'un investisseur. Ces sociétés-là examinent les résultats et les mesures qui sont prises ou qui devraient être prises pour améliorer la situation. Je ne veux pas aller plus loin que ça. Certains changements peuvent augmenter considérablement la confiance des investisseurs. C'est peut-être pour ça que le gouvernement canadien voudra jouer cette carte-là.

L.A. - Que pensez-vous de M. Bellemare comme pdg ?

P.T. - Alain a une très bonne expérience, une bonne feuille de route et il connaît l'industrie. La question est de savoir dans quelle mesure il aura la latitude [nécessaire] pour [réaliser] un changement important. Je pense que si on lui donne toute la latitude dont il a besoin, Alain devrait réussir. Dans le passé, il y a eu des gens très compétents chez Bombardier, et puis qui ont sauté. Pour lui avoir succédé, je sais que Bob [Robert E.] Brown avait fait un excellent travail. Les erreurs qui ont été [commises] durant le séjour de Bob, ce n'était pas dans le secteur dont il avait la responsabilité.

L.A. - Pensez-vous que M. Bellemare jouira de la latitude dont il a besoin ?

P.T. - Comme on dit en latin : time will tell ! (Rires)

L.A. - C'est un peu le jour de la marmotte, la situation actuelle ressemble beaucoup à votre situation en 2003...

P.T. - Oui. Et je dois dire que quand j'étais là, j'ai eu de la latitude. Mais à un moment donné, on trouvait ça très difficile : il ne pouvait pas y avoir deux conducteurs de l'autobus. Donc, il y en a un qui a dû partir. [Aujourd'hui], il s'agit de savoir si cet appui se perpétuera aussi longtemps que cela sera nécessaire.

Paul Tellier a été greffier du Conseil privé sous Brian Mulroney, de 1985 à 1992. De 1992 à 2002, il a été pdg du CN. Après son passage à la tête de Bombardier, de 2003 à 2004, il a siégé à plusieurs conseils d'administration. Actuellement, il est membre du CA de Rio Tinto et de Global Terminals, entre autres.

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