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Respirons par le nez, mais préparons-nous à la nouvelle donne

François Normand|Publié le 04 novembre 2020

Respirons par le nez, mais préparons-nous à la nouvelle donne

La candidat démocrate Joe Biden et le président sortant républicain Donald Trump. (source: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE— C’est le pire des scénarios : un résultat serré, des recomptages à l’horizon, un décompte final qui n’est pas encore connu, sans parler d’un président sortant qui crie déjà victoire… Pour autant, le processus électoral suit son cours, la Bourse est à la hausse, l’économie continue de rouler et, surtout, le pays n’est pas au bord de la guerre civile. Bref, on respire par le nez et on s’arme de patience pour voir qui sera aux commandes dans ce pays en mutation.

Certes, les États-Unis sont un pays très divisé et polarisé. Grosso modo, la moitié des Américains ont voté pour Joe Biden (50%), l’autre moitié pour Donald Trump (48%). Ce mercredi 4 novembre à 18h30, le candidat démocrate avait raflé 264 grands électeurs, tandis que le président sortant en avait 214 (le premier à atteindre 270 sera le prochain président américain).

Le suspense demeure donc entier, alors que les yeux du pays sont maintenant rivés sur le Nevada (6 grands électeurs), où le candidat démocrate détient une avance mince.

Même si les résultats plus serrés de ce matin avaient surpris (la plupart des sondages favorisaient largement Biden pour le vote populaire et la répartition des grands électeurs) et que nous entrons sans doute dans une période d’incertitude, ce n’est pas la première fois que cela arrive dans l’histoire des États-Unis.

Et certainement pas la dernière, à la lumière des vagues de fond socio-économiques qui traversent le pays.

Mais commençons par l’histoire américaine, qui demeure largement méconnue et qui teinte l’analyse du risque géopolitique.

 

Des crises antérieures bien pires

Ceux et celles qui estiment que nous vivons une période sombre et incertaine devraient se rappeler la guerre civile de 1861-1865 —une vraie, pas le spectre que brandissent à tort en 2020 trop d’analystes— qui a divisé comme jamais le nord industriel et le sud esclavagiste, sans parler des nombreux morts, entre 620 000 et 750 000 soldats tués, selon certaines estimations.

Pourtant, la présidentielle de 1864 s’est tenue dans cette période hautement chaotique s’il en est une. Sans grande surprise, le président républicain Abraham Lincoln a été réélu, car aucun des États confédérés (ou sudistes, qui avaient fait sécession des États-Unis) n’a participé au scrutin.

Les années 1960 et 1970 ont aussi été une période violente et mouvementée : assassinat du président John F. Kennedy, assassinat du leader noir des droits civils Martin Luther King, affrontements durant la guerre du Vietnam entre les pacifistes et les autorités, sans parler de la fusillade à l’Université de Kent (la garde nationale avait tué quatre étudiants qui manifestaient contre l’intervention américaine au Cambodge).

L’élection présidentielle du 7 novembre 2000 —au cours de laquelle s’affrontaient le vice-président démocrate sortant Al Gore et le gouverneur du Texas républicain George W. Bush— a aussi créé une période d’incertitude, en raison de la course très serrée en Floride.

Or, cette élection n’a été tranchée —par la Cour suprême des États-Unis— que plus d’un mois après le scrutin, à la mi-décembre, en faveur de George Bush, pour un total de 271 grands électeurs.

Autant d’exemples historiques qui permettent de mettre les choses en perspective.

Certes, actuellement, l’attitude de Donald Trump renforce le climat d’incertitude, car il a revendiqué la victoire et demandé la fin du décompte des votes. Or, rien dans la constitution ne l’autorise à mettre fin au décompte des votes, ont déclaré ce mercredi plusieurs juristes américains.

Dans un tweet bien senti, l’ancien vice-président Al Gore a d’ailleurs déclaré qu’aucune personne ou un parti ne pouvait entraver le décompte de voix des citoyens américains dans une élection.

 

 

Les États-Unis ont changé

Bien malin qui pourrait prédire actuellement avec certitude qui remportera la présente course à la Maison-Blanche. Cela dit, au fur et à mesure que le décompte des votes par la poste se poursuit, on sent se dessiner une tendance : une possible victoire de Joe Biden, mais avec une faible marge.

Pour autant, les entreprises et les investisseurs canadiens qui s’attendent à un retour à la normale aux États-Unis avec une éventuelle administration Biden risquent de déchanter.

Bien entendu, le ton changera à Washington, et il sera plus facile de discuter avec le gouvernement américain. Par contre, il y a des choses qui ont changé ces dernières années, et, dans certains cas, Donald Trump a été à la fois l’accélérateur et l’initiateur de ces tendances.

Prenez la montée du protectionnisme aux États-Unis.

Le président sortant n’est pas à l’origine de ce mouvement : c’est plutôt l’administration démocrate de Barack Obama (et de son vice-président Joe Biden) qui a lancé le bal après la récession mondiale de 2008-2009, en renforçant par exemple les clauses dites du Buy American et du Buy America.

Joe Biden s’est d’ailleurs engagé à renforcer le Buy American s’il est élu.

Donald Trump a quant à lui accentué cette tendance au nationalisme économique en forçant par exemple la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) avec le Canada et le Mexique.

Sur le plan du commerce international, ne vous attendez pas non plus à ce que les États-Unis enterrent la hache de guerre avec la Chine. Certes, le ton changera entre Washington et Pékin avec une administration Biden, mais les Américains maintiendront la pression sur les Chinois.

En fait, les démocrates et les républicains partagent pratiquement la même vision à propos de la menace que peut représenter la Chine, soulignent les analystes d’Eurasia Group, une firme new-yorkaise spécialisée dans l’analyse du risque politique des entreprises.

Même convergence de point de vue entre Trump et Biden en ce qui a trait à la volonté de vouloir rapatrier des «jobs» aux États-Unis.

Le candidat démocrate propose même de punir sur une base fiscale (à l’aide d’une taxe de 10% qui serait ajoutée au taux d’imposition des sociétés américaines) les entreprises qui délocalisent une partie de leur production de biens ou de services à l’étranger afin de les vendre par la suite aux États-Unis.

Nous serons bientôt fixés sur l’identité du prochain président des États-Unis.

Même s’il y a un climat d’incertitude, il faut garder la tête froide et, surtout, bien mettre les choses en perspective afin d’évaluer le risque réel pour les entreprises et les investisseurs.

Bref, pour reprendre une expression britannique célèbre : Keep calm and carry on.