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François Normand

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Analyse de la rédaction

Y a-t-il un avenir pour la production d’aluminium au Québec?

François Normand|Publié le 19 octobre 2019

Y a-t-il un avenir pour la production d’aluminium au Québec?

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. C’est la «tempête parfaite» pour déprimer les prix de l’aluminium : la demande mondiale diminue, tandis que l’offre augmente. Les producteurs de métal blanc pâtissent, comme Rio Tinto, qui a suspendu deux grands projets au Québec. L’industrie vit une crise qui nécessite une révolution économique, mais surtout technologique, c’est une question de survie à long terme.

Depuis 18 mois, les prix de l’aluminium ont chuté de 30 %, pour atteindre 1743 $US la tonne. Et la dégringolade n’est pas terminée, souligne le président et chef de la direction de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC), Jean Simard, en entretien avec Les Affaires.

Il parle même d’un scénario «apocalyptique» dans les prochains mois, avec un cours de l’aluminium qui pourrait osciller de 1550 à 1650 $US la tonne pour l’ensemble de 2020. «On se dirige vers des prix près de ceux des années 1990, mais avec les coûts de production de 2019», souligne-t-il.

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Dans ce contexte, les projets d’expansion des alumineries n’ont plus de sens sur le plan économique. Le climat d’incertitude économique créé par la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine refroidit aussi les ardeurs des producteurs d’aluminium.

C’est ce qui explique pourquoi Rio Tinto renonce à son projet de centre de billettes à son site d’Alma, ainsi qu’à celui prévoyant la construction de 16 nouvelles cuves à son usine AP60 d’Arvida, rapporte La Presse canadienne.

Ce n’est pas la première fois que les prix du métal blanc chutent. En fait, depuis le début des années 2000, on note quatre grands cycles de diminution:

 

1. Pendant la récession mondiale de 2008-2009, lorsque les prix ont fondu de 3 000 à 1 500 $US très rapidement.

2. D’avril 2011 à février 2014, quand les prix sont passés de 2 730 à 1734 $US.

3. De septembre 2014 à novembre 2015, lorsque les cours ont glissé de 2 070 à 1 460$ US.

4. D’avril 2018 à octobre 2019, avec un déclin des prix de 2 485 à 1 743 $US.

 

Par contre, le présent cycle est particulier, car il représente une tempête parfaite, selon Jean Simard.

Au niveau de la demande, la consommation d’aluminium diminue dans les trois principaux marchés dans le monde (les États-Unis, l’Europe et la Chine) en raison du ralentissement économique, à commencer par la Chine.

Au troisième trimestre de 2019, le PIB chinois a progressé de 6%.

Il s’agit du niveau le plus bas depuis le premier trimestre de 1992, année à partir de laquelle la Chine a commencé à publier des statistiques sur la croissance trimestrielle de son économie, souligne le Wall Street Journal.

La demande mondiale a diminué de 30%

Habituellement, la demande mondiale d’aluminium progresse en moyenne de 4% par année. Or, actuellement, la croissance avoisine plutôt les 2,8%, car les ventes ont diminué dans les secteurs de l’automobile et de la construction.

Quant à l’offre d’aluminium, elle continue d’augmenter sur le marché mondial en raison de la production chinoise. En 2018, la Chine a produit 33 millions de tonnes métriques d’aluminium, soit 55% de la production mondiale, selon la United States Geological Survey (USGS), une agence fédérale américaine.

Le Canada arrive quant à lui au 4e rang (2,9 millions).

Certes, la flexibilité du taux change canado-américain (le huard perd des plumes lorsque l’économie mondiale ralentit et que le prix des ressources diminue) et sa relative faiblesse (0,76$US) donnent un coup de pouce à l’industrie canadienne concentrée au Québec.

Tout comme les efforts soutenus par les producteurs d’aluminium depuis des années pour limiter la hausse de leurs coûts.

Entre 1990 et 2019, l’indice des prix à la consommation au Canada a augmenté de 67%, soit une moyenne de 2,3% par année, selon l’AAC. Or, pendant cette période de 29 ans, les coûts des alumineries ont progressé de 24% ou de 0,8% par année.

Malgré ce strict contrôle des coûts, les alumineries sont de moins en moins rentables au Canada, avec des marges d’exploitation qui ont fondu depuis 1990.

Dans ce contexte, il n’y a pas 36 000 solutions pour permettre à l’industrie canadienne d’assurer à long terme sa pérennité, comme du reste dans la plupart des pays industrialisés où l’on produit encore de l’aluminium comme la Norvège.

Jean Simard voit trois avenues incontournables.

L’industrie canadienne doit d’abord prendre le virage du manufacturier 4.0 en automatisant et en robotisant ses procédés, sans parler d’une utilisation à grande échelle des mégadonnées (Big Data).

Quand une usine est 4.0, cela signifie qu’elle doit être interconnectée : les machines doivent se parler entre elles et s’ajuster en temps réel (dans la mesure du possible, selon les industries) à l’offre et à la demande.

Ce bond technologique permet à une usine (en l’occurrence, une aluminerie) d’être plus efficace et plus productive, en plus de pouvoir réduire ses coûts (notamment de stockage) par unité de production. 

«C’est notre bouée», affirme Jean Simard.

Par ailleurs, l’AAC souhaite que les gouvernements accompagnent les alumineries comme ils accompagnent les PME dans leur révolution numérique.

Pour y arriver, l’industrie propose que l’on accélère la dépense en capital, et ce, pour la faire passer à 1 an au lieu de la période de 7 à 8 ans comme à l’heure actuelle. Une telle mesure procurera plus de liquidités aux alumineries pour investir et passer au 4.0.

Enfin, Jean Simard estime que le Québec et l’ensemble des industries (pas seulement celle de l’aluminium) doivent avoir une réflexion en profondeur sur la manière de réduire les coûts pour construire de gros projets industriels, car les coûts sont tout simplement trop élevés.

L’AAC n’a pas toutes les réponses. Cela dit, selon elle, la solution passe peut-être par la fabrication de sections d’usine à l’étranger, dans les pays à faibles coûts de production, pour un assemblage final au Québec.

Chose certaine, le statu quo n’est plus une option, insiste Jean Simard.

Même si les prix du métal blanc devaient remonter, les pays développés comme le Canada auront de plus en plus de difficulté à demeurer compétitifs pour produire de l’aluminium, malgré des prix de l’énergie très compétitifs.

Bref, il faut révolutionner l’écosystème, insiste Jean Simard.

L’enjeu est de taille.

Si l’industrie échoue, les producteurs d’aluminium -des multinationales avec une empreinte manufacturière mondiale- risquent d’implanter leurs nouvelles capacités de production dans les pays à faibles coûts de production.

Et de laisser lentement décroître leurs usines dans les pays développés.