Voici comment le Québec inc pourrait profiter du virage start-up
Alain McKenna|Publié le 04 juillet 2019Chris Arsenault, d'iNovia Capital. (Photo: archives)
Quand on parle d’économie, on aime compartimenter le secteur des affaires québécois en divers groupes. Du lot, le Québec inc., incarné par les gens ayant mis sur pied les fleurons que sont, tour à tour, les CGI, Couche-Tard, Banque Nationale, est probablement le pôle économique le plus structurant, après les divers leviers économiques publics, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).
Un autre secteur compartimenté est celui des start-ups et du numérique, où les entrepreneurs carburent aux nouvelles technologies et au financement privé, finissant souvent par être acquises par des sociétés étrangères plus imposantes. Rares sont les cas où on crée un Shopify, un Lightspeed, une entreprise au capital ouvert capable de prolonger sa croissance de façon autonome.
À l’heure où Walmart semble partie pour devenir un leader de transformation numérique, où Airbus vise à devenir une championne de la mobilité autonome, sur demande et même volante de demain, et où Comcast a sous la main suffisamment de données provenant de ses clients pour entrer dans le marché de la gestion de la consommation énergétique résidentielle, rapprocher le Québec inc. du Québec numérique serait peut-être une façon de faire d’une pierre deux coups, afin d’assurer la croissance future des multinationales québécoises déjà existantes, tout en facilitant la naissance de nouveaux piliers locaux.
«L’impact d’un Couche-Tard dans le monde est grand, mais son impact est à une fraction de ce qu’il pourrait être au Québec», opine Chris Arsenault, associé du fonds montréalais iNovia, avec qui on a eu la chance de discuter à ce sujet dans le cadre de la balado Une tasse de Tech, plus tôt ce printemps.
Quand même, ça change, tranquillement pas vite. «Nos entreprises traditionnelles sont en train de se diriger vers la nouvelle économie. Certains contacts ont eu lieu avec des start-ups, mais ça ne se compare en rien avec ce qui se fait ailleurs. CGI, Couche-Tard, Bombardier, ont toutes le potentiel d’aider à bâtir l’écosystème, et d’en profiter pour aider leurs propres affaires et pour croître à l’avenir.»
Même les banques font le virage
Peut-être parce que le cycle de croissance économique actuel, même s’il atteint une durée record, reste modeste, les grandes institutions financières du pays se tournent de plus en plus vers le financement de start-ups. RBC, Desjardins, la Banque Nationale… Les fonds d’investissement déjà présents en profitent, ça va sans dire.
«On a commencé iNovia en 2007, ça a pris deux ans d’acharnement pour lever notre premier fonds. Quatre mois pour notre second fonds de 400M$, l’an dernier, et trois mois pour lever 800M$ cette année», raconte Chris Arsenault. «Il y a un engouement pour bâtir de nouvelles entreprises privées au Canada. Il y a dix ans, les banques et les grands fonds d’investissement n’avaient aucun intérêt dans l’écosystème de start-ups. Aujourd’hui, quand elles voient qu’elles peuvent générer un rendement de cinq ou dix fois leur mise, elles sont beaucoup plus attirées. Ça a pris du temps, mais on y arrive.»
Il y a dix ans, les « licornes », ces jeunes pousses atteignant une valeur aux livres d’un milliard de dollars US, étaient toutes basées en Californie. Aujourd’hui, on parle de San Francisco, New York, Londres, Toronto, Montréal et Israël… «En ce moment, 50% de l’écosystème est en Californie. Dans dix ans, ce sera 25%. L’objectif est que 5 à 10 % de cette valeur soit ici à Montréal», souhaite l’homme d’affaires montréalais.
Une ou deux entreprises à Montréal il y a dix ans pouvaient devenir des multinationales. Des Lightspeed, on en voit beaucoup plus. AlayaCare, Hopper, etc. Des entreprises ont une croissance organique rapide et qui ouvrent de nouveaux marchés à l’international accélèrent leur croissance beaucoup plus rapidement.
La Bourse n’est pas une fin en soi
Ces derniers mois, on a commencé à entendre des voix discordantes, au Canada. Arrêtez de parler d’économie strictement en matière de création d’emplois! Parlons de création de valeur, de sièges sociaux, de propriété intellectuelle! Quand une économie peine à trouver toute la main-d’œuvre nécessaire, c’est la moindre des choses.
À ce jeu, le Québec, comme le reste du Canada, doit évoluer vers une volonté de créer des entreprises durables, plutôt que des filiales. Inscrire de nouvelles entreprises en Bourse apparaît à nouveau comme un objectif bien plus souhaitable que d’attirer les géants étrangers. «Au Canada, on est bons dans la création d’emplois», constate Chris Arsenault. «Microsoft, Google, Facebook comptent toutes des milliers d’employés ici, mais ce sont des filiales. Créer les futurs acquéreurs canadiens à l’étranger est aussi primordial.»
«Une inscription en Bourse n’est pas une « sortie » comme telle. Les investisseurs qui étaient là avant sont encore là après. C’est une façon d’aller chercher du capital pour prolonger la croissance.»
Si Montréal veut jouer le jeu, la métropole québécoise a un as dans sa manche: l’intelligence artificielle. «Si Montréal veut créer des entreprises qui vont croître rapidement, et qui vont attirer le meilleur talent autour du monde, l’IA a un rôle à jouer là-dedans.» Pas nécessairement pour les raisons qu’on pense : un travailleur qui débarque au pays mais qui n’aime finalement pas son boulot peut pouvoir se trouver un nouveau boulot, on même décrocher une promotion, en traversant simplement la rue. «C’est ça, un écosystème fort.»
«Ce qu’on a appris de Lightspeed et de Shopify c’est qu’il est possible de faire des sorties bien structurées qui font croître l’écosystème local, et qui donnent le goût à des jeunes de devenir le prochain Dax Da Silva ou Joe Poulin (aujourd’hui chez Airbnb).
«On n’en est qu’au début et on a encore du temps pour bâtir l’économie de demain, de passer du Québec inc. au Québec International», conclut M. Arsenault. Après les dépanneurs Amazon Go, on aimerait bien visiter un Couche-Tard Go..!
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