(Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. C’est le lundi 8 juin que j’ai réalisé à quel point le télétravail avait été néfaste pour ma santé psychologique, physique et surtout familiale. La veille, lors d’une marche avec Karo, elle m’avait offert le plus beau cadeau qu’elle puisse me faire, me renvoyer de la maison.
En effet, c’est lors d’une marche paisible en amoureux sur le Mont-Royal qu’elle m’a annoncé la nouvelle. Pour tout vous dire, notre marche avait commencé par une phrase qui me laissait présager le pire : « J’espère que tu ne vas pas être fâché. »
Par réflexe, comme plusieurs d’entre nous, le simple fait d’entendre ces quelques mots m’a rendu immédiatement anxieux. Allait-elle me laisser pour mon meilleur ami ? M’annoncer qu’un de mes enfants n’est pas le mien ? Me dire qu’elle a décidé de défoncer un mur dans la maison afin d’y installer un aquarium géant ? Non.
Heureusement pour moi, l’annonce fut moins drastique que toutes ces hypothèses. Karo voulait tout simplement mettre fin à trois mois d’enfer pour moi, pour elle, pour mon équipe, ma famille et surtout pour mes filles.
Je ne crois plus au télétravail. Pourtant, dès le 13 mars, premier jour de travail à la maison, j’ai tout essayé afin de m’y habituer et essayer d’y exceller. J’ai lu sur le sujet, j’ai suivi les conseils des experts concernant l’importance de la luminosité, de prendre des pauses, de suivre un horaire, de me lever aux 30 minutes afin de m’étirer, de respecter la distance entre mon écran et mes yeux, d’avoir un angle de 90 degrés entre mon poignet, le bureau, la souris. Bref, j’ai tout fait ce qu’il fallait… mais ce n’était pas assez !
Bien que je reconnaisse que cette option puisse convenir à certains, pour ma part, j’abdique. Plus jamais, peu importe l’importance de la pandémie, de l’inondation, du tremblement de terre, du tsunami, du cyclone, de l’invasion de criquets, de tarentules ou de zombies, je ne veux revivre une seule fraction de seconde de télétravail.
J’entends déjà certains me dire que le télétravail a changé leur vie, qu’ils sauvent trois heures de trafic par jour, qu’ils sont plus productifs, passent plus de temps avec leur famille, qu’ils sont plus heureux, plus concentrés, et bien tant mieux ! Pour moi, en toute franchise, ce fut tout le contraire.
Plus les jours avançaient, plus je m’enfonçais dans une spirale sans fin. Habillé en « mou » sept jours sur sept, mes journées n’avaient plus de début ni de fin. Mon bureau était à moins de 10 mètres de mon lit, de mon salon, de mon cellier, de mon frigo, de toute ma vie. Je n’avais tout simplement plus de repères. Matin, midi, soir, fin de semaine, toutes les excuses étaient bonnes afin que je réponde à un courriel, que je finisse une présentation, que je fasse un dernier appel. Zoom, Teams, Skype, Workplace et compagnie sont devenus pour moi de véritables prisons virtuelles.
Pour tout vous dire, le concept du télétravail m’attirait, car je croyais pouvoir être plus présent pour ma femme et pour mes filles. Moi qui étais très souvent en déplacement dans le monde pré-Covid, je croyais que ma présence physique était suffisante, je croyais que d’être à la maison voulait dire être présent, mais c’était tout le contraire.
Plus les jours passaient, plus j’étais absent. Plus les jours passaient, plus je me sentais coupable. Coupable de ne pas jouer avec mes filles, de ne pas aider Karo, de ne pas manger avec eux le midi. Coupable de ne pas répondre à tous mes courriels de la journée, de m’excuser à mon interlocuteur du vacarme ambiant lors de notre appel. Coupable de ne pas être présent pour mon équipe, pour mes partenaires. Coupable de vivre dans un monde parallèle ou seul mon travail comptait et envahissait la moindre place dans mon esprit.
À deux pas de l’épuisement
Derrière la porte de mon bureau, à moins de quelques mètres de moi, j’entendais la vie qui filait à toute allure entre mes doigts, j’entendais le rire de mes filles qui me rappelait à quel point je passais à côté du plus important.
Durant cette période, je suis devenu un robot. Aucune émotion, aucune empathie. Je travaillais, je mangeais par obligation et j’étais présent, du moins mon tas d’os l’était, quelques heures par jour pour ma famille.
Malheureusement, durant ses 90 jours, je n’ai pas été le meilleur ami, fils, mari, papa, partenaire, patron. Je me suis noyé dans mon travail par culpabilité et je tiens à m’excuser à ma femme, mes filles, ma famille, à Anne et à mon équipe.
Heureusement, le dimanche 7 juin, Karo a eu le courage de mettre fin à ma souffrance. Souffrance dont j’étais victime, mais que j’ignorais. À peine quelques jours de retour au bureau ont suffi pour que je réalise à quel point je n’étais pas le candidat idéal pour le télétravail. Workaholic pour certains, passionné pour d’autres, mon renvoi a été libérateur.
Quelques jours plus tard, j’ai eu des frissons en réalisant que j’avais frôlé de très (très) proche l’épuisement professionnel sans même avoir détecté le moindre indice. Fatigue, stress, irritabilité, manque de motivation et de concentration, tous les signes étaient bel et bien présents, mais encore une fois, j’étais aveuglé par mon obsession de « réussir mon télétravail ».
Aujourd’hui, un mois après mon renvoi, je réalise à quel point j’ai été chanceux. Je ne remercierai jamais assez Karo de m’avoir envoyé le « wake up call » que tout entrepreneur a besoin d’entendre quand il ne voit plus clair.