(Photo: Eloise Ambursley pour Unsplash)
BLOGUE INVITÉ. La recette «canonique» de la start-up a été largement promue et diffusée dans les médias, dans les événements et dans les universités. Cette recette simple – une bonne idée, avec des infusions suffisantes de capital de risque, arrivera à une taille critique qui lui permettra de basculer d’une logique de pertes endémiques à une profitabilité assurée – est aujourd’hui remise en cause.
Uber, WeWork, Spotify… ces «licornes» (ou start-up dont la valorisation dépasse le milliard de dollars) ont connu ces dernières années une forte croissance de leur chiffre d’affaires, adossée à des pertes tout aussi importantes. Le trou financier qui se creuse est, bien évidemment, le résultat d’un pari sur des revenus futurs.
Des revenus qui, dans bien des cas, risquent de ne pas se matérialiser.
Dans ses travaux sur les marchés émergents, Erik Simanis, directeur général des stratégies de création de marché au Centre de l’entreprise durable de la Johnson School of Management de l’Université Cornell, conclut que la croissance du volume est de moins en moins garante d’une croissance de la profitabilité. M. Simanis montre bien que, dans ces marchés, la croissance du volume d’affaires tend à faire augmenter les coûts marginaux plus rapidement que les revenus marginaux. Autrement dit, plus le volume est grand, plus la perte est grande. C’est la situation que vivent également, encore aujourd’hui, un nombre important de start-up occidentales.
Cela a mené, ces dernières années, à des situations grotesques où une entreprise comme Dropbox, lors de son premier appel public à l’épargne (IPO) visant à faire entrer l’entreprise en Bourse, écrivait dans son prospectus qu’il était «fort probable que l’entreprise ne devienne jamais rentable ».
Le PDG de Dropbox et moi avons, manifestement, une compréhension bien différente de l’utilité des marchés publics!
Entre naïveté et techno-optimisme
La prémisse qui alimente le projet de croissance accélérée des start-up est souvent basée sur une hypothèse de stabilité du contexte sociodémographique, économique et réglementaire. Sur ces trois dimensions, pourtant, le contexte est appelé à changer fortement ces prochaines années.
Alors que les appels se multiplient afin de contenir, voire même de démembrer les nouveaux monopoles technologiques américains, certaines entreprises émergentes se comportent toujours comme si la norme «impériale» des 20 dernières années allait se poursuivre.
L’absence de réglementation a créé un vacuum au sein duquel une poignée de géants – surtout américains – a pu s’engouffrer, mais tout porte à croire que l’avènement de cadres législatifs comme le RGPD européen deviendra plutôt la nouvelle norme.
À cela s’ajoutent des contraintes liées à la gouvernance des entreprises, à la circulation des flux financiers, et dans certains cas, à des mesures de protection nationale.
Le cas WeWork
Alors que le modèle a fait ses preuves pour les géants des dernières décennies, de nouveaux acteurs pointent la proue de leurs navires, sombrant vers une entrée en Bourse.
C’est le cas de WeWork, une entreprise de co-travail américaine qui tente de s’imposer comme la nouvelle norme dans la gestion de l’immobilier commercial.
De la même manière que l’ont fait les entreprises d’infonuagique, de location automobile ou même de location d’avions (saviez-vous que 40% de la flotte mondiale d’avions n’appartient pas aux transporteurs aériens, mais à des entreprises de location d’appareils?), WeWork prétend que son marché cible, ce sont tous les bureaux de toute la planète.
Rien de moins.
Selon son prospectus, 100% des employés de bureau de 100% des entreprises pourraient, dans un avenir prochain, devenir clients de services flexibles en immobilier commercial.
Là où le bât blesse, c’est lorsqu’on constate que WeWork est une entreprise intrinsèquement déficitaire, et ce, pour toutes les mauvaises raisons. Elle internalise des coûts fixes (baux à long terme) en échange d’engagements variables (location de courte durée). Bien que ce soit là précisément son modèle, le chemin de la profitabilité est tout sauf clair pour WeWork.
Qui plus est, la structure corporative de l’entreprise est opaque. Elle est dirigée par un conseil d’administration 100% masculin. Et de nombreuses ententes étranges semblent avoir été convenues entre l’entreprise et son fondateur, Adam Neumann, au profit exclusif de celui-ci.
À la veille d’un probable ralentissement économique, il est justifié de se demander si le modèle start-up d’hier, misant sur une logique du «gagnant emporte tout» reposant sur l’établissement de monopoles sectoriels, continuera d’être la norme.
Peut-être serait-il judicieux que les détenteurs de capitaux publics et privés s’interrogent à ce sujet, et qu’ils révisent leurs projections, leurs ambitions et leurs investissements en conséquence.