Selon Alstom, le gouvernement fédéral aura beau dépenser des milliards de dollars pour construire des voies dédiées et améliorer la fréquence et la fiabilité des trains, ça ne sera pas suffisant. (Photo: Getty Images)
BLOGUE INVITÉ. Cet été, le géant ferroviaire Alstom – propriétaire de Bombardier Transport – a effectué une rare sortie publique pour critiquer le projet de train à grande fréquence (TGF) prévu par VIA Rail dans le corridor Québec-Montréal-Ottawa-Toronto.
En somme, le message envoyé par le président d’Alstom Amériques, Michael Keroullé, est que si l’on souhaite vraiment convaincre plus de Canadiens de délaisser l’auto solo et l’avion pour une alternative plus écologique comme le train, ça prend de la vitesse.
Selon Alstom, le gouvernement fédéral aura beau dépenser des milliards de dollars pour construire des voies dédiées et améliorer la fréquence et la fiabilité des trains, ça ne sera pas suffisant. La fréquence doit impérativement aller de pair avec la vitesse, sans quoi le projet serait voué à l’échec.
Pas juste bon pour l’Europe
Il faut dire qu’Alstom a une longue et impressionnante feuille de route en matière de réalisation de projets de trains à grande vitesse (TGV) dans le monde. Elle complète d’ailleurs actuellement, juste au sud de notre frontière, la modernisation de la ligne Acela d’Amtrak qui reliera bientôt Boston, New York, Philadelphie et Washington avec des vitesses de pointe allant jusqu’à plus de 250 km/h.
Certains ont longtemps affirmé que le TGV n’était pas une solution adaptée au rude climat et aux grandes distances caractéristiques de l’Amérique du Nord.
Mais si nos voisins américains peuvent maintenant le faire, pourquoi pas nous aussi?
Après tout, avec le récent chaos dans les aéroports canadiens et les gros transporteurs aériens qui semblent plus que jamais tenir les voyageurs en otages, un peu de saine concurrence dans le secteur du transport de passagers ne ferait certainement pas de tort.
Investir pour l’environnement
Certes, un TGV coûterait plus cher qu’un TGF, c’est indéniable. Mais, comme je l’écrivais sur ce blogue l’an dernier, la facture totale est loin d’être le seul critère à prendre en considération lorsqu’on planifie des projets d’infrastructure d’une telle envergure qui perdureront pour les générations à venir.
D’abord, il y a la question du succès commercial une fois l’infrastructure complétée. Avec la fréquence pour unique argument de vente, un TGF réussira-t-il à attirer les foules au point de permettre de rentabiliser l’investissement de départ? La question reste entière pour l’instant, les études à ce sujet datant d’il y a plus de 5 ans, à une époque où les estimations des coûts de construction du TGF étaient de deux à trois fois moins élevées qu’aujourd’hui.
Plus important encore que la rentabilité: à l’heure de l’urgence climatique, le pays ne peut tout simplement pas se permettre de lésiner sur les investissements qui nous permettront d’atteindre plus rapidement nos cibles de réduction des gaz à effet de serre (GES) à moyen et à long terme. Tandis que la planète surchauffe et suffoque, le moment n’est assurément pas aux économies de bouts de chandelles lorsque vient le temps d’agir concrètement pour le climat, au-delà des beaux discours.
Tendre l’oreille
Alstom a aussi – faut-il le souligner – un intérêt commercial évident à défendre avec une telle sortie publique. Après tout, elle vend des TGV, pas des TGF. Mais il serait bien mal avisé de mettre de côté l’expertise d’un des plus importants acteurs de l’industrie ferroviaire mondiale pour cette simple raison.
À Ottawa, il serait pertinent que le ministre des Transports, Omar Alghabra, tende l’oreille et accorde une plus grande attention à l’avis des nombreux experts qui, comme Alstom, se sont prononcés au cours des derniers mois en faveur d’un projet ferroviaire « digne du 21e siècle » et s’inspirant davantage du succès retentissant du TGV aux quatre coins du globe.
Le Canada, qui s’est pourtant développé autour du chemin de fer il y a 150 ans, peut et doit rattraper sans plus tarder son important retard sur les autres pays du G7 en matière de développement d’infrastructures ferroviaires modernes.
Pour le reste, espérons seulement qu’il n’est pas déjà trop tard pour faire demi-tour avant que le train (à grande fréquence) ne frappe un mur…