« Nous avons une masse critique en IA et en génie aérospatial, donc en les réunissant nous émergerons comme un pôle mondial innovant de l’aérospatiale. » – Suzanne Benoît, PDG d’Aéro Montréal
INDUSTRIE AÉROSPATIALE. Presagis est née en 2007 de la fusion de petites entreprises très spécialisées dans des domaines telles la réalité virtuelle, la visualisation 3D et les interfaces hommes-machines dans le secteur de l’aérospatiale. La firme montréalaise a des bureaux aux États-Unis et en Europe et fait affaire avec les grands constructeurs comme Boeing, Airbus, Embraer et Comac… mais à peu près pas avec Bombardier. «Nul n’est prophète en son pays», ironise le président Jean-Michel Brière.
L’entreprise collabore aussi avec les fournisseurs d’instrumentation comme Thalès et CAE. Elle leur fournit les outils de développement qui leur permettent de bâtir toutes les fonctions avioniques à bord du cockpit. Elle crée aussi des environnements de développement pour la réalité virtuelle, utilisés par exemple par CAE dans le cadre de l’élaboration de ses réputés simulateurs de vol.
«Les technologies de Presagis sont transversales et ne se limitent pas à l’aérospatiale», note M. Brière. L’entreprise a par exemple une grande expertise dans les capteurs, dont les avions, mais aussi les véhicules terrestres, lesquels s’équipent de plus en plus à mesure qu’ils misent sur l’autonomie et l’intelligence artificielle (IA).
Dans un projet de recherche, Presagis a par exemple travaillé à un système de capteurs et de réalité virtuelle pour réduire les risques d’accident au décollage et à l’atterrissage d’hélicoptères. Dans ces moments, la poussière soulevée par les hélices diminue la visibilité. La visualisation 3D aide le pilote à voir plus clairement sa situation. «Nous pourrons tirer de ces résultats des applications intéressantes pour l’industrie», croit le président.
Changer ses habitudes
L’ouverture de l’industrie aérospatiale québécoise aux technologies transversales sera cruciale pour son avenir, mais exigera un changement de mentalité. «La grappe a eu tendance à se confiner aux joueurs traditionnels de l’aérospatiale, reconnaît Suzanne Benoît, PDG d’Aéro Montréal. Il faut maintenant s’ouvrir à des acteurs d’autres secteurs, que ce soit les grandes entreprises comme Google ou les start-up.»
L’IA figure en tête de lice des technologies transversales auxquelles l’aérospatiale doit s’ouvrir. Le 17 mai dernier, l’assemblée générale d’Aéro Montréal s’est d’ailleurs tenue au complexe O Mile-Ex, où l’on retrouve notamment l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal (MILA). En avril, Aéro Montréal annonçait aussi une entente avec l’Institut de valorisation des données (IVADO) pour favoriser l’émergence de projets d’IA en aérospatiale. L’organisme a également fait un événement avec Scale AI, la supergrappe d’IA du Canada qui se consacre à la logistique.
La collaboration entre différents acteurs sera nécessaire, notamment pour surmonter le défi des certifications dans un secteur très réglementé. L’IA, par exemple, pose le problème de l’explicabilité. On connaît les données que l’on entre dans ce qu’on appelle la «boîte noire» et on constate la décision prise par l’IA, mais il n’est pas toujours possible de savoir comment elle en arrive à ce résultat. Un enjeu important puisque les certificateurs, eux, exigent de bien comprendre le fonctionnement d’une innovation avant de l’autoriser.
Gérer les données
Chez APN, une entreprise de Québec qui regroupe six sociétés spécialisées en fabrication de pièces et de produits complexes, on travaille déjà depuis quelques années avec l’IA. L’entreprise, qui tire 30 % de son chiffre d’affaires de l’aérospatiale, se classe parmi les plus avancées du monde dans son domaine pour ce qui est de l’industrie 4.0 et de l’IA.
Elle explore l’utilisation de l’apprentissage profond dans la prise de décision, par exemple dans la planification de la production et l’optimisation de l’utilisation des outils. Par exemple, l’IA suggère aux employés qu’il est temps de changer d’outil, mais les travailleurs peuvent accepter ou refuser la suggestion. Ils communiquent cette réponse à l’IA, qui l’intègre pour raffiner ses prochaines prises de décision.
«Notre gros défi réside dans l’adaptation de la gestion de la donnée, explique Yves Proteau, coprésident d’APN. Nos systèmes et nos données sont faits pour être utilisés par des humains. Ces derniers compensent lorsqu’une donnée n’est pas claire. L’IA ne fait pas ça, elle a donc besoin d’une donnée d’une qualité exceptionnelle pour bien fonctionner.» Comme APN vise l’automatisation totale, elle doit s’assurer de collecter toutes les données dont elle a besoin et surtout de bien les valider. Environ 3 % des travailleurs d’APN se consacrent à temps plein a faire le ménage des données.
Foi de Mme Benoît, Montréal a tous les atouts pour surmonter les défis qui se dressent devant l’utilisation de l’IA en aérospatiale. «Nous avons une masse critique en IA et en génie aérospatial. En les réunissant, nous émergerons comme un pôle mondial innovant de l’aérospatiale.»