Voici la première Québécoise certifiée pour enseigner Brené Brown
Diane Bérard|Mis à jour le 11 juillet 2024Nathalie Miller, fondatrice de Groupe 3, revient de Houston où elle a suivi la formation «Dare to Lead» de Brené Bowne. (Photo tirée de la page LinkedIn)
L’automne prochain, un groupe de 12 gestionnaires, tous des hommes, abandonneront leur fonction pendant 2 ½ jours pour discuter de courage et d’authenticité, selon un programme inspiré des enseignements de l’Américaine Brené Brown. Cette formation sera donnée par Nathalie Miller, fondatrice de Groupe 3. Nathalie est la première Québécoise certifiée pour donner les enseignements de l’Américaine Brene Brown.
On peut parler sans exagérer du «phénomène Brené Brown ». Faites le test. Je parie qu’en moins de 5 minutes vous trouverez quelqu’un qui la connait et qui se sent interpellé par ses enseignements.
Cette Texane a écrit 10 livres. Son Ted Talk «The Power of Vulnerability» (2010) a été téléchargé près de 50 millions de fois. En avril 2019, elle est la vedette de l’émission spéciale Netflix «The Call to Courage». Un autre succès bœuf.
Brené Brown a débuté sa carrière en s’adressant aux lecteurs comme individus. «Dare to Lead», publié en octobre 2019, marque un tournant. Cette fois, la sociologue s’adresse aux gestionnaires. «Dare to Lead » s’inspire de son parcours. Ses affaires tournent si rondement que la professeure d’université est désormais chef d’entreprise. Un passage qui a exigé de nombreux ajustements. Fine mouche, Brené Brown a assorti son dernier ouvrage d’un produit dérivé: une formation destinée aux professionnels qui accompagnent les gestionnaires. C’est cette formation que Nathalie Miller a suivie.
Pour s’y inscrire, il faut débourser 11000$CAD, non remboursable. Cette somme permet de sécuriser une place et d’amorcer le processus de sélection à trois niveaux.
Le premier filtre est professionnel. Avez-vous étudié en RH? Détenez-vous une certification de coach? De psychologue? Combien d’années d’expérience cumulez-vous? Le second filtre est personnel: 20 questions sur le travail que l’on a fait sur nous-même, notre capacité de nous remettre en question, nos bons coups, nos moins bons coups. Nathalie Miller a entamé le processus de sélection en octobre 2018. En décembre, on lui apprend qu’elle passe au niveau trois. Cette fois, les questions portent sur l’œuvre de Brené. On veut vérifier si le candidat en saisit les nuances.
Tout de même, débourser 11000$ sans savoir si on aura accès à la formation… «J’étais prête à prendre le pari, dit la fondatrice de Groupe 3. Les travaux et les enseignements de Brené Brown sont rafraichissants. Ce qu’elle amène n’est pas compliqué ni complexe. Ses idées touchent à l’essence du leadership à travers une seule question, «Avez-vous envie d’être vrai?» » Je ne partage pas ce point de vue. Les enseignements de Brene Brown ne sont pas compliqués, certes. Mais ils sont complexes. Exprimer avec authenticité ce qu’une situation professionnelle suscite en nous. S’objecter à une décision qui nous paraît vide de sens ou qui heurte nos valeurs. Chercher à comprendre ce qui pousse un employé à être non productif au lieu de le congédier. Tout cela est complexe.
Je ne suis pas une groupie de Brené Brown. J’ai parfois du mal à voir comment ses enseignements peuvent soutenir le test de la réalité. Toutefois, mon expérience de journaliste économique, et mon parcours personnel, démontrent qu’il y a beaucoup de gens qui souffrent dans les organisations. Et beaucoup de gens qui les font souffrir. Alors, même si parler de vulnérabilité, d’authenticité et de courage organisationnel me donne de l’eczéma, j’estime que c’est utile et nécessaire.
Je me suis donc entretenue avec Nathalie Miller, pour savoir ce que la formation auprès de Brené Brown lui a apporté, professionnellement et personnellement.
À quelle proportion des gestionnaires les enseignements de Brené Brown s’adressent-ils? Je parle de ceux qui sont ouverts et disposés à les recevoir…
Je dirais 20%. C’est peu. Et c’est triste qu’il en soit ainsi. Par contre, la majorité de ceux qui assistent à ses ateliers quittent de facto un peu changés. Elle est tellement «no bullshit», elle capte notre attention.
Brene Brown prône l’authenticité. Elle est no bullshit. Donne-moi un exemple…
Au début du cours, elle a exigé qu’on ne prenne ni photos ni vidéos. Un participant n’a pas respecté la consigne, il a continué de filmer. Elle lui a demandé de quitter. Sa décision était sans appel, «Si vous ne respectez pas mes limites devant moi, comment pourrez-vous respecter ma philosophie et mes enseignements lorsque vous retournez chez vous?»
Brené Brown est croyante. Un de ses textes fondateurs, «The man in the Arena» parle de la nécessité de descendre dans les tranchées et d’être couvert de sang. Elle ajoute «Si vous optez pour le courage, vous connaîtrez l’échec, la déception, le recul, vous aurez le cœur brisé… » Cette vision très chrétienne n’est pas une proposition de vente attirante pour changer de style de leadership…
La souffrance fait partie du discours de Brené, c’est vrai. Elle était très présente dans ses premières œuvres plus personnelles. J’avoue que «The Gift of Imperfection» incite le lecteur à se gratter le bobo. Mais lors de la formation «Dare to Lead», Brené nous a communiqué plus de lumière que d’ombre. Quant à «The Man in the Arena», je ne l’ai pas interprété comme toi. Pour moi, c’est davantage une critique des gérants d’estrade qui émettent des jugements sans connaître les intentions de celui ou de celle qui se trouve dans l’arène. C’est une invitation non pas à souffrir, mais à quitter l’estrade et descendre dans l’arène pour réaliser que chacun fait du mieux qu’il peut.
Brené Brown rejoindrait davantage de leaders si elle les poussait moins dans leurs zones d’inconfort…
Pour moi, il y a un monde entre sortir un peu de sa zone de confort et être tout le temps dans la terreur et l’inconfort. Je vais donner l’exemple d’un récent mandat. Un de mes clients veut instaurer une culture de l’innovation. J’ai levé un drapeau, «Pour aller de ce côté, il faudra reconnaître le droit à l’erreur à vos employés. Si vous ne voulez pas d’erreurs, appelez-ça une culture d’amélioration continue, pas une culture d’innovation. Il faut le dire au PDG.»
«Je sais, m’a répondu la VP RH. Mais ne peux pas lui dire, il veut une culture d’innovation!»
Sortir de sa zone de confort consiste à parler lorsqu’on sait que ce n’est pas «la bonne affaire». Cela ne peut pas être un état constant.
Le courage est souvent récompensé. Il existe des médailles de courage. Comment le courage que prône Brené Brown est-il récompensé?
Brené ne promet rien. Elle ne dit pas que les organisations récompensent les gens courageux. La récompense est autre, c’est le sens (purpose) que l’on trouve à notre travail. Le sentiment de faire «la bonne chose».
Le courage est souvent présenté comme la lutte contre des menaces extérieures. Je ne sens pas que c’est ce dont elle parle…
En effet, le courage auquel elle fait allusion se décline en mettant des limites. C’est aimer mieux être en conflit avec les autres qu’avec soi. Comme consultante, par exemple, j’ai appris à dire à mes clients, «Je ne commencerai pas à travailler tant que tu ne signeras pas l’offre de service.»
J’ai longtemps pensé qu’il était important d’avoir des valeurs et de les défendre. Aujourd’hui, je réalise que cela nous rend souvent dogmatiques, parfois égocentriques. Brené insiste beaucoup sur la nécessité de défendre ses valeurs…
Il faut parler de ses valeurs. C’est ce qui permet aux autres de nous connaître. Et de cette connaissance peut naître la confiance. Mais Brené insiste aussi sur l’importance de la curiosité. De poser des questions. Toi et moi, nous ne sommes pas obligées de partager les mêmes valeurs ni les mêmes opinions politiques. Mais fondamentalement, il faut s’intéresser au point de vue de l’autre. Les valeurs deviennent un levier de compréhension de l’autre.
Brené parle de vulnérabilité en affaires. Malaise…
Il faut bien comprendre de quel type de vulnérabilité il est question. Brené explique ainsi la différence entre se mettre à nu et se montrer vulnérable, «Lorsque je publie un egoportrait de moi pendant une session d’épilation, je me mets à nu. Lorsque je vous parle de l’émotion qui m’habite parce que je n’ai pas décroché un contrat, je me montre vulnérable.» Comme consultante, je ne compte plus le nombre de fois où j’ai débloqué une conversation avec un client en me citant en exemple dans une situation similaire à ce qu’il vivait. D’ailleurs, je crois que le rôle de consultant change. On apprend à être plus authentique. J’ose appeler un client pour lui dire, «Je crois que j’ai trop confronté ton équipe pendant la formation de ce matin, tu vas recevoir de la rétroaction négative». Ou encore, «Je ne respecterai pas mon délai, le mandat s’avère plus complexe que ce que j’avais évalué.» Évidemment, la vulnérabilité doit être gérée avec discernement. Activer sa vulnérabilité ne signifie pas éteindre son jugement.
Parlons des armures que les gestionnaires enfilent …
Brené y consacre tout un chapitre. Par exemple, lorsqu’on craint de ne pas être à la hauteur, on revet l’armure du perfectionnisme. Le perfectionnisme n’est pas lié à l’excellence. C’est une attitude défensive. Brené suggère d’essayer plutôt l’empathie et la compassion, envers soi et envers les autres.
Le gestionnaire qui est convaincu qu’on ne l’écoutera pas, ou qui estime qu’une situation n’a pas de sens, enfile l’armure de l’indifférence. Poussé à l’extrême, il se gèle en consommant de la drogue ou de l’alcool. L’indifférence est souvent une réaction pour réduire l’anxiété révèle Brené. Elle suggère plutôt de réduire l’anxiété en établissant des limites au lié de geler ses émotions.
Le gestionnaire qui souffre du syndrome de l’imposteur se transforme en «Ti-Joe connaissant » (knower). À celui-là, elle suggère de viser faire la bonne chose (getting it right) au lieu de chercher à avoir raison (be right). On peut aussi citer l’armure du clivage : le monde se divise entre les victimes et les Vikings. On est soit l’un, soit l’autre. Pour ces gestionnaires, aucune nuance n’est possible. À celui-là, elle propose de gérer en sollicitant tous les aspects de sa personnalité.
On peut aussi citer le gestionnaire qui se protège en critiquant les autres. Ceci indique souvent des insécurités, pour éviter la lumière sur soi, on braque les projecteurs sur les autres. Brené suggère d’assortir sa critique d’une alternative. Pas de suggestion, pas de critique.
Terminons sur le concept de «Dare to Lead» de brigade carrée (square squad). De quoi s’agit-il?
C’est un petit groupe de gens dont l’opinion compte pour toi. J’emploie aussi ce concept, je l’ai baptisé, les «partenaires d’intégrité». Ce sont des gens qui nous disent les choses telles qu’elles sont. Nos partenaires d’intégrité se trouvent dans notre environnement professionnel. Je demande à mes clients d’en trouver trois. Le premier est bon pour leur ego. Le second est une personnalité plus difficile avec qui vous n’avez pas d’affinité. Mais il existe un respect professionnel entre vous. Le troisième est neutre, il ne vous connaît pas trop. Entre les trois, vous obtenez un portrait assez juste de ce que vous êtes.
Le mot de la fin
Comme le résume Nathalie Miller, faire preuve d’authenticité, de vulnérabilité et de courage correspond à un de nos besoins fondamentaux: être apprécié non pas à cause de ce que nous sommes, mais bien en dépit de ce que nous sommes.
La question: les entreprises veulent-elles de tout ce que nous sommes? Sommes-nous prêts à accueillir tout ce que nos patrons et nos collègues sont?