Tester la croissance inclusive avec le PDG de Danone ça vous dit?
Diane Bérard|Mis à jour le 11 juillet 2024Emmanuel Faber, PDG de Danone, dirige l'initiative B4IG de l'OCDE, qui regroupe des gouvernements et des entreprises dépoyant la croissance inclusive. (Photo: Getty Images)
Montréal accueille la 25e édition de la Conférence de Montréal. J’en ai profité pour rencontrer le Secrétaire général de l’OCDE, José Àngel Gurria. Il est à Montréal pour un recrutement bien spécial…
L’OCDE participe à Conférence de Montréal, entre autres, pour recruter. Quel type de candidat cherchez-vous?
Nous cherchons des entreprises prêtes à tenter un nouveau modèle d’affaires: la croissance inclusive. Ce matin, lors d’une rencontre privée, j’ai présenté la plateforme «Business for inclusive growth (B4IG)», que nous lancerons août prochain, lors de la réunion annuelle du G7.
Les entreprises qui joignent l’initiative B4IG s’engagent à agir sur trois fronts: l’égalité des chances, l’élimination des disparités liées au genre et la réduction des disparités territoriales. Le B4IG comportera un incubateur de modèles d’affaires liés à la croissance inclusive. Notre initiative prévoit aussi la création d’un fonds, alimenté par des investissements issus de la finance hybride.
D’abord, la croissance a passé par la productivité. Puis, par le développement durable. Et, maintenant, on parle de croissance inclusive…
La productivité toute seule ne fonctionne pas. On a laissé trop de gens de côté. Et ça ne fait d’empirer, les écarts de richesse augmentent.
On a essayé la redistribution. Toute seule, elle ne tient pas debout non plus. La tarte demeure trop petite pour tout le monde.
Le développement durable ne suffit pas non plus. Il est surtout lié à l’environnement.
La croissance inclusive est liée à la société au sens large. C’est ce qu’il manquait à l’équation.
Notre espoir tient donc à combiner productivité, développement durable et croissance inclusive.
La croissance inclusive se décline en trois thèmes, lesquels?
1-L’éducation, sous toutes ses formes, à l’école et en entreprise, tout au long du parcours professionnel des individus. Toutes les entreprises doivent devenir des écoles. Toutes les grandes organisations, des universités;
2-La santé: sensibilisation, éducation et services adéquats et accessibles;
3- Le futur du travail: il faut combler le déficit entre l’offre et la demande de main-d’œuvre. Cela exige que l’État, le secteur privé et les syndicats travaillent ensemble.
Pourquoi se soucier de croissance inclusive?
La qualité des gouvernements se dégrade. Les citoyens sont divisés. Ils cherchent du changement. On voit se multiplier les gouvernements de coalition. Le premier ministre tchèque Andrej Bavis a mis neuf mois pour former son gouvernement. Le premier ministre hollandais Mark Rutte a mis sept mois. La chancelière allemande Angela Merkel a mis cinq mois. Le premier ministre suédois Kjell Stefan Löfven a mis quatre mois. Les forces politiques espagnoles sont fragmentées. Et que dire des États-Unis… Le Brexit… L’Autriche, la Finlande, l’Estonie… Le Mexique a porté au pouvoir un parti qui vient à peine d’être formé. Le Brésil a élu un dirigeant qui n’appartient pas à un profil auquel nous sommes habitués. Et les gilets jaunes…
Voilà la géographie du mécontentement, soit l’expression de tous ceux qui se sentent exclus. D’abord, leur emploi a été détruit. Maintenant, la numérisation de la société les empêche d’en trouver un nouveau. Ils ne sont pas formés pour profiter de cette occasion.
Seule une croissance plus inclusive redonnera confiance aux citoyens et permettra le retour de gouvernements et d’une gouvernance de qualité.
Comment la croissance peut-elle être inclusive? La croissance économique ne repose-t-elle pas sur l’exclusion?
Vous avez raison. La croissance par elle-même n’est pas inclusive. Nous avons observé, par exemple, que le retour de celle-ci, après des années sombres, ne fut pas accompagné d’inclusion. Le retour de la croissance n’a pas profité à tous.
Par essence, la croissance n’est pas inclusive. Pour qu’elle le soit, cela exige des politiques délibérées de la part des États.
À quelles conditions la croissance peut-elle être inclusive?
Il faut le soutien conscient des gouvernements centraux, de celui des villes et du secteur privé. Pour le B4IG, nous avons d’abord interpellé les États. Mais, où vivent les gens? Les trois quarts des citoyens de l’OCDE vivent dans les villes, et 52% de la population de la planète est urbaine. C’est pourquoi nous avons rapidement inclus les gouvernements municipaux à travers l’initiative «Les maires champions pour une croissance inclusive», lancée en 2015. Ces 37 villes, dont Montréal, se penchent sur l’enjeu des inégalités. Elles cherchent des solutions et de nouveaux indicateurs pour en évaluer l’efficacité.
Nous avons donc les États et les villes de notre côté. Nous disposons aussi de nombreuses études indiquant la voie à suivre. Que nous manque-t-il? Le secteur privé. C’est notre nouvelle cible. Nous avons besoin de PDG Champions de la croissance inclusive, pour joindre nos maires. C’était le but de notre rencontre privée de ce matin.
Du côté du secteur privé, qui est le porteur de ballon de la croissance inclusive?
Emmanuel Faber, le PDG de Danone.
Pour une entreprise, qu’est-ce qu’une croissance inclusive implique?
Elle s’engage à :
1-Combler le fossé de la rémunération entre les hommes et les femmes;
2-Réduire la discrimination basée sur l’orientation sexuelle;
3-Maintenir l’employabilité de sa main-d’œuvre;
4-Offrir un salaire décent;
5-Assainir sa chaîne d’approvisionnement et à accepter son imputabilité pour chacun des maillons.
C’est toute une mission de convaincre le secteur privé d’adhérer aux cinq principes précédents…
Nous en sommes conscients et nous n’avons pas cette ambition pour le lancement. Nous visons plutôt rallier un petit groupe diversifié d’entreprises (moins de cinq) dans chaque pays.
Vous faites un lien entre les guerres commerciales et la croissance inclusive, lequel?
Pour qu’il y ait croissance inclusive, il doit y avoir croissance. Or, les tensions commerciales actuelles ont retranché de la croissance partout dans le monde. Globalement, nous avons perdu 1% de croissance potentielle, et ça pourrait être pire. L’an dernier, l’OCDE avait prévu une croissance de 4% pour 2019. Nous en sommes à 3,2%. L’Allemagne, quant à elle, a retranché 1,2%. L’Italie et le Canada, 1,1% chacun. La Grande-Bretagne, 0,6%. La France, 0,3%. Seuls les États-Unis n’ont pas vu leur croissance reculer. Son économie semble plus autosuffisante. L’investissement, quant à lui, croît à 1,75% au lieu de 3,5% depuis deux ans. Les entreprises n’investissent pas, car elles hésitent à produire des biens qu’elles ne pourront peut-être pas vendre à cause de potentiels tarifs prohibitifs. Souhaitons que ces guerres soient conjoncturelles. Mais il y a lieu de se demander si elles ne deviennent pas structurelles.
La croissance inclusive est-elle purement volontariste?
Non, on débute par les meilleures pratiques généralement acceptées qui deviennent des lignes directrices pour les organisations. Mais ça ne suffit pas. Il faut forcément inclure la législation.
Si l’aventure vous intéresse, voici le lien vers l’initiative B4IG. Je connais des entreprises québécoises qui seraient parfaites pour cette initiative. J’espère que vous vous reconnaîtrez 😉