Auto électrique : Québec risque de manquer le bateau

Publié le 09/06/2009 à 00:00

Auto électrique : Québec risque de manquer le bateau

Publié le 09/06/2009 à 00:00

Auto électrique : Québec voit grand

Cette année, au Salon de l'auto de Québec, ce ne sont pas les Lamborghini, les Ferrari ou les Porsche qui ont volé la vedette, mais une singulière Mazda3 et trois discrètes sous-compactes qui n'appartiennent à aucun fabricant connu : la Zenn, la Nemo et la Indica Vista.

Leur particularité ? Ces véhicules sont 100 % électriques. Le même phénomène s'est produit au Salon de Détroit à l'automne 2008 ainsi qu'au dernier Salon de l'auto de Genève, qui a dévoilé à la mi-mars une vingtaine de prototypes de voitures électriques. Du jamais vu à ce salon en 79 ans d'existence.

Réduire les dépenses

Ce n'est pas par voyeurisme que les visiteurs se sont massés devant les autos électriques. Leur intérêt est bien plus terre à terre : les automobilistes sont devenus obsédés par le prix de l'essence. Même si celui-ci est redescendu à la pompe, les fluctuations des dernières années ont laissé tout le monde aux prises avec un syndrome post-traumatique.

Réduire sa consommation est devenu une priorité, confirme la CAA, qui répond chaque année à plus de 130 000 appels de consommateurs. L'économie de carburant est passée du huitième au deuxième rang de leurs préoccupations, juste après le prix du véhicule.
Il y a les préoccupations financières, certes, mais aussi celles qui sont liées à l'environnement. Les gouvernements offrent des crédits d'impôt pour l'achat de véhicules plus verts et les constructeurs eux-mêmes sont maintenant forcés de fabriquer des automobiles qui émettent moins de gaz à effet de serre.

Un marché est donc en place pour des voitures qui consomment moins d'essence et qui sont plus écologiques. "Avant, quand on achetait une voiture, on achetait des chevaux-vapeur, maintenant, on achète de l'efficacité. C'est le début d'une nouvelle ère dans l'industrie de l'automobile", dit Richard Bergeron, auteur du livre Les Québécois au volant et chef du parti Projet Montréal.

À preuve, les véhicules utilitaires en perte de vitesse et la réussite de la Toyota Prius, lancée en 1997. Cette voiture hybride s'est vendue à plus d'un million d'exemplaires en 10 ans. Depuis, d'autres fabricants comme Honda ont lancé leurs modèles hybrides, et on attend la prochaine génération des "plug-in", c'est-à-dire des hybrides qui pourront être branchées au réseau électrique pour recharger leur batterie, indépendamment du moteur à essence. La récession a freiné les ventes des hybrides, mais c'est tout de même sur cette technologie que GM mise pour relancer ses activités. En 2010, ce fabricant mettra en marché la Chevrolet Volt, une hybride qui roulera la majorité du temps sur le moteur élec- trique et dont le moteur à combustion servira d'appoint seulement.

Après l'hybride, l'électrique

Prochaine étape après les hybrides : des voitures qui roulent sans une goutte d'essence. Depuis le début de 2009, les fabricants multiplient les annonces. Ford compte lancer une fourgonnette tout électrique en 2010. Chrysler propose de son côté trois modèles dont une sportive entièrement électrique en 2013. Toyota, pionnier de l'hybride avec la Prius, présentera aussi en 2012 un modèle urbain totalement électrique. Cette même année, Renault-Nissan prétend qu'il sera le premier à se lancer dans la production en série d'une voiture 100 % électrique. Son président, Carlos Ghosn, estime le potentiel commercial des voitures électriques à 10 millions d'unités vendues dans le monde, soit plus de 10 % des ventes annuelles d'automobiles.

Les investisseurs aussi flairent la bonne affaire. Warren Buffett a investi 230 millions de dollars en septembre 2008 pour une participation de 10 % dans la chinoise BYD, filiale du deuxième fabricant de batteries rechargeables en importance dans le monde. BYD veut percer le marché américain en 2011 avec un véhicule tout électrique et une gamme de modèles hybrides rechargeables.

Le Québec, qui a peu bénéficié du Pacte de l'auto, signé en 1965 avec les États-Unis, pourra-t-il s'imposer dans l'industrie de l'automobile électrique ? Yves Pépin, conseiller en développement industriel pour le secteur de l'automobile et des véhicules récréatifs au ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation (MDEIE), le croit. "Le Québec s'est donné des atouts dans le passé pour faire aujourd'hui sa niche dans ce nouveau créneau", dit-il.

D'ailleurs, en avril dernier, Yves Pépin et une délégation de gens d'affaires de la filière automobile devaient se rendre en mission de prospection en Californie. Des rencontres étaient prévues, entre autres, avec Tesla Motors, un des fabricants le plus importants de voitures électriques. Mais cette mission prometteuse n'a jamais eu lieu en raison de la récession. Une décision qui fait perdre du terrain au Québec dans cette course à l'auto verte. Dommage, le Québec était dans le peloton de tête avec des atouts, comme une expertise dans l'assemblage en petite série de véhicules spécialisés, par exemple des ambulances ou des camions de livraison et d'entretien. Le Québec compte déjà deux usines d'assemblage de véhicules électriques à basse vitesse ; celle de la Zenn, à Saint-Jérôme, et celle du Nemo Car, une petite camionnette assemblée à Sainte-Thérèse, à côté de l'usine de Paccar. En mars dernier, Véhicules Nemo a obtenu un contrat de Coca-Cola pour lui fournir 150 camions-tracteurs hybrides et 35 camions à châssis hybrides.

Comment percer?

Trois avenues s'offrent au Québec pour faire sa place dans cette industrie naissante : en fabriquant ici des voitures électriques, en développant un réseau de fournisseurs de composantes ou en commercialisant des technologies. "Attirer un fabricant est toujours un défi important pour le Québec, parce que le marché est petit", dit Yves Pépin. Fournir des composantes ? Le Québec se trouvera en concurrence avec des pays où la main-d'oeuvre est moins chère, comme le Mexique, et qui ont le même accès au marché américain. La voie la plus réaliste semble être celle de la commercialisation de technologies.

Le Québec est déjà un bassin de recherche reconnu mondialement dans le transport électrique. Hydro-Québec, par l'intermédiaire de son Institut de recherche (IREQ) et sa filiale TM4, travaille depuis le début des années 1980 à développer des systèmes de propulsion et de stockage d'énergie. Le géant indien Tata Motors a récemment choisi un système de mise au point développé par TM4 pour équiper la Indica Vista, une voiture 100 % électrique qu'il testera en Norvège au cours de l'année.

Le Québec compte aussi un réseau de petites entreprises discrètes, mais qui sortent de l'ombre. Phostec Lithium en est une. Cette société de Saint-Bruno produit du phos-phate de fer qui entre dans la composition des batteries au lithium. Son dirigeant est Michel Gauthier, ancien chercheur à Hydro-Québec. L'auto électrique, il en rêve depuis 30 ans. "Ce n'est plus une utopie. Cette fois, c'est vrai... Est-ce que ce sera dans 10, 15 ou 20 ans ? Cela dépendra de la rapidité à laquelle la technologie évoluera", dit-il.

Tout repose sur la batterie

La clé, c'est la batterie, explique Michel Gauthier. "Nous avons la technologie, mais le défi consiste à faire en sorte que la batterie soit sécuritaire et abordable." Pour le moment, la plupart des véhicules électriques utilisent des batteries au lithium-ion, la même technologie que celle qui est employée dans les cellulaires et les portables. On pourrait croire qu'il suffit d'en fabriquer de plus grosses pour faire rouler une automobile, mais ce n'est pas si simple.

Une automobile équipée d'une batterie au plomb peut rouler en moyenne 400 kilomètres avec un seul réservoir d'essence. Pour atteindre cette même autonomie avec une voiture électrique, il faudrait installer une batterie d'au moins 30 kilowattheures, ce qui équivaut aux besoins énergétiques quotidiens d'une maison de taille moyenne. À cette grosseur, il y a risque de surchauffe. De plus, ce type de batterie peut coûter de 500 à 600 dollars le kilowattheure. Une batterie de 30 kilowattheures coûterait donc 15 000 dollars, soit le prix total d'un petit modèle sous-compact traditionnel !

Les voitures électriques existent, mais elles sont peu accessibles. Pour l'instant, le modèle le plus perfectionné est la Roadster, qui se détaille à 109 000 dollars... pour une deux places ! Fabriquée par l'américaine Tesla Motors, elle a la carrosserie d'une Lotus, et sa batterie permet de parcourir plus de 350 kilomètres sur une seule charge, avec une accélération de 0 à 100 km/h en 4 secondes. Elle se recharge en 3,5 heures en utilisant un chargeur fourni par Tesla.

Sortir du luxe

Pour être rentable, la voiture électrique doit sortir de sa niche de luxe. Quand atteindrons-nous le point de bascule qui démocratisera l'auto électrique ?

Phostec Lithium détient peut-être une partie de la réponse. Le phosphate de fer qu'elle produit permet de remplacer le cobalt, un métal très réactif, rare et coûteux, qui entre dans la composition des batteries au lithium-ion. Le phosphate de fer est une ressource abondante, non toxique et plus sécuritaire. Phostec, qui a été rachetée en 2008 par l'allemande Süd-Chemie, fournit déjà 300 tonnes de ce matériau par an à des fabricants de batteries, et elle projette la construction d'une usine d'une capacité de 2 500 tonnes.

"Tout indique qu'au cours des prochaines années, les problèmes liés au coût de la batterie seront résolus, parce que des acteurs de taille entrent dans le marché", constate Claude Dumas, président de TM4.

Des occasion à saisir

Il restera tout de même beaucoup de questions à régler, qui sont autant d'occasions d'affaires. Qui assurera la fabrication en série ? De grands constructeurs comme GM ou Toyota ou de petits indépendants comme Tesla ? Et qui produira la batterie ? Qui vendra ces voitures ? Les réseaux de concessionnaires actuels ou un nouveau réseau de distribution ? Pour l'instant, la plupart des fabricants de voitures électriques prennent les commandes sur Internet et livrent eux-mêmes les voitures.

Du côté des concessionnaires québécois, on croit que les affaires viendront de la même façon, sous forme de contrat avec les grands fabricants, selon les dires de la porte-parole de la Corporation des con-cessionnaires automobile du Québec, Renée Cardinale. Pourtant, il y aurait peut-être matière à s'inquiéter un peu plus de l'impact de la voiture électrique, car elle exigerait autant d'entretien qu'un... vélo ! Contrairement à la voiture à essence, elle n'a pas de bougies, de filtres ou d'huile à faire changer, bref, tout ce qui représente une bonne partie du chiffre d'affaires des concessionnaires.

Le modèle d'affaires de la voiture élec-trique n'est pas encore établi. C'est pourquoi, malgré le grand engouement qu'elle suscite, ce n'est pas demain qu'elle envahira nos routes. La firme de consultants Roland Berger estime qu'en 2020, encore 70 % du parc automobile sera composé de voitures munies d'un moteur à essence, que les hybrides traditionnelles comme la Prius compteront pour 9 à 12 % du marché et que les hybrides "plug-in" prendront la plus grande part, soit de 15 à 17 % du marché. Les véhicules tout électriques occuperont 5 % du marché. Cela pourrait tout de même représenter plus de 50 millions de véhicules, si on se fie à l'évolution du parc automobile mondial, dont on prévoit qu'il fracassera le plafond d'un milliard d'unités dès 2010.

Au cours des prochaines années, le gros du marché sera occupé par les voitures hybrides "plug-in", ce qui offre une occasion pour les fournisseurs actuels de l'industrie de l'automobile. Bien que le Québec n'ait plus d'usines d'assemblage depuis 2002, date à laquelle l'usine GM de Boisbriand a fermé, il compte encore quelque 280 fabricants de pièces qui exportent 75 % de leur production en Ontario et aux États-Unis. Ce secteur emploie 11 500 personnes, soit 10 % de la main-d'oeuvre canadienne. C'est peu par rapport à d'autres secteurs comme l'aérospatiale (plus de 42 000 employés) ou même les biotechs (24 000 personnes). C'est aussi une goutte d'eau dans l'océan par rapport à l'Ontario, qui compte six grands constructeurs, plus de 450 fabricants de pièces et 120 000 travailleurs de l'automobile. Cependant, la petitesse du secteur québécois de l'automobile n'est pas un obstacle. Au contraire. Cela pourrait même l'aider à se positionner dans le nouveau marché du véhicule électrique, qui exige innovation et souplesse.

"Nous avons dû nous montrer très innovateurs pour nous tailler une place, souligne Yves Pépin. Nos usines livrent jusqu'au Tennessee, mais pour être choisies, elles doivent toujours être meilleures que les fournisseurs les plus proches."

La lutte s'annonce chaude

La bataille ne sera pas plus facile dans le secteur de l'automobile électrique qu'elle l'était pour l'auto traditionnelle. Et pour que nos entreprises puissent se faire une place, elles auront besoin d'un coup de pouce des gouvernements. "Pour créer une industrie, cela prend de la vision, des ressources et un engagement. Un tel leadership ne semble pas exister au Québec pour le moment", déplore Ian Clifford, président de Zenn Motors, qui a pourtant choisi l'usine de Saint-Jérôme pour assembler la Zenn "en raison de la qualité de sa main-d'oeuvre", dit-il. Toutefois, son marché se borne à la côte Ouest américaine.

Pour le moment, Investissement Québec indique que la voiture électrique ne fait pas partie de ses cibles pour attirer des investisseurs. Pourtant, ils sont à portée de la main. Le Québec détient un atout important : l'hydroélectricité. Un fabricant de voitures vertes qui utilise l'énergie propre pour faire rouler ses usines possède une formule gagnante pour le consommateur. Tesla, qui offre maintenant sa Roadster au Canada, envisage d'ouvrir des concessions et des centres de service en Ontario, en Colombie-Britannique et au Québec. Pourrait-elle y assembler également son bolide ?

Peut-être faudrait-il attirer Tesla ou un autre fabricant, comme on a jadis attiré Ubisoft, le géant français du jeu vidéo ? Voilà une industrie québécoise florissante créée de toutes pièces par le gouvernement du Parti Québécois, à coups de centaines de millions de dollars. L'aventure a coûté cher, certes, mais elle a rapporté. Montréal est devenue une plaque tournante mondiale de ce secteur et elle a attiré d'autres géants de l'industrie comme Electronics Arts, qui à leur tour, créent des emplois.

Une voiture électrique "Made in Québec", ce ne serait pas la première fois que le Québec en rêve... En 1994, des chercheurs d'Hydro-Québec avaient mis au point un prototype de véhicule électrique propulsé par des moteurs-roues, c'est-à-dire des moteurs électriques incorporés dans chaque roue. Faute de partenaire pour le commercialiser et d'un acheteur intéressé, le projet a été abandonné. C'est le monde à l'envers... À l'époque, la volonté gouvernementale y était, mais pas le marché. Maintenant que nous avons le marché, il manque la volonté.

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