L'avocate des grenouilles

Publié le 20/11/2008 à 00:00

L'avocate des grenouilles

Publié le 20/11/2008 à 00:00

Par François Rochon
Ginette Bureau, ça ne vous dit rien ? Normal, car comme tous les héros véritables, la directrice générale par intérim de RECYC-Québec s’efface derrière la cause qu’elle défend.

Créé par le gouvernement en 1990, l’organisme coordonne des activités de mise en valeur des matières résiduelles, et assure la gestion de certains programmes de réduction et de recyclage de déchets. Ginette Bureau promet que les municipalités atteindront les objectifs fixés par la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles d’ici la date butoir, fin 2008. Elle doit aussi rassembler à la même table les principaux concurrents des secteurs industriels tels que l’automobile, l’alimentation et les technologies de l’information.

La mise en valeur des matières résiduelles n’est pas une mince affaire : on parle d’une industrie en croissance qui génère déjà 1,2 milliard de dollars par an. Malgré l’ampleur des mandats, Ginette Bureau se présente comme une femme toute simple, sans prétentions. Si simple qu’elle en est intrigante. Touchante même, comme les gens simples savent toucher le cœur afin de convaincre.

Vous êtes une femme passionnée. Qu’est-ce qui vous fait courir ?

Mon désir de travailler dans le domaine de l’environnement remonte à l’adolescence. Je voulais sauver la planète ! J’ai d’abord fait un baccalauréat en biologie. Puis, je me suis rendu compte que pour changer les choses, je devais maîtriser le droit. J’ai donc fait mon Barreau. Mes camarades de classe m’appelaient « l’avocate des grenouilles » ! J’ai joint RECYC-Québec à titre de consultante juridique en 1994. J’y ai grandi en même temps que l’organisme.

RECYC-Québec s’est surtout fait connaître grâce à son programme qui visait à récupérer 70 millions de pneus. Le Québec est le leader mondial dans ce domaine. Mais, où en sommes-nous en matière de recyclage ?

Malgré sa petite taille, le Québec a été à l’avant-garde sur le plan de la responsabilisation des producteurs en leur donnant pour défi de gérer leur produit à la fin de sa vie utile. C’est la voie de l’avenir. Dans les années 1990, le premier dossier a été celui de la peinture, et le deuxième celui des huiles usées.

Pouvez-vous illustrer le rôle de RECYC-Québec par un exemple concret ?

Lorsque nous avons rassemblé les producteurs d’huile à la même table, ils ont vite constaté que des marchés récupéraient déjà les filtres de métal et l’huile usée. Mais il en était autrement du contenant en plastique contaminé à l’huile : le traiter coûterait très, très cher. C’était l’impasse… jusqu’à ce qu’un des représentants de l’industrie pétrolière s’interroge sur la pertinence de mettre sur le marché autant de contenants. Ses garagistes, selon lui, préféraient faire les changements d’huile avec le produit en vrac. Fin du débat ! L’industrie est passée d’un taux de récupération nul à plus de 80 % ! Et je n’ai rien fait ! Mon job s’est limité à réunir les producteurs et à les mettre face à leur réalité. C’est ça, le rôle de RECYC-Québec.

Lorsque vous les abordez, les décideurs de l’entreprise privée se montrent-ils toujours aussi coopératifs ?

Ils sont très ouverts. Je travaille avec des entreprises qui ont des obligations depuis l’adoption de la Loi sur le développement durable. Elles nous perçoivent comme une ressource, car nous connaissons les marchés potentiels pour leurs produits recyclés. Nous partons souvent de zéro. Je viens de terminer un dossier sur les produits électroniques : c’était la première fois que les fabricants rencontraient les recycleurs ! Nous les réunissons, mais nous ne prenons pas toutes les initiatives. Nous voulons que l’industrie se sente engagée.

Aider les entreprises à trouver la solution plutôt que de leur imposer un règlement : il s’agit d’un important changement de paradigme, non ?

Certainement ! Je dis aux producteurs : « Vous êtes responsables de vos produits, vous les fabriquerez comme vous voudrez, mais à la fin de leur vie utile, ces produits devront être recyclables et recyclés ». L’efficacité de leur solution sera mesurée en fonction de ces résultats. Nous n’imposons plus un règlement qui dicte la façon de produire, mais plutôt un objectif à atteindre. C’est très différent. Leur démarche les conduit souvent à l’écoconception, c’est-à-dire à concevoir leurs produits autrement pour qu’ils soient recyclables à meilleur coût. Cette approche amène aussi les producteurs à réfléchir, à se parler entre eux pour trouver les solutions. Ils sont en concurrence, mais ils travaillent ensemble parce qu’il y a une économie d’échelle à réaliser en offrant un service commun de récupération et de recyclage. C’est difficile pour un gouvernement de dire : « Maintenant vous avez le choix des moyens ».

Quels sont vos arguments pour capter l’intérêt des chefs d’entreprise ?

L’argument économique est important. Quand ils analysent la valeur de ce qu’ils jettent, la majeure partie des producteurs comprennent qu’ils mettent aux déchets des ressources qu’ils pourraient vendre avec profit. Par exemple, je ne peux pas imaginer que l’on enterre encore du métal dans le sol du Québec… Mais on le fait ! Ça vaut une fortune ! Le papier est très recherché, mais il s’en enfouit toujours. Il nous faut un système où l’enfouissement coûte cher et où bien faire les choses soit avantageux.

Les PME sont-elles aussi bien outillées que les grandes entreprises pour opérer le virage vert ?

Les grandes entreprises bénéficient de plusieurs programmes d’aide parce qu’elles produisent plus de volume. Pour les PME, nous voulons d’abord nous assurer que les commerces aient accès à des services qui s’apparentent à la collecte sélective municipale. L’un des volets, par exemple, cible les restaurants et les bars. À la maison, la plupart d’entre nous déposons nos bouteilles de vin vides dans le bac de recyclage. Mais au restaurant, c’est généralement impossible. Nous avons donc mis sur pied une petite table de concertation, dont la SAQ est le plus important partenaire, pour concevoir un programme de récupération des bouteilles. Nous parlons d’un volume important, car la restauration génère près du tiers des bouteilles de vin vides.

Puisqu’il est question de volume, environ le quart des rebuts du Québec sont des matériaux de construction dont 90% sont recyclables. Où en sommes-nous dans ce secteur?

Actuellement, 69 % des matières sont recyclées. Comme le plus important volume vient de la « déconstruction » des routes, la récupération doit faire partie intégrante des programmes d’amélioration des infrastructures. Mis à part la problématique relative au bardeau d’asphalte, les activités de construction et de démolition sont bien prises en main. J’ai lancé au Regroupement des récupérateurs et des recycleurs de matériaux de construction et de démolition du Québec (3R MCDQ) le défi de nous faire un plan d’action pour atteindre un taux de récupération de 100%. Dans le mémoire déposé à la Commission parlementaire des municipalités, nous exigeons de l’information sur la destination des résidus dès l’étape de la demande d’attribution du permis. Je crois beaucoup à la proximité de terrain : les municipalités sont bien placées pour gérer cet aspect.

Commence-t-on à avoir de beaux modèles d’entreprises québécoises en matière de développement durable ?

Oui, je le constate grâce à notre programme « ICI on recycle ». Depuis deux ans, une quarantaine d’entreprises, comme le centre de distribution de Provigo à Montréal, ont atteint d’importants objectifs de récupération. En quelques mois, nous avons plus que doublé le nombre d’entreprises engagées au cours des trois années précédentes. Et je parle de grandes entreprises : toutes les grandes chaînes de magasins du secteur alimentaire, Desjardins, Alcoa, Cosco, tout le secteur de l’éducation… Les gens embarquent ! Ça n’est pas juste une déclaration d’intention ; on met en place des moyens concrets et mesurables. On est reconnu selon les résultats obtenus. L’aspect de la reconnaissance est essentiel. Les entreprises affichent nos certificats à l’entrée de leurs immeubles et sur leur site Web. Et ce n’est pas du greenwashing !

Quel est le prochain défi de RECYC-Québec ?

Le domaine de l’électronique, des piles et des ampoules fluocompactes. De façon plus générale, il faut réduire à la source pour générer moins de déchets. Nous devons « déconsommer » et mieux consommer. Le mandat public de sensibilisation de RECYCQuébec est important. Nous ne changerons pas la société de consommation. Mais il faut parler des choix de consommation et des trucs faciles à appliquer au quotidien. Je pense aux sacs d’épicerie. Lorsque l’industrie a mis sur le marché des sacs réutilisables à un coût abordable, les gens en ont acheté quatre millions !

Vous parlez de mettre sur le marché de nouveaux produits. À ce chapitre, le recyclage offre-t-il de bonnes occasions d’affaires ?

Il y en a plein ! Le secteur du recyclage est en pleine expansion. La peinture recyclée en est un bon exemple. Lorsqu’après deux ans d’activité, Normand Maurice, le père de la peinture recyclée au Québec, a vendu l’entreprise qu’il avait démarrée à partir de rien, il en a obtenu 2,5 millions de dollars ! Dans le domaine du pneu, nous travaillons avec des entreprises de 70 à 100 employés qui ont bénéficié d’investissements de dizaines de millions de dollars, qui sont prospères et qui fonctionnent bien dans leur collectivité. L’électronique est aussi un domaine intéressant : les ordinateurs sont recyclables à 100 %.

Le plus difficile, c’est d’établir des règles éthiques en matière de recyclage. Nous envoyons des déchets en Inde, en Chine ou ailleurs pour en obtenir le meilleur prix, ou parce que les fabricants ne veulent pas que leur propre produit recyclé leur fasse concurrence ici. Mais dans ces pays, ces rebuts sont souvent mal gérés. Il faut se doter de règles qui assurent que toutes les composantes des produits recyclés seront bien gérées. Nos entreprises en sont capables et nous avons des marchés ici. Dans ce domaine, un obstacle se transforme toujours en occasion d’affaires. Cela ne se concrétise pas toujours en claquant des doigts, mais, en travaillant en partenariat, je suis persuadée que nous trouverons des solutions pour tout. Un de nos rôles consiste à aider à mettre les bons acteurs ensemble pour créer ces occasions-là.

Magazine Vision Durable, juin 2008

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