Santé: la Cour aurait refusé le sursis aux employés non vaccinés
La Presse Canadienne|Publié le 15 novembre 2021Le 13 octobre dernier, le gouvernement Legault avait reporté la date butoir pour la vaccination obligatoire, initialement prévue le 15 octobre, au 15 novembre. Puis, le 3 novembre, le ministre de la Santé Christian Dubé renonçait à l’imposer. (Photo: La Presse Canadienne)
Les travailleurs de la santé qui refusent d’être vaccinés n’auraient pas eu de sursis de la Cour supérieure si le gouvernement n’avait pas reculé de lui-même sur la vaccination obligatoire du personnel du réseau.
La question de fond, à savoir si le décret qui obligeait la vaccination est légal, n’est toutefois pas réglée.
Le juge Michel Yergeau, de la Cour supérieure, a ainsi rendu jugement comme prévu lundi matin, sur la demande de sursis présentée par un groupe de 137 travailleurs de la santé. Dans sa décision de 47 pages, le magistrat estime que ces derniers auraient dû se plier au décret et soit accepter de se faire vacciner ou accepter d’être suspendus sans solde en attendant que le dossier soit réglé sur le fond.
La question de fond pourrait ne jamais être tranchée
Les employés en question n’en étaient pas encore rendus à contester la légalité du décret: puisque celui-ci devait entrer en vigueur ce lundi, ils demandaient simplement au tribunal de leur accorder un sursis en attendant de connaître le dénouement du débat sur le fond, débat qui est toujours prévu pour le mois de janvier, mais qui pourrait ne pas avoir lieu.
Il est en effet possible que la Cour ne tranche jamais sur la question de fond, à savoir si le décret était légal ou non. Michel Yergeau écrit, à cet effet: «Pour ce qui est de l’instruction, au fond, une fois que seront connues les modifications apportées au décret, restera à déterminer si les questions que soulèvent les demandeurs jouent encore un rôle utile requérant l’attention du tribunal.»
D’entrée de jeu, le juge Yergeau reconnaît que la décision de ne plus imposer la vaccination obligatoire est «un changement de cap majeur». Cependant, puisque le décret n’a toujours pas été modifié, le juge estime qu’il se devait de rendre jugement quand même. Il ajoute le faire également «par respect pour le travail abattu par les parties».
Le 13 octobre dernier, le gouvernement Legault avait reporté la date butoir pour la vaccination obligatoire, initialement prévue le 15 octobre, au 15 novembre. Puis, le 3 novembre, le ministre de la Santé Christian Dubé renonçait à l’imposer, estimant avoir atteint le maximum possible avec 97% du personnel du réseau de la santé vacciné. Il annonçait plutôt que tous les employés non vaccinés devraient se soumettre à des tests de dépistage obligatoires à raison de trois fois par semaine.
Le droit de refuser d’être vacciné n’existe pas
Dans sa décision, le juge tranche quand même que le sursis n’était pas requis.
Il souligne d’abord qu’«en droit, il n’existe pas une telle chose que le droit pur et simple de refuser d’être vacciné, contre lequel viendraient se briser les velléités du gouvernement en cas de menace à la santé publique».
Puis, parmi les critères requis pour obtenir le sursis réclamé, le juge reconnaît ceux de l’urgence et de l’apparence de droit. En contrepartie, il estime que le critère du préjudice irréparable invoqué par les demandeurs, tant pour eux-mêmes que pour la population, n’est pas rempli.
Pas de préjudice irréparable
Sur le plan personnel, il fait valoir que «même si la sanction (suspension sans solde) est lourde, il s’agit là néanmoins d’un préjudice réparable auquel le jugement de fond pourra apporter une correction en fonction de la rémunération perdue dans la mesure où le Décret serait jugé invalide». En d’autres termes, la Cour aurait le pouvoir d’obliger le gouvernement à compenser les salaires perdus s’il devait perdre sa cause.
Sur le plan collectif, où les demandeurs faisaient poindre le spectre de bris de service advenant leur suspension, le juge réplique que «rien dans la preuve des demandeurs ne se révèle suffisamment précis et détaillé pour établir avec une certaine confiance la probabilité d’un préjudice sérieux sur les bénéficiaires du système public de santé et leur droit de recevoir les soins de santé requis par leur état».
Au final, le juge Yergeau estime que «les demandeurs ont été incapables de démontrer que le Décret, qu’on soit d’accord ou non avec la valeur de la solution qu’il préconise, n’a pas été pris à sa face même pour protéger la santé de la population dans un contexte d’urgence sanitaire».
Réaffirmation de la séparation des pouvoirs
Sur la question d’être d’accord ou non, le juge Yergeau rappelle au passage que la Cour n’a pas à s’immiscer dans une décision politique: «Le Tribunal ne peut intervenir qu’au chapitre de la légalité des actes pris par le gouvernement. Aller au-delà de cette réserve mènerait le juge à se substituer au gouvernement ou à l’Administration, ce qui lui est interdit. Le rôle du pouvoir judiciaire, quoique capital, se borne à s’assurer que la loi est conforme à la Constitution et que les actes du gouvernement et de l’Administration sont conformes à la loi et à la règle de droit. Un point c’est tout.»
Le magistrat va plus loin, affirmant qu’«il se peut que le pouvoir exécutif et l’Administration aient fait un mauvais choix de moyens pour protéger la santé publique en cette période d’urgence sanitaire. Mais il n’appartient pas au Tribunal de substituer son opinion à celle du gouvernement. Sur ces questions d’opportunité, c’est aux électeurs qu’il reviendra de juger».
Parmi les 137 demandeurs, on retrouvait 49 infirmières, 19 technologues, 13 médecins (spécialistes et omnipraticiens), ainsi que des pharmaciennes, inhalothérapeutes, ambulanciers, préposés aux bénéficiaires, travailleuses sociales, psychologues, psychoéducatrices, agentes administratives, secrétaires médicales et autres.