Trois entreprises réduisent leurs coûts grâce au zéro déchet
François Normand|Édition de la mi‑septembre 2019Dans leur processus de production, les usines d’Interface – incluant celles qui ne sont pas encore zéro déchet, mais qui y aspirent – utilisent des matériaux recyclés ou d’origine biologique, qui sont plus faciles à réutiliser. (Photo: courtoisie)
SPÉCIAL ENVIRONNEMENT. Le zéro déchet n’est pas qu’un concept réservé aux épiceries branchées ou aux écologistes. Des entreprises manufacturières adoptent aussi cette approche, car elle a non seulement un impact positif sur l’environnement, mais aussi sur leur efficacité et leur santé financière.
Une entreprise dite zéro déchet n’est nécessairement une organisation qui ne produit aucun rebut. C’est la plupart du temps une société qui n’en génère pratiquement pas, ou qui tend sérieusement vers cet objectif.
Comment ? En ne consommant pas inutilement des matières premières ou des composants, en plus de réutiliser ou de recycler systématiquement la plupart des résidus générés par sa chaîne de production.
Le fabricant américain de tapis modulaires recyclés Interface fait partie des entreprises avant-gardistes en matière de zéro déchet. Sa stratégie est d’ailleurs décortiquée dans plusieurs écoles de gestion.
La multinationale exploite sept usines dans le monde, dont trois (en Autriche, en Thaïlande et au Royaume-Uni) ne produisent aucun déchet. La plupart de ses clients sont des entreprises ou des institutions.
Dans leur processus de production, les usines d’Interface – incluant celles qui ne sont pas encore zéro déchet, mais qui y aspirent – utilisent des matériaux recyclés ou d’origine biologique, qui sont plus faciles à réutiliser.
Cette stratégie réduit les achats de matières premières et élimine des étapes que l’entreprise estimait inutiles dans la chaîne de production d’Interface, tout en répondant à la demande grandissante des consommateurs pour les produits durables. «Cela nous a permis de réduire nos coûts et d’augmenter nos ventes», explique au téléphone John Bradford, directeur de l’innovation chez Interface.
Au cours des 12 derniers mois, la société a réalisé des revenus de 1,3 milliard de dollars américains, sur lesquels elle fait un bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA) de 152,7 millions. Ce qui représente une marge du BAIIA de 12 %, selon Reuters.
Interface a commencé à déployer sa stratégie au milieu des années 1990. À l’époque, on commençait à peine à réutiliser et à recycler les déchets domestiques en Amérique du Nord.
Et cet enjeu n’était franchement pas sur l’écran radar d’America inc.
Aujourd’hui, la consommation durable est devenue mainstream, même auprès d’une grande partie des entreprises. Un environnement d’affaires dans lequel Interface a un avantage concurrentiel étant donné son expérience et son expertise. Sans parler du fait que le zéro déchet est pratiquement inscrit dans l’ADN des employés, souligne John Bradford. «Depuis des années, notre stratégie nous a permis de mettre l’accent sur les besoins des consommateurs. C’est dans l’état d’esprit de nos employés.»
De plus, Interface investit constamment pour améliorer les équipements de production dans ses usines, afin qu’ils soient plus efficaces et génèrent moins de retailles de tapis, même si elles sont du reste réutilisées ou recyclées. L’idée est de réduire la production de déchet à la source.
Une usine automobile zéro déchet depuis 2004
Le constructeur automobile japonais Subaru est un autre adepte du zéro déchet.
Sa seule usine en Amérique du Nord est située à Lafayette, dans l’État américain de l’Indiana. Elle ne produit pratiquement plus de déchets depuis 2004, alors que sa production a continué d’augmenter pour dépasser les 350 000 véhicules par année.
«Cette stratégie nous a permis d’économiser environ 13 millions de dollars américains depuis une quinzaine d’années», souligne Rachel Hazaray, responsable principale de a responsabilité sociale chez Subaru.
À l’origine, Subaru s’était donné cinq ans pour atteindre son objectif de devenir une usine sans déchet, mais elle y est arrivée en seulement deux ans et demi.
Par contre, l’entreprise a chambardé de fond en comble la gestion des opérations de son usine de Lafayette. À commencer par tenter de comprendre à quels endroits la chaîne de production générait des déchets.
Pour réduire ses déchets, Subaru a aussi mis dans le coup ses fournisseurs. «Nous travaillons avec eux afin qu’ils s’ajustent avec précision à notre demande d’intrants», explique Mme Hazaray.
Comme on y fabrique des voitures, la principale matière première consommée à l’usine est l’acier. Il a donc fallu aviser les fournisseurs de livrer la quantité exacte d’acier requise pour produire chaque véhicule.
C’est du juste à temps, mais poussé à l’extrême.
De plus, les employés de Subaru ont systématiquement éliminé les pertes inutiles – déchets, retailles et poussières – dans la chaîne de production. Quant aux pertes inévitables, elles sont réutilisées ou recyclées au sein du processus industriel.
Malgré tous ces efforts, l’usine génère quand même un peu de rebuts impossibles à valoriser. Ceux-ci représentent moins de 5 % de tous les déchets produits à Lafayette.
Toutefois, Subaru ne les expédie pas dans des sites d’enfouissement. Elle les envoie plutôt à l’incinérateur de la société Covanta, dans la ville voisine d’Indianapolis. Celle-ci s’en sert à son tour pour produire de l’électricité propre.
Un bel exemple d’économie circulaire.
Une usine d’isolants zéro déchet à Sherbrooke
La multinationale française Soprema, qui fabrique des produits d’étanchéité, d’isolation, de végétalisation et d’insonorisation pour les domaines de la toiture, de l’enveloppe du bâtiment et du génie civil, s’est aussi lancée récemment dans le zéro déchet.
Soprema exploite 12 unités de production au Canada, et son siège social nord-américain est situé à Drummondville.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, exploiter une usine zéro déchet, comme celle de Soprema à Sherbrooke, n’est pas un si grand défi sur le plan de la gestion des opérations. (Photo: courtoisie)
En septembre 2018, l’entreprise a inauguré à Sherbrooke une usine zéro déchet, qui valorise actuellement 88 % des déchets générés par la fabrication d’isolants de polystyrène extrudé. L’objectif est, à terme, de se rapprocher de 100 %, confie le directeur de l’usine sherbrookoise, Maximilien Delétoille. «Valoriser 98 % de nos déchets est dans le domaine du possible.»
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, exploiter une nouvelle usine zéro déchet n’est pas un si grand défi sur le plan de la gestion des opérations, car le processus industriel a été pensé en fonction de cette stratégie, explique-t-il. «Il faut seulement bien intégrer le fait que l’usine devient elle-même un fournisseur.» M. Delétoille précise que convertir une usine existante représente un défi plus grand, en raison des anciennes façons de faire peu soucieuses de l’environnement.
Cela dit, viser le zéro déchet dans une usine entraîne aussi des coûts supplémentaires, même si en fin de compte cette stratégie permet de réduire globalement les coûts d’approvisionnement.
Comme Soprema réutilise et recycle un très grand volume des déchets de son usine de Sherbrooke, elle doit nécessairement les stocker sur le site en attendant qu’ils soient valorisés et réintroduits dans la chaîne de production.
Or, stocker des intrants supplémentaires génère des coûts, incluant ceux de manutention.
Pour l’instant, la multinationale dit ne pas avoir en main toutes les informations nécessaires pour évaluer avec précision le bénéficie financier d’exploiter une usine zéro déchet comparativement à une usine classique.
En revanche, M. Delétoille ne doute pas un instant de la rentabilité et des marges bénéficiaires futures de la nouvelle usine estrienne, qui a nécessité un investissement de 40 M$. «Nous avons déjà réalisé le rendement sur l’investissement», souligne-t-il.