Pourtant, le gouvernement afghan et les organismes d'aide internationale aiment souligner les statistiques suggérant que l'économie de ce pays ravagé par la guerre connaît une croissance encore plus rapide que celle de la Chine.
L'économie de l'Afghanistan connaît un essor remarquable depuis 2001, enregistrant une croissance de 14 pour cent en 2007. L'emploi a aussi connu une hausse de 67 pour cent, selon le gouvernement. Le Canada, qui est l'un des principaux donateurs pour la province de Kandahar, a affirmé que le revenu par habitant a doublé.
Des hommes d'affaires rencontrés cette semaine ont toutefois révélé que la situation est bien différente sur le terrain. Ils doivent faire face à des clients qui ont peur de se déplacer, un approvisionnement en électricité peu fiable, une augmentation des coûts, une hausse des taux de change et la crainte de se faire enlever.
Il y a trois ans à peine, l'hôtel de Javed était rempli de voyageurs venus visiter la capitale provinciale depuis des régions éloignées, de fermiers souhaitant vendre leurs produits en ville, de journalistes internationaux et même de touristes. Aujourd'hui, dit le propriétaire, les gens ont peur de voyager. "Les gens ne peuvent prendre la route, a-t-il déploré. Ils ne peuvent voyager le soir."
Javed, qui n'utilise qu'un seul nom, affirme que ses seuls clients sont maintenant les commerçants, les médecins itinérants et les patients qui vont se faire soigner à l'hôpital de Kandahar.
L'entrepreneur ajoute que le manque d'électricité nuit aussi beaucoup à ses affaires. N'ayant accès qu'à cinq ou six heures d'électricité par semaine, Javed doit utiliser sa propre génératrice. Or, le prix du diesel est passé de 20 cents à environ un dollar le litre. "Nous dépensons tout notre argent en diesel", a-t-il fait remarquer.
L'entreprise d'Aga Shirin, qui vend des réfrigérateurs, des lessiveuses et autres électroménagers depuis 18 ans, est elle aussi touchée par le pauvre approvisionnement en électricité. "C'est l'une des raisons qui expliquent pourquoi les gens n'achètent plus nos produits", a-t-il soutenu.
Ce n'est toutefois pas la seule raison. Selon lui, 15 pour cent de sa clientèle provenait de l'extérieur de la ville, et ces clients ont maintenant peur de quitter leur village.
L'inflation réduit aussi le pouvoir d'achat de ses clients. Par exemple, un sac de farine de 100 kilos qui coûtait 40 $ US l'an dernier se vend maintenant 100 $ US.
"Avant, une famille ordinaire pouvait se permettre d'acheter nos produits, a expliqué M. Shirin. Mais avec l'inflation, ces gens ne peuvent plus acheter nos biens, ils ne peuvent même pas acheter les biens essentiels."
M. Shirin utilise de plus des roupies pakistanaises, une monnaie dont la valeur a dégringolé, de sorte qu'un téléviseur qui lui aurait coûté 20 000 roupies auparavant se détaille maintenant à 40 000 roupies.
L'homme d'affaires craint également de devenir la cible de ravisseurs cherchant à obtenir une forte rançon. "Ca me fait peur, a-t-il admis. Nous ne nous éloignons pas beaucoup de la ville. Nous n'allons nulle part seuls. Je rentre à la maison dès que possible le soir."
Les entreprises qui fabriquent des objets connaissent aussi des difficultés. Shams Aga, un homme de 28 ans, fabrique des enseignes. Il a déjà fait de bonnes affaires à Kandahar, mais ce n'est plus le cas maintenant.
"Avant, de nombreuses (organisations non gouvernementales) et des soldats à l'aérodrome de Kandahar avaient besoin d'enseignes", a-t-il rappelé, avant d'ajouter que ses affaires ont baissé de 80 pour cent ces dernières années.
Et le faible approvisionnement en électricité fait en sorte qu'il ne peut utiliser ses outils électriques et doit tout faire manuellement.
M. Shirin raconte que les hommes d'affaires de Kandahar se rencontrent régulièrement et discutent ensemble des mêmes problèmes: le manque de sécurité, l'inflation, le peu de fiabilité des services. Même le secteur de la construction, autrefois très vigoureux, connaît aujourd'hui des difficultés.
"Nous discutons de ces choses, a dit M. Shirin. Tout le monde connaît les mêmes problèmes."
Les seules entreprises prospères sont les épiceries, qui profitent de la croissance de la population de Kandahar.
M. Shirin n'appuie pas les talibans, mais admet que la loi et l'ordre qu'ils avaient imposés facilitaient les affaires. "Sous le régime des talibans, les affaires allaient bien."
Les hommes d'affaires demeurent cependant optimistes. Javed croit que la situation se rétablira, à une condition: "si la sécurité était assurée, tout se remettrait à bien aller".